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Aux origines du désenchantement des produits bio

La publication récente du baromètre de l’Agence Bio sur « la consommation et perception des produits biologiques » confirme que les motivations des consommateurs, de moins en moins enclins à acheter des produits bio, ne sont pas seulement économiques

Bien que l’accueil fût chaleureux et les visages souriants, l’ambiance n’était pas vraiment à la fête sur le stand de l’Agence Bio, lors du dernier Salon international de l’agriculture.

Finie, l’époque du grand recrutement et des promesses d’un avenir radieux. Désormais, tous les clignotants sont au rouge : baisse de la demande, surproduction, déclassements, déconversions, fermetures de magasins. « En moyenne, le chiffre d’affaires des distributeurs bio a subi un recul de 12% sur l’année 2022. Du jamais vu », note le site écolo-décroissant Reporterre, qui constate que « tous les syndicats frappent à la porte du ministère et demandent des mesures pour les paysans bio ».

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Pour Bertrand Pérot, PDG de l’enseigne Le Grand panier bio, qui compte vingt magasins en région Auvergne-Rhône-Alpes, tout a basculé « du jour au lendemain » en juin 2021, à la réouverture des restaurants après la fin des mesures de confinement liées au Covid. Comme beaucoup d’autres, il n’avait rien vu venir et a eu le sentiment de subir « un retour quinze ans en arrière ». Si certains espéraient que la crise du Covid révolutionnerait les modes de consommation, c’est effectivement tout l’inverse qui s’est produit. « Après la période du Covid, les gens ont eu besoin de renouer avec les loisirs, au détriment du budget alimentation », déplore Éric Natali, trésorier du réseau Accord bio, un groupement de 195 magasins indépendants parmi lesquels 17 ont fermé en 2022, dont 14 pour raisons économiques. « À l’effet post-Covid se sont ajoutées l’inflation et la baisse du pouvoir d’achat, poussant les consommateurs et consommatrices vers les marques de distributeurs, considérées comme moins onéreuses », poursuit le site Reporterre. Toutefois, ces marques elles-mêmes n’ont plus le pouvoir d’attraction qu’elles avaient avant l’épidémie, ce qui explique pourquoi les grandes surfaces conventionnelles ont drastiquement réduit leurs offres de produits bio. Le groupe Carrefour a même remplacé certains de ses magasins Bio c’Bon – notamment ceux d’Amiens, de Valenciennes ou encore de Lille – par des Carrefour City, précise Reporterre. Selon la société d’études IRI, les chiffres d’octobre 2022 en grandes et moyennes surfaces (GMS) montrent que « du côté des produits bio, leur chiffre d’affaires y est en baisse de -2,5%, leur volume de -10,8 % et l’offre de -12,8 %. En cumul courant (10 mois), l’offre bio a baissé de -7,8% en GMS »

« Finie, l’époque du grand recrutement et des promesses d’un avenir radieux. Désormais, tous les clignotants sont au rouge »

Et le bilan ne fait que s’alourdir de plus en plus sur l’ensemble de la filière, comme le regrette Laurence Marandola, secrétaire nationale de la Confédération paysanne : « Chaque mois qui passe aggrave terriblement les choses. » En outre, selon Bertrand Pérot, le pire serait encore à venir. N’hésitant pas à parler d’un « cataclysme » dû à l’explosion du montant des factures d’énergie qui vont arriver cette année, l’homme d’affaires annonce « la mort certaine de 80 % des magasins bio – soit 2000 points de vente – si rien n’est fait ». Une purge qu’il estime cependant « nécessaire » : « Nous ne sommes pas sur un marché extensible à outrance non plus. » En effet, toujours selon Reporterre, « la plupart des acteurs s’accordent à dire que ces fermetures de magasins en cascade étaient prévisibles, voire nécessaires pour assainir le marché ».

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Les réelles motivations des consommateurs

Pour sortir de la crise, il convient donc d’analyser avec justesse quelles en sont les causes. Or, les attribuer aux seuls facteurs économiques constituerait une très lourde erreur. Car de nombreux acteurs de la filière bio s’accordent pour dénoncer aussi une perte de confiance, même si certains d’entre eux continuent d’esquiver le problème en pointant du doigt « la prolifération des allégations », tel Bertrand Pérot, dans Reporterre : « Zéro résidu de pesticides, local, haute valeur environnementale (HVE)… les consommateurs sont un peu embrouillés. Ils se disent qu’un produit HVE ou local, c’est quasiment un produit bio ! » D’où le parti pris par certains acteurs de la filière de se lancer dans une guerre aussi pathétique qu’inutile contre ces nouveaux labels, accusés de faire de l’ombre aux productions bio…

Or, la thèse de cette nouvelle concurrence ne résiste pas à un examen plus poussé des motivations des consommateurs. Pour s’en convaincre, il suffit de consulter le tout dernier baromètre de l’Agence Bio sur « la consommation et perception des produits biologiques », qui confirme la baisse d’attractivité du bio. Le pourcentage de Français indiquant avoir consommé des produits alimentaires biologiques au moins une fois par mois au cours des douze derniers mois est en baisse de 16 points par rapport à 2021, tandis que le nombre de personnes n’ayant pas consommé de produits alimentaires biologiques sur un an a quasiment doublé depuis 2021. Et ce n’est pas tout : la part d’acheteurs de produits alimentaires bio sur une période de quatre semaines précédant l’enquête s’est effondrée de 17 points par rapport à 2021 et concerne 54 % des Français en 2022.

« On observe en 2022 une très forte progression de la remise en question de la réalité du bio », s’inquiète l’Agence Bio

Mais l’enquête révèle également que, contrairement à ce qu’affirme Bertrand Pérot ou d’autres promoteurs d’enseignes bio, cette perte d’attractivité concerne l’ensemble des labels de qualité. Y compris le label HVE, qui note une attractivité de 51 %, contre 63 % pour l’année précédente. Comme le formule le baromètre de l’Agence Bio, « les Français sont moins attentifs aux labels garants de produits de qualité et/ou environnementaux », qui connaissent tous des baisses significatives. « Dans l’ensemble, même si elle reste élevée, l’attention des Français portée à chaque logo diminue en 2022 », conclut ainsi l’enquête.

En revanche, la crise sanitaire a clairement renforcé l’attrait des Français pour les produits locaux et de proximité, « avec pour conséquence un recentrage à toutes les échelles : l’échelle nationale, avec une poussée du souverainisme et une volonté massive de relocalisation […] Ainsi, 29 % des Français interrogés affirment acheter au moins une fois par mois des produits alimentaires direct producteur, 46 % au sein des marchés paysans, 23 % auprès de plateformes regroupant des producteurs locaux. Ces dernières se retrouvent à égalité avec la fréquentation des magasins spécialisés en produits bio (23%) ».

La fin des fausses promesses

À cela s’ajoute un phénomène nouveau qui prend de l’ampleur : les doutes concernant la filière du bio. « On observe en 2022 une très forte progression de la remise en question de la réalité du bio, qui arrive en deuxième position des arguments invoqués par 57 % des non-consommateurs de bio (+17 points par rapport à 2021) », s’inquiète l’Agence Bio, qui en rejette la responsabilité sur l’arrivée sur le marché des grandes marques de l’industrie agroalimentaire ou des marques distributeurs, qui ont « certainement contribué à diluer la promesse initiale et à limiter la capacité de réassurance du bio ». Pour preuve, toujours selon le baromètre, 61 % de Français considèrent que « le bio est avant tout du marketing ». Du marketing avec peut-être un peu trop de fausses promesses ?

Sur ces multiples fausses promesses du bio, le magazine d’Arte animé par Nora Hamadi, « 27 », consacré à la crise du bio, qui a été diffusé le 19 mars, a fourni un éclairage particulièrement pertinent. Ainsi, à la question tout à fait naturelle : « le bio est-il bon pour la santé ? », « Six Français sur dix qui consomment du bio le font parce que “c’est meilleur pour la santé” », a expliqué Corentin Chrétien Droz, coanimateur de l’émission. Mais ce postulat est-il exact ? « J’aurais bien voulu vous répondre que oui, mais la réponse honnête, c’est non ! », a reconnu le journaliste, visiblement lui-même surpris par les résultats de son enquête – par ailleurs confirmés par plusieurs intervenants. « Au Royaume-Uni, les autorités ont fait la même chose que dans d’autres pays : elles ont interdit aux producteurs bio de mettre en avant les bienfaits de leurs produits pour la santé, parce qu’ils n’ont aucun élément pour le prouver », a ainsi rappelé Julian Baggini, philosophe britannique présent dans le panel international des témoins réunis pour l’émission.

Évoquant « une baisse du contrat de confiance » comme l’une des sources probables du désenchantement des consommateurs, Nora Hamadi s’est interrogée sur les poivrons bio en provenance « de la mer de plastique qui se trouve en Andalousie » disponibles en plein hiver sur les étals français. Dans le même esprit, l’ornithologue danois Knud Haugmark a raillé le caractère authentiquement bio d’un sachet d’épinards qui néces- site « trois fois plus de plastique pour l’emballage ». « Tout cela, c’est juste de l’hypocrisie », a conclu l’écologiste danois, tandis que Christophe Martel, directeur de l’Intermarché de Saint-Laurent-du-Var, s’en est pris aux concombres bio : « Quand vous recevez un concombre bio qui vient d’Espagne, vous m’expliquerez ce qu’il a de bio, puisqu’il faut 1000 km pour qu’il vienne en France et qu’il est dans du plastique. »

Bref, il n’y a rien de surprenant à ce qu’aujourd’hui, 57 % des personnes interrogées affirment avoir des doutes sur le fait que les produits estampillés AB aient toutes les vertus vantées dans les campagnes marketing du secteur. En fin de compte, la filière, qui a dû sa progression rapide aux campagnes agressives et anxiogènes sur la santé magistralement orchestrées par le lobby du bio grâce au financement de différentes associations complices, ne fait que payer le prix de ses fausses promesses.

« La filière, qui a dû sa progression rapide aux campagnes agressives et anxiogènes sur la santé, ne fait que payer le prix de ses fausses promesses »

Désormais, pour sortir de sa crise structurelle et séduire de nouveaux consommateurs, elle va devoir trouver d’autres pistes de communication, plus raisonnables…

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