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Céline Imart : « Je ne comprends pas la position des coopératives… »

En tant que rapporteure d’une proposition pour améliorer les revenus des agriculteurs, la députée européenne Céline Imart (PPE) a fait face à une surprenante opposition du monde coopératif. Entretien exclusif

Vous avez été nommée rapporteure sur une proposition de la Commission européenne concernant un texte pour renforcer la position des agriculteurs dans la chaîne alimentaire. Pouvez-vous nous en dire davantage ?

Céline Imart : En effet, à la fin février, j’ai été nommée rapporteure de ce texte, qui allait, selon moi, plutôt dans le bon sens. Ainsi, afin de renforcer la position des agriculteurs dans la chaîne de valeur, il était question de mobiliser un certain nombre d’indicateurs dans la construction du prix par le premier acheteur, et ensuite de proposer une généralisation de la contractualisation.

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Il faut savoir que tous les pays de l’UE n’ont pas de législation aussi protectrice que la France. Dans certains pays, notamment en Bulgarie, nous avons par exemple constaté que certains producteurs de lait n’ont jamais été payés ! Le but était donc de sécuriser des notions aussi simples que le contrat, voire le contrat obligatoire, en intégrant la prise en compte d’indicateurs variés dans la construction du prix. Sauf que ce genre de mécanisme ne séduit pas tous les pays membres de l’UE, en raison de divergences de philosophie. Ainsi, au nord de l’UE ou en Allemagne, dans des pays plus libéraux qu’au sud ou qu’à l’est de l’UE, la notion de contractualisation n’est pas du tout à leur goût, et moins encore une contractualisation obligatoire.

Il y a donc eu un lobbying très fort de la part des coopératives de ces pays, appuyé par les premiers acheteurs, afin de contrer cette proposition. Nous nous sommes, bien entendu, rencontrés à plusieurs reprises tandis que leurs lobbyistes allaient voir tous les députés en leur faisant valoir l’argument suivant : comme le fonctionnement d’une coopérative procède par nature d’une construction vertueuse des prix par les agriculteurs, pour les agriculteurs, et que ce sont les meilleures pratiques qui s’appliquent par défaut, ceux qui adhèrent à la coopérative bénéficient déjà des meilleures conditions. Il ne vaut donc pas la peine de leur proposer des contrats, d’autant plus qu’ils possèdent une partie du capital de la coop.

Connaissant la réalité du terrain, je sais que ce n’est malheureusement pas toujours le cas en France, ni dans beaucoup d’autres pays, où il peut exister des pratiques abusives ou peu sécurisantes. Les coopératives, notamment au travers du Copa-Cogeca, se sont adressées aux députés des groupes Renew et CRE ainsi qu’aux députés socialistes pour qu’ils modifient la proposition de la commission. J’ai donc cherché à assouplir les règles de contractualisation afin de trouver un compromis avec les autres groupes. J’ai soutenu la possibilité pour une interprofession ou une organisation de producteurs réputée représentative d’un secteur, d’être exemptées de la nécessité de contractualiser au niveau de chaque État membre. L’idée fondamentale demeure que cette dérogation est à l’initiative des secteurs agricoles qui déterminent collectivement si la contractualisation leur est bénéfique, en raison de leurs spécificités, plutôt que de laisser le soin aux États membres de le décider. C’est d’ailleurs ce qui a eu lieu en France avec la loi Egalim, où l’interprofession des céréales a en effet obtenu d’être exemptée d’Egalim. Tout ceci concourt à apporter au texte une véritable souplesse. Pour le lait, cependant, nous avons estimé que cela n’était pas possible en raison des spécificités de ce secteur.

Deuxième point de compromis : nous avons acté que les coopératives n’auront pas l’obligation de proposer des contrats à leurs producteurs à condition que, dans leurs statuts, figurent des objectifs similaires aux objectifs de sécurisation des contrats à partir d’un prix de base clairement défini. Comme, a priori, on peut penser que toutes les coopératives disposent dans leurs statuts d’objectifs similaires en termes de sécurisation pour l’agriculteur à ceux d’un contrat, c’était le meilleur moyen, me semblait-il, de trouver un point d’équilibre.

Ainsi, la position de départ a été assouplie afin de rallier une majorité, et en tenant compte des exigences formulées par les groupes Renew, CRE, et les socialistes.

« Une semaine avant le vote, j’ai découvert que le Copa-Cogeca allait envoyer un courrier officiel à tous les députés de la commission Agri pour leur demander de rejeter le texte », déplore Céline Imart

Nous avons également introduit un amendement destiné à protéger les dénominations de la viande. Cela fait en effet des années que nous insistons pour que les dénominations comme « steak » ou « saucisse » ne puissent être attribuées qu’à des denrées de nature animale, et en aucun cas à des ersatz végétaux ou des produits de laboratoire. Notre élevage étant en perte de vitesse, voire en péril, il est essentiel de le protéger, et cela passe notamment par une sanctuarisation des dénominations traditionnellement liées à la viande, dans le cadre d’une alimentation produite par des hommes et des femmes dans de vraies fermes. Il est aussi légitime que le consommateur ne soit pas induit en erreur par des termes qui ne traduiraient pas la véritable nature de certains produits végétaux.

Enfin, nous avons aussi introduit de nouveaux critères d’éligibilité dans les accords de durabilité dérogatoires au droit de la concurrence. Jusqu’à présent, il ne s’agissait que de critères environnementaux. Nous avons souhaité en élargir le champ d’application pour que ces accords de durabilité intègrent également des critères économiques et sociaux afin que le plus grand nombre de producteurs puissent se lancer dans ces démarches, par exemple pour mobiliser des investissements dans la gestion de la ressource en eau ou encore la promotion de l’agriculture locale.

C’est finalement ce texte qui est arrivé au vote en commission Agri. Or, une semaine avant le vote, j’ai découvert que le Copa-Cogeca allait envoyer un courrier officiel à tous les députés de la commission Agri pour leur demander de rejeter le texte, et par conséquent les onze amendements de compromis. Je rappelle en passant que la Cogeca représente, à l’échelle de l’UE, les coopératives et le Copa, les organisations syndicales d’agriculteurs. Il a fallu l’intervention de la FNSEA, ainsi que des syndicats espagnols et italiens, qui ont immédiatement contre-attaqué en rédigeant un courrier collectif pour exprimer leur désaccord avec la position du Copa-Cogeca et indiquer qu’ils soutenaient les compromis trouvés sur le texte en commission. Et heureusement, le texte a été adopté avec une majorité des deux tiers.

Je dois dire que j’ai été très surprise par la position du Copa-Cogeca, et surtout choquée par sa manière de procéder, qui ne me semble pas du tout être de nature à protéger les intérêts des agriculteurs. Ce n’est pas terminé, car le texte doit désormais être adopté en séance plénière au Parlement dans le courant octobre. Et ne voilà-t-il pas que je découvre que le Copa-Cogeca est à nouveau en train de manœuvrer pour que les députés rejettent le texte !

Pourquoi un tel acharnement contre ce texte ?

Sur le plan européen, les coopératives ont des intérêts économiques extrêmement forts, notamment en Allemagne, en Irlande ou au Danemark dans la filière laitière, où elles collectent la quasi-totalité du lait. Ensuite, il y a des pays comme la Suède, la Finlande, l’Estonie, la Lituanie, qui, d’une part, ne possèdent pas un important secteur agricole comme la France, l’Italie ou l’Espagne, et d’autre part, ont un rapport très différent à leur alimentation. Pour ceux-là, il convient toujours de favoriser la compétitivité des entreprises afin d’obtenir le prix le plus bas pour le consommateur. En conséquence, au sein de la Cogeca, qui représente les coopératives, la position de la France, de l’Espagne et de l’Italie peut être minoritaire. Idem au Conseil et au Parlement. Nous rencontrons d’ailleurs le même problème lors des discussions autour du Mercosur, où la position française est loin d’être majoritaire dans l’Union européenne…

Ainsi, au Conseil, la France n’a toujours pas réuni suffisamment de pays pour obtenir la minorité de blocage. C’est donc au Parlement, où une majorité simple est requise, que les choses vont se régler. Mais rien n’est gagné car, pour de nombreux députés, ce sont les enjeux nationaux qui priment.

« Mes collègues me rétorquent systématiquement que si notre élevage ne se porte pas bien, cela ne peut pas être en raison d’un accord de libre-échange qui n’est pas encore entré en vigueur ! »

Quel que soit leur groupe politique, tous les Allemands sont en faveur du Mercosur. Et il en va de même pour les Espagnols, les Danois, etc. En fait, sur des sujets comme ça, les députés votent en fonction de leur ligne nationale. À l’exception notable des groupes d’extrême gauche et des Verts, qui, s’opposant radicalement au libre-échange, voteront comme nous au Parlement.

Lorsque j’explique à mes collègues les raisons de notre refus, ils me rétorquent systématiquement que si notre élevage ne se porte pas bien, cela ne peut pas être en raison d’un accord de libre-échange qui n’est pas encore entré en vigueur ! Et mes interlocuteurs de me suggérer qu’avant de mettre en cause cet accord, nous autres Français ferions bien de faire le ménage chez nous, pour ne plus avoir de surtranspositions, revoir le coût de la fiscalité qui est le plus élevé d’Europe, revoir le coût social, etc. Ils admettent qu’ils raisonnent en fonction de leurs consommateurs et de leurs autres filières (automobile, chimique, pharmaceutique…), et répètent qu’il n’est pas question pour eux de voter contre leurs intérêts nationaux juste pour protéger notre agriculture, qui est déjà en piteux état.

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