Afin de préserver la belle image de ses produits, le lobby du bio lance un nouvel étiquetage baptisé Planet-score. Retour sur sa genèse
Le ralentissement des ventes de produits bio en France, la crise du lait bio, du porc bio et des œufs bio, la critique de l’enseigne Biocoop accusée de « perdre son âme » pour avoir commercialisé des œufs bio « industriels », et la concurrence du label HVE (Haute valeur environnementale) ont plongé le secteur bio dans la tourmente. À quoi vient s’ajouter l’affichage environnemental, tel que prévu dans le projet Écoscore avec la base de données Agribalyse, qui suscite un véritable malaise et beaucoup d’inquiétudes.
À lire aussi : Mauvaise polémique autour d’Agribalyse
Comme on l’a déjà évoqué dans un article précédent (« Mauvaise polémique autour d’Agribalyse », A&E n°198, janvier 2021), l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), en partenariat avec l’Inrae, a en effet conçu Agribalyse afin d’évaluer l’impact environnemental des produits agricoles en suivant la méthode de l’analyse du cycle de vie (ACV). Même si cette méthode est pertinente, puisqu’elle permet de calculer toutes les émissions produites du champ à l’assiette, elle a toutefois mis en émoi l’ensemble du secteur bio et de ses sympathisants. Et pour cause ! En usant de cette méthode, on découvre que les produits bio peuvent se révéler moins vertueux pour la planète que ceux de l’agriculture conventionnelle. Une réaction du lobby du bio était donc prévisible.
En usant de cette méthode, on découvre que les produits bio peuvent se révéler moins vertueux pour la planète que ceux de l’agriculture conventionnelle. Une réaction du lobby du bio était donc prévisible
Haro sur Agribalyse
C’est ainsi que, quelques semaines à peine après que le projet Écoscore a été rendu public, l’Institut de l’agriculture et de l’alimentation biologiques (Itab) a déploré « que les produits extensifs et bio reçoivent des scores d’impact environnemental défavorables par rapport aux produits conventionnels et intensifs ». Au même moment, dix-sept organisations – dont les principales structures de la filière bio (Fnab, Synabio, NatexBio, Bio Consom’acteurs), des ONG écologistes (Greenpeace, Générations futures, Agir pour l’environnement, etc.) ou encore l’UFC-Que Choisir et la Confédération paysanne – ont réclamé de prendre en compte des « externalités positives » du mode de production bio et de suspendre la publication des scores Agribalyse. « Les professionnels de l’agriculture biologique ont bâti au fil du temps une relation de confiance avec les consommateurs sur la base d’un haut niveau d’exigence environnementale. Le projet d’Écoscore ne doit pas créer la confusion et fragiliser cet acquis. […] En l’état, le projet d’Écoscore brouille les messages de manière très préoccupante », a alors expliqué Didier Perréol, président du Synabio, l’un des principaux lobbys du bio en France.
Le lobby du bio mobilise ses « experts »
Et la contre-attaque ne s’est pas limitée à une campagne de communication. Dès février 2021, une équipe a été constituée afin de mettre au point un affichage environnemental alternatif. Loin de se vouloir indépendante, elle s’est ouvertement placée sous la houlette du secteur bio, en particulier de l’Itab, qui a fait appel à des « experts » reconnus comme des pionniers du bio, tels le militant Claude Aubert ou le chercheur Denis Lairon. Sans surprise, cette « expertise » a été réalisée grâce au soutien financier de mécènes issus du secteur bio. Résultat : un affichage environnemental favorable au bio, conçu, financé et promu par le secteur bio, présentant notamment un critère « pesticides », qui permet de stigmatiser les concurrents émanant de l’agriculture conventionnelle.
Anne-Claire Asselin, du bureau de conseil Sayari, co-porteur du projet Planet-score, confiait en avril 2021 à l’Agence Bio que « cet aspect de résidus de pesticides est un élément effectivement tout à fait essentiel qu’il faut adresser », en soulignant : « Si on ne regarde pas les résidus de pesticides dans l’alimentation, on passe à côté du problème. » Elle expliquait ainsi que, si l’on considère une pomme conventionnelle, il y a d’un côté « l’impact lié aux pesticides juste sur le citoyen, c’est-à-dire les émissions vers l’air, le sol et l’eau », et de l’autre, « le consommateur qui mange ces résidus de pesticides ». Et de préciser : « L’impact sur le consommateur qui a mangé la pomme conventionnelle, l’ordre de grandeur de la part des résidus est de 100 à 1000 fois plus que la partie environnementale. » À ceci près qu’Anne-Claire Asselin omettait de préciser que l’impact sur le consommateur est tout simplement… nul ! Comme le spécifiait déjà le Pr Denis Corpet, dans sa préface au livre Panique dans l’assiette – Ils se nourrissent de nos peurs (Le Publieur, 2017), « il faudrait manger 25 millions de pommes pour ingérer autant de substance cancérigènes qu’en buvant un seul verre de vin, qu’il soit bio ou non », soit 685 pommes par jour pendant 100 ans !
De même, Anne-Claire Asselin ne mentionnait pas le fait que 53% des aliments conventionnels d’Europe sont totalement exempts de résidus quantifiables. Pas un mot non plus sur les études rassurantes de l’Anses concernant l’innocuité des résidus infinitésimaux dans l’alimentation, ni sur l’utilisation des pesticides en bio. Et rien sur l’expertise de l’Inserm de 2021 qui statuait sur la présence de résidus dans l’alimentation et l’eau : « Dans l’ensemble et selon les connaissances actuellement disponibles, il n’y a pas de risques identifiés associés à ces contaminations pour la santé humaine. »
Comme le spécifiait déjà le Pr Denis Corpet, «il faudrait manger 25 millions de pommes pour ingérer autant de substance cancérigènes qu’en buvant un seul verre de vin, qu’il soit bio ou non», soit 685 pommes par jour pendant 100 ans
Bref, inclure un volet « pesticides dans l’alimentation » n’a d’autre sens que d’activer la machine à faire peur, puisque, selon une enquête de l’UFC-Que Choisir auprès de 2500 de ses adhérents, l’indicateur sur les pesticides serait le critère le plus à même d’influencer leur achat. « Le Planet-score est susceptible d’avoir un réel impact pour informer les consommateurs et les orienter vers des habitudes alimentaires et comportements de consommation plus vertueux pour l’environnement », à la condition notamment « de proposer une information détaillée sur les sujets les plus pertinents pour eux, en particulier les pesticides », peut-on lire dans le dossier de presse rendu public à la fin juillet 2021, avec la présentation de Planet-score.
S’inspirant du Nutri-score, Planet-score se décline en codes couleurs allant du vert au rouge et une note globale de A à E. Cet affichage est composé de trois critères principaux : les pesticides, la biodiversité et le climat. Un indicateur sur le bien-être animal peut également s’y ajouter.
L’affichage Planet-score est ensuite entré en phase de test à partir du 4 novembre 2021, avec 1 000 produits alimentaires sur plusieurs sites e-commerce, et se poursuivra jusqu’à la fin de année 2022. Parmi les principaux participants se trouvent tout naturellement des enseignes bio comme Biocoop, Naturalia (Monoprix), La Vie Claire, Greenweez (Carrefour), Naturéo, mais aussi Auchan, Franprix, tout comme Lidl, qui expérimentera le Planet-score en 2022 sur des produits relevant de sept filières clés : le lait, les œufs, la viande bovine, les pommes de terre, les pommes, les bananes et le sucre.
En outre, vingt-sept fabricants, dont la plupart du secteur bio, comme Triballat-Noyal, Léa Nature, Nutrition et Santé, Bonneterre et Compagnie, etc., sont aussi engagés dans ce test grandeur nature.
Concernant quasi-exclusivement des produits bio, Planet-score ne constitue donc dans cette phase qu’un label promotionnel s’ajoutant à celui de l’AB. À terme, ses concepteurs espèrent qu’il se généralisera à tous les rayons, non sans aller de pair, une fois encore, avec un dénigrement injustifié des produits issus de l’agri- culture conventionnelle.