La déconversion bio est-elle un simple trou d’air ou un renversement structurel ? Telle est la question que se posent désormais les acteurs de la filière bio
« Nous entrons dans une zone d’incertitudes où on se demande pourquoi le bio ralentit » admet Loïc Guines, président de l’Agence Bio.
Faute de débouchés, les signaux sont en effet passés au rouge écarlate du côté de la production. Certes, le nombre de cessations totales d’activité reste encore assez faible (2 200 pour 2022, selon l’Agence Bio), mais, dans toutes les filières en difficulté (porc, lait, œufs, volaille de chair), les opérateurs incitent désormais aux déconversions. Une tendance qui préoccupe la rue de Varenne, comme en témoigne l’intervention du ministre Marc Fesneau lors des dernières Assises de la bio, le 6 décembre dernier. « Mon principal sujet, ce sont les déconversions, car c’est l’assurance que ces agriculteurs ne reviendront pas au bio », a-t-il assuré.
Voir aussi : Derrière la crise de la filière bio, il y a une omerta
« Nous tentons de chercher des solutions pour soulager nos marchés », se justifie pour sa part Jérôme Caillé, président de la commission bio de La Coopération agricole. Ce qui implique une réduction des volumes, et par conséquent, l’incitation faite aux producteurs de revenir au conventionnel. Un mouvement initié dès 2021 par Lactalis, Cavac, Terrena ou encore Le Gouessant.
40 % du lait bio déclassé
Produit pourtant emblématique du bio, le lait ne fait en effet plus recette en raison « d’une baisse d’enthousiasme côté consommateur », regrette Fabien Choiseau, directeur des approvisionnements lait chez Lactalis
Alors que l’entreprise, il y a trois ans à peine, misait sur une progression du marché à deux chiffres, et accordait une prime de 40 € pour 1 000 litres aux producteurs en conversion, aujourd’hui elle ouvre la porte « à ceux qui se poseraient la question de retourner vers le conventionnel ». Et pour cause ! L’entreprise se retrouve en effet avec un taux de déclassement du lait bio de plus de 40 %, situation économiquement intenable sur le moyen terme.
Un million de poules bio déconverties
Avec une consommation qui subit une baisse de 3 à 4 % sur un an, près d’un million de poules bio ont été déconverties depuis 2021, selon l’évaluation de Jean-Christophe Rodallec du Syndicat national des labels avicoles de France. Cela représente pour la coopérative Le Gouessant, deuxième plus gros acteur du marché de l’œuf bio, 20 à 25 % de la production bio rebasculée en production conventionnelle de plein air. Il s’agit de « préserver au mieux l’existant », explique Patrice Sort, responsable du négoce œufs chez Le Gouessant. C’est pourquoi la coopérative a d’abord misé sur un système « temporaire », consistant à autoriser les producteurs à nourrir leurs poulettes bio avec de l’aliment conventionnel, alors que les œufs leur étaient payés au prix du bio. « Sauf que le temporaire va durer », soupire Patrice Sort. À cela vient s’ajouter le financement partiel du déclassement d’une partie des œufs bio. « Ce qui représente beaucoup d’argent », confie le responsable.
Une situation mal vécue par Jean-Michel Boscher, aviculteur dans les Côtes-d’Armor qui s’était converti au bio en 2009. « Nous avons stoppé l’exploitation en 2020 en raison d’un manque de productivité », explique l’ancien exploitant, qui attribue ses mauvais résultats « à la dégradation de l’alimentation bio qui nous était vendue pour nourrir nos poules ». « Nous avons observé ce changement dès 2018, certainement en raison de l’industrialisation du bio », ajoute son épouse, aujourd’hui à la recherche d’un emploi.
Des producteurs dans la détresse
Enfin, s’agissant de la filière porc bio, qui représente à peine 2 % de l’effectif national de truies, on estime qu’il y a déjà 30 à 40 % de volume excédentaire..
Or, la plupart des ateliers, de date très récente, sont développés par des exploitants qui, ayant dû contracter de lourds investissements, se trouvent aujourd’hui en difficulté. Certains d’entre eux en ont appelé au ministre de l’Agriculture pour obtenir des aides afin d’arrêter une partie de leur production. Une demande qui a été rejetée par la rue de Varenne : « Le ministre ne veut pas entendre parler de déconversion », déplore Jérôme Caillé. Ainsi donc, après avoir sorti son portefeuille pour encourager les conversions, voilà le ministre sollicité par toutes les filières pour aider aux déconversions. Un comble !