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La crise du lait bio va-t-elle se poursuivre ?

Au moment où il est devenu évident que l’objectif de convertir 15% de la SAU (surface agricole utile) en AB pour 2022 ne sera pas tenu, l’eldorado du bio connaît de sérieuses difficultés dans plusieurs secteurs

Dans un communiqué de presse d’Interfel (Interprofession de la filière des fruits et légumes frais) de janvier 2021, son président Laurent Grandin mettait en garde contre le risque « d’avoir une offre surabondante en raison des conversions qui arrivent à leur terme par rapport à la demande ». Il constatait alors une baisse de 1 % au troisième trimestre 2020 pour la consommation des fruits et légumes bio. À l’automne dernier, les producteurs avaient déjà pâti d’un vrai décrochage des prix, principalement sur la tomate et la pomme bio, avec une demande qui n’était déjà plus au rendez-vous.

Surproduction de lait bio

Mais c’est surtout le secteur laitier qui commence à subir sérieusement les conséquences d’un début de surproduction. « Les Français ne boivent plus assez de lait bio pour absorber la production nationale », constatait l’AFP dans une dépêche datée du 16 septembre dernier.

Avec 1,1 milliard de litres de lait bio produit en France en 2020 (soit 4,5% de la production totale) et des années de croissance à 18 %, l’offre a en effet dépassé la demande, qui a accusé un sévère ralentissement. « Les adeptes du bio continuent de consommer, mais les nouveaux consommateurs sont moins nombreux », confirme Samuel Bulot, administrateur de la FNPL (Fédération nationale des producteurs de lait).

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Pour des raisons économiques, nombreux sont les producteurs qui, dans les années 2018-2019, ont choi- si de se convertir en AB, en aspirant à une meilleure rémunération. Payés 45 à 50 centimes le litre, contre 32 à 35 pour le lait conventionnel, ils espé- raient ne plus subir de crise du lait analogue à celle des années 2015- 2016. Ainsi, au sein de Lactalis, la collecte de lait bio a augmenté de

12%enunan.Saufque,surlamême période, les ventes se sont effritées de 1,6 %. Résultat : environ 20 % du lait a été déclassé, donc écoulé sur le marché au tarif du conventionnel. Pour l’instant, cette perte financière a entièrement été prise en charge par le groupe laitier, ainsi que l’assure son directeur général de la communica- tion Christophe Piednoël.

Il en va différemment chez Sodiaal, détenteur des marques Candia et Entremont, qui a annoncé à ses pro- ducteurs une baisse de rémunération d’environ 23 % pendant un an pour 10 % de la production. Une surprise pour Stéphane Cornec, un éleveur du Finistère dont la conversion s’est achevée l’année dernière. « Le signal pour l’avenir n’est pas bon du tout », s’inquiète-t-il. Certains de ses voisins ont arrêté le lait « soit par retraite, soit par choix », confie l’éleveur.

« Une erreur collective »

Ce retournement de conjoncture n’était certainement pas dans l’agenda du secteur, qui a commis, selon les termes d’un responsable de coopérative, « une erreur collective ». « En coulisse, on se reproche entre concurrents d’avoir ”inondé le marché”, ”cassé les prix” ou de ne pas avoir stoppé les conversions à temps, dans l’espoir de gagner des parts de marché », estime un responsable de coopérative cité par l’AFP.

Aujourd’hui, le discours a changé. Chez Sodiaal et Agrial, par exemple, on demande plutôt aux agriculteurs d’arrêter la conversion vers le bio, ainsi que le note l’hedomadaire L’Usine nouvelle. « Nous maintenons les conversions en cours, mais il n’y aura pas de nouvelles conversions en 2021 », a indiqué Ludovic Spiers, directeur général de la deuxième coopérative laitière française, tandis que Biolait, premier acheteur de lait bio en France, exhorte ses producteurs à limiter leur production. Une façon diplomatique de leur demander de réduire leurs revenus…

Et si certains restent convaincus que cette conjoncture, temporaire, ne durera que « le temps de réguler la situation », d’autres continuent à croire à une reprise de la croissance. Ainsi, Éric Guihery, membre de la Fnab (Fédération nationale d’agriculture biologique), note qu’ « au Danemark, le lait bio représente 20 % du marché (en valeur), contre 10 % en France ». Il suffirait de communiquer davantage « afin de stimuler les volumes », veut croire Stéphanie Pageot, secrétaire nationale de la Fnab.

La crise du lait bio américain

Pourtant, un coup d’œil attentif sur la situation outre-Atlantique n’encourage pas à un optimisme démesuré. Tout comme en France, le secteur du lait bio y connaît en effet une crise inédite.

Ainsi, dans le Wisconsin, l’État pionnier où une poignée d’agriculteurs se sont lancés dans l’aventure du bio en créant en 1988 la coopérative Organic Valley, les nouvelles ne sont pas bonnes depuis déjà plusieurs années. Comme le révèle la presse américaine, la plus grande coopérative biologique du pays perd de l’argent depuis 2017, en raison d’une offre excédentaire qui a fait chuter les prix accordés aux producteurs. En cause, la concurrence des grandes fermes bio qui abritent de 10 à 15000 vaches. « Six de ces fermes bio géantes situées dans le Texas produisent largement davantage que les 453 exploitations laitières bio du Wisconsin », note le Milwaukee Journal Sentinel. Selon Ron Miller, directeur général de la ferme R&G Miller & Sons, qui possède une « petite » ferme bio avec un cheptel de 365 vaches, « ces méga-laiteries inondent le marché biologique et font chuter les prix avec des produits qui ne respectent pas le même cahier des charges ». Comme beaucoup d’autres pionniers du bio, ce producteur accuse les industriels « d’avoir usurpé le label bio »

Les « laits » végétaux

Cependant, un autre facteur inattendu est en train de perturber profondément le paysage laitier. Comme le constate George Siemon, l’un des sept fondateurs d’Organic Valley, « après trente années de soutien aux agriculteurs bio, les consommateurs font marche arrière. Ils délaissent le lait bio au profit de boissons dérivées de plantes ».

Lire aussi : À poil, la bio ? Les inquiétudes de la filière. Analyse de Laurent Pahpy

Obtenues à partir de soja, d’avoine, d’amande ou de noix de cajou, ces boissons végétales ont en effet le vent en poupe. Selon le magazine The Economist, elles représenteraient 15 % de toutes les ventes de lait aux États- Unis. « Qu’on le veuille ou non, les laits végétaux sont une tendance lourde », note Megan Minnick, directrice des achats de la coopérative Willy Street. Or, le développement de ce secteur attire en priorité des consommateurs écolos, très réceptifs aux arguments de vente sur la santé et l’environnement, qui étaient préalablement acheteurs de lait bio.

C’est le cas outre-Atlantique, mais aussi en Europe. Ainsi, selon le cabinet d’études de marchés Euromonitor International, entre 2020 et 2025, le marché des alternatives au lait devrait connaître un taux de croissance de l’ordre de 6,3% par an, tandis qu’une étude de Market and Markets estime que le marché des substituts laitiers pourrait atteindre à l’échelle mondiale 39 milliards de dollars à l’horizon 2025. En Europe, selon Danone, ce marché est tiré par le Royaume-Uni et l’Allemagne, avec aussi une forte demande enregistrée en Espagne, Belgique et aux Pays-Bas. Le groupe suisse indique une croissance de 24 % en Europe pour les boissons végétales, sur l’année 2020.

Le cas particulier de la France

Paradoxalement, l’expansion de la vente de ces produits en France semble encore très raisonnable. Après avoir doublé en volume entre 2015 et 2018, elle serait même en recul en 2020 avec moins 3,7% de volumes achetés. « C’est un marché jeune qui a encore besoin d’être soutenu, et qui l’a moins été l’an passé qu’en 2017 et 2018 », décrypte Laure Mahé, directrice France d’Alpro, une filière du groupe Danone. Elle poursuit : « Si le soja continue de décroître, des ingrédients davantage associés au plaisir, comme l’amande ou l’avoine, ont relancé très fortement le marché pendant le confinement et par la suite, avec des croissances à deux chiffres. »

Après trente années de soutien aux agriculteurs bio, les consommateurs font marche arrière. Ils délaissent le lait bio au profit de boissons dérivées de plantes

Misant de façon évidente sur les substituts des produits laitiers, Nestlé a pour sa part inauguré en septembre 2020 un incubateur de start-up avec l’objectif affiché de stimuler l’innovation sur ce segment que le groupe considère comme « très porteur ». De son côté, Sodiaal s’est également invité aux rayons des jus végétaux en proposant, depuis juillet 2020, des boissons aux saveurs d’amande pralinée ou de noisette grillée.

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