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Dans les coulisses sombres de l’Itab

« La perte de crédibilité scientifique de l’Institut de l’agriculture et de l’alimentation biologique (Itab), le déficit en projets et l’hémorragie de ses salariés experts sont des menaces pour le futur de l’Itab, amplifiées par la confiscation faite de l’image de son excellence passée et l’opacité de l’utilisation de cette image aujourd’hui », note un manifeste rédigé par un collectif d’anciens salariés de l’institut.

Alors que se déroulaient les Assises de l’agriculture biologique, organisées le 6 décembre par l’Agence Bio, les discussions de couloir se concentraient plutôt sur la grave crise existentielle que traverse désormais l’Itab. Déjà, en 2019, les chambres d’agriculture, la FNSEA, la Confédération paysanne et l’association Nature et Progrès avaient décidé de ne plus siéger à son conseil d’administration en raison d’une gestion des relations avec les salariés qu’elles estimaient aller « à l’encontre du principe d’éthique, pourtant l’un des principes clés de l’agriculture biologique ».

Depuis lors, la situation a empiré, comme le constate un manifeste rédigé par un collectif d’anciens salariés, qui révèle comment l’Itab a été « vidé de sa substance au service d’une ambition personnelle » – à savoir au profit de sa présidente Sabine Bonnot. Comme le relate le document qu’A&E a pu consulter, « le bilan scientifique et humain des trois dernières années interroge la gouvernance et la gestion de l’Itab, structure essentielle pour le développement de l’agriculture biologique ». Le texte appelle « à la responsabilité de la Fnab pour retirer à Sabine Bonnot son mandat de représentation de la fédération à l’Itab », afin de pouvoir mettre en place un conseil d’administration « permettant une réelle représentation des agriculteurs bio, plurielle, dans le respect des valeurs de l’AB et de principes démocratiques ».

Une gestion au mépris des salariés

Le bilan que dresse le manifeste est en effet sidérant, notamment par une gestion du personnel indigne d’un tel institut : « Sept directeurs ou directrices défilent en 3 ans ! Deux d’entre eux sont annoncés mais ne prendront jamais leur poste. La direction reste vacante plusieurs mois en 2021. Une directrice-adjointe, nommée en juin 2022, quitte ses fonctions à peine arrivée ! », relatent les auteurs.

Et cet impressionnant turnover ne se limite pas à la direction, puisque, parmi l’équipe de 30 personnes présentes en 2019, seuls 6 salariés sont encore en activité fin 2022. « La “réorganisation interne” voulue par le plan de redressement amène depuis 2019 un taux de renouvellement du personnel de plus de 100 % avec le départ de 33 salariés et l’arrivée de 30 nouveaux agents », constatent les auteurs du manifeste. Ainsi, en raison d’un « climat social dégradé », d’anciens salariés font le choix de partir, « tandis que de jeunes recrues, attirées par l’image positive de l’Itab, une certaine idée du progrès et l’envie de travailler pour préserver la planète, restent quelques mois puis quittent la structure ».

Signe de ces conditions sociales insupportables, entre 2019 et 2021, on observe pas moins de 24 arrêts maladies, qui, d’après les personnes concernées, sont directement liés à la détérioration des conditions de travail. Ces arrêts maladies représentent 113 semaines d’arrêt (48 en 2019, 26 en 2020, 39 en 2021) et « près de la moitié de ces arrêts (54 semaines) se concentrent sur 3 postes du Pôle Administratif et Financier, directement sous le pilotage de Sabine Bonnot, trésorière jusqu’en juillet 2021 puis présidente », précise le texte, qui poursuit : « Régulièrement les délégués du personnel alertent sur les conditions sociales dégradées et les risques psycho-sociaux avérés : la souffrance au travail de nombreux salariés est réelle face à la destruction de leur outil de travail. L’implication dans la gestion financière et les ressources humaines du mari de la trésorière (M. Stéphane Bonnot), ni salarié ni administrateur, participe au malaise, posant des questions de déontologie au vu de son accès à des données personnelles et confidentielles. »

Une parole refusée et des procédures en cascade

En juillet 2021, lors de l’AG de l’Itab, la délégation du personnel a demandé la parole pour alerter les adhérents, le ministère et les partenaires présents. Un droit à la parole qui lui fut tout simplement… refusé ! Six salariés décident alors de remettre leur démission, et quatre procédures prud’homales sont portées contre l’Itab, dont deux sont encore en cours. « Les deux licenciements pour faute grave effectués en 2019 contre la directrice et la directrice financière ont été requalifiés par les tribunaux des prud’hommes en licenciement pour cause réelle et sérieuse, aucune faute grave n’ayant été constatée », note le manifeste, tandis qu’un appel est en cours pour l’un d’entre eux (contestation de la cause réelle et sérieuse) et que la procédure pénale engagée par l’Itab contre la directrice a été déboutée. « Un référé a été activé fin 2021 par une autre salariée de façon à toucher les retards de versement de plusieurs mois d’indemnités de prévoyance. Et une procédure a été engagée pour discrimination par une salariée licenciée dans le cadre du plan de redressement, à ce jour toujours en cours », révèle enfin le manifeste, qui note une curieuse similitude entre la situation vécue à l’Itab depuis 2019 et celle qu’a connue de 2012 à 2013 le Groupement des producteurs biologiques du Gers (GABB 32), présidé alors par la même Sabine Bonnot : « De mai 2012 à fin 2013, en seulement 18 mois, 12 personnes ont quitté la structure, 11 sont arrivées (renouvellement de 400 % !). Comme à l’Itab, les arrêts maladies directement liés aux conditions de travail sous pression se sont multipliés, et une action prud’homale a abouti à la requalification en licenciement abusif du licenciement pour faute grave de l’animatrice de l’association. Les salariés en décembre 2012 ont alerté le CA sur les dysfonctionnements rencontrés liés à des problèmes de gouvernance et de management. Sabine Bonnot, ayant transitoirement cumulé les fonctions de présidente et directrice à cette période, abandonne son mandat à l’été 2013. »

Au-delà des questions humaines que soulève cette gestion du personnel, ce sont également les connaissances et les compétences de l’Itab qui ont été grandement réduites, constate le manifeste, avec l’institut « quasi-absent des nouveaux projets financés par le PNDAR (Programme National de Développement Agricole et Rural) ». Le licenciement, dès 2019, des salariés les plus anciens, suivi du départ d’autres « anciens » les trois années suivantes, dont des cadres dirigeants, a provoqué une véritable « perte de mémoire », déplorent les auteurs, qui soulignent que cette perte d’expertise combinée « à la disparition des réseaux relationnels et à la qualité de travail altérée par le contexte social dégradé fait que de nombreux anciens partenaires de l’Itab (Inrae, instituts, chambres d’agriculture…) ne s’engagent pas dans de nouvelles collaborations […] Le fait que l’Itab soit “membre du réseau ACTA” apparaît plus aujourd’hui comme un affichage politique qu’une réalité scientifique et technique au vu des collaborations limitées avec les autres instituts ». 

Sur le projet Planet-score

Et ce n’est pas le pire ! « La confusion des rôles ajoute une interrogation supplémentaire sur les objectifs et la rigueur scientifique de l’institut », déplore le texte, qui estime que cette confusion est entretenue « par la publication de divers rapports et notes sous affichage Itab, alors que rédigés par Sabine Bonnot ». Deux exemples sont cités, dont celui d’une note faisant suite au conseil de surveillance du Plan national de recherche et d’innovation (PNRI) contre la jaunisse de la betterave sucrière, publiée en février 2021, et que les salariés de l’association ne découvrent qu’après sa mise en ligne, sans y avoir été associés.

De même, les auteurs du manifeste s’interrogent sur un mélange des genres, en relevant la présence de structures militantes au sein du conseil d’administration de l’Itab : « Le nombre de sièges acquis à des causes environnementalistes s’est accru, avec l’arrivée de Greenpeace (administrateur) et Générations Futures (adhérent, invité au conseil d’administration). » Et de préciser : « L’implication croissante de structures militantes dans sa gouvernance nécessite la mise en place d’outils, aujourd’hui absents, pour garantir une approche scientifique irréprochable et transparente. »

Une absence qui a clairement eu des conséquences dans le dossier du projet Planet-score et qui suscite l’inquiétude des auteurs. « Si cet affichage porte de véritables enjeux en termes de recherche, les objectifs du projet Planet-score ne sont pas clairs et semblent guidés par la volonté de montrer de meilleurs scores en agriculture biologique qu’en agriculture conventionnelle », note le manifeste, qui s’interroge sur « la rigueur scientifique » qui a servi à construire des indicateurs d’impact environnemental fiables et objectifs. Car, alors qu’il existait une collaboration précédente sur le thème de l’évaluation des impacts environnementaux avec des chercheurs de l’Inrae, le projet sur la construction de Planet-score a été réalisé sans partenariat avec la recherche publique. « Les partenaires de l’Itab sur Planet-score sont plus référencés pour leur positionnement sur des enjeux politiques (Sayari) et marketing (Very Good Future) que pour leur implication dans des projets de recherche scientifiques », constatent les auteurs du manifeste, qui déplorent surtout que, dès 2021, l’équipe salariée de l’Itab travaillant sur le projet Planet-score a été dessaisie du dossier, en raison d’un « désaccord avec le contenu scientifique de l’outil, la gestion humaine et la déontologie du projet ».

La présidente Sabine Bonnot a, en effet, décidé d’embaucher deux nouvelles salariées, qui n’ont pas été rattachées au Pôle Végétal & Durabilité, « pourtant historiquement en charge des questions environnementales et ayant porté la première phase du projet Planet-score », mais qui opèrent directement sous sa direction. Fin mai 2021, le conseil scientifique de l’Itab a mis en garde sur les délais indispensables pour fournir des résultats de qualité, tandis qu’au final, le dossier de presse présentant le Planet-score en juillet 2021 « mêle en bibliographie des références scientifiques et des références militantes (ex. : Réseau Action Climat) ». « Depuis, divers acteurs de l’agroécologie et chercheurs ont demandé à mieux comprendre la façon dont sont calculés les indicateurs du Planet-score, en vain. L’accès y semble compliqué, y compris pour les salariés Itab », constate le manifeste qui, d’une part, rappelle que « construire un outil de transformation des systèmes alimentaires comme le Planet-score doit se faire sur des bases scientifiques irréprochables et partagées, sans opacité », et d’autre part, se demande si « les activités lucratives liées au déploiement de Planet-score sont compatibles avec les activités d’une association loi 1901 à but non lucratif » Et de conclure : « Au regard de ces questionnements scientifiques, politiques et financiers, on ne peut que souhaiter la désolidarisation entre l’Itab et le Planet-score. »

Toutes ces dérives ont conduit le manifeste à demander la démission de l’actuelle présidente de l’Itab, Sabine Bonnot. Reste à savoir comment se positionnera la Fnab, qui semble aujourd’hui dépassée par cette gestion controversée de l’arboricultrice gersoise…

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