AccueilDécryptage« Inexactitudes, amalgames et contrevérités » du professeur Selosse

« Inexactitudes, amalgames et contrevérités » du professeur Selosse

Microbiologiste réputé, spécialiste des sols et des champignons, Marc-André Selosse vitupère de plus en plus contre l’agriculture conventionnelle, alignant son discours sur celui de l’écologie politique radicale

En multipliant les conférences, les podcasts et les interventions auprès des médias, le biologiste Marc-André Selosse s’est peu à peu imposé comme une figure incontournable en matière d’agriculture et d’environnement.

Microbiologiste spécialiste des sols et des champignons, professeur au Muséum national d’histoire naturelle à Paris et membre de l’Académie d’agriculture de France, il assure consacrer aujourd’hui une partie de son temps à « expliquer ce que la science nous dit de la vie et de l’avenir », afin, notamment, de contrer les « mouvements antiscience, les défiances sur les technologies et les médications, et les fake news ». Il estime enfin que « le citoyen perd actuellement sa liberté de choix » car il a perdu « ce lien au monde et à la nature ».

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Affichant sa volonté d’ouverture et de dialogue, il n’hésite pas à vouloir « expliquer cette science à tous : Nestlé, Safran, Véolia, lycées public ou privé, collèges, municipalités, groupes de jardiniers, agriculteurs (formations Vivea), Syngenta, commission environnement du RN, députés et sénateurs de toutes appartenances, fête de LO, Fnab, FNSEA », et, précise-t-il, le faire « sans mépris ». À l’intention du monde agricole, il précise ne jamais utiliser des termes péjoratifs comme « lobby », « agricultueurs », « écoloréac », « pollueurs ». « Je n’aime guère lire ces catégorisations dans les fils de discussion : porteuses d’un jugement négatif, elles réduisent des individus aux défauts supposés d’une catégorie », insiste-t-il avant de conclure : « Cela fracture la société et la discussion. »

Ce positionnement, au demeurant très raisonnable, vaut au professeur Selosse une large audience et une incontestable respectabilité.

D’autant qu’il prétend livrer un combat acharné contre « l’anti-science »: « On n’y bascule pas d’un coup, comme par l’avènement du trumpisme : on s’y prépare en fait progressivement, par pas japonais », explique-t-il sur le réseau social LinkedIn. Très bien… sauf que le premier de ces fameux « pas japonais » dont il fasse mention est la proposition de loi du sénateur Laurent Duplomb ! « Une étape, en cours en France, est la récurrence des décisions politiques qui font fi de la science. J’en parle souvent dans mes billets, le retour en arrière sur les pesticides (loi Duplomb) nie la recherche sur leur toxicité et celle sur leurs alternatives », écrit-il, quelques jours avant de publier une tribune à ce sujet.

Sa tribune, parue dans Le Monde, a suscité l’émoi de collègues de l’Académie qui n’ont pas hésité à souligner « des inexactitudes, des amalgames voire les contrevérités qui y figurent »

Parue dans Le Monde daté du 21 mai et intitulée « Seule l’agroécologie lèvera les contraintes sanitaires et financières qui pèsent sur les agriculteurs », cette tribune a suscité l’émoi de collègues de l’Académie, qui, dans une lettre ouverte qu’ils lui ont adressée le 12 juin, soulignent « des inexactitudes, des amalgames voire les contrevérités qui y figurent ». Des propos plutôt embarrassants pour celui qui prétend « expliquer ce que la science nous dit ».

Des lacunes au sujet des cancers

De fait, le spécialiste de la truffe semble manquer totalement de discernement pour ce qui est des problèmes sanitaires liés aux pesticides, et en particulier au sujet des cancers, insiste le texte.

De toute évidence, il n’a pas assisté à la séance de l’Académie d’agriculture du 22 janvier dernier, dont le thème était précisément : « Protéger la santé des agriculteurs face à l’utilisation des produits phytosanitaires : quelles évolutions ? » L’état des connaissances y était présenté par l’épidémiologiste Catherine Hill, qui a été spécialiste des cancers à l’institut Gustave Roussy. « Les données alarmistes que vous produisez ne reflètent pas la réalité », dénoncent ainsi les auteurs de la lettre ouverte, faisant référence à cette journée d’information. Et de rappeler qu’« au contraire, les études réalisées dans ce domaine tendent à prouver que les agriculteurs seraient globalement en meilleure santé que le reste de la population ». Cela correspond d’ailleurs aux conclusions de l’étude française Agrican (qui concerne une cohorte de plus de 180 000 personnes sui- vies depuis 2005) : « Toutes causes confondues, les hommes et les femmes de la cohorte ont une mortalité inférieure de 25% à celle de la population générale. » « Le jugement que vous portez sur la question “pesticides et cancer” à partir de deux maladies isolées du contexte général donne une vision inexacte de la situation », déplorent encore les académiciens. En effet, extrapoler à partir de deux maladies isolées ne constitue pas vraiment une démarche très scientifique… Un comble pour quelqu’un qui mène une croisade contre les fake news !

Un zéro pointé sur l’agroécologie

Et, comme le documentent les auteurs de la lettre ouverte, sur l’agro-écologie elle-même, qui est au cœur de sa tribune, le professeur semble avoir aussi quelques graves lacunes : « Contrairement à ce qui est affirmé dans le titre, l’agroécologie est actuellement incapable d’assurer la rentabilité économique des agriculteurs. Depuis dix ans, le projet Syppre conduit par les instituts techniques agricoles met à l’épreuve du terrain différents systèmes agroécologiques dans l’objectif d’atteindre la multiperformance (technique, environnementale et économique). Une synthèse récente des connaissances acquises sur ce réseau conclut que si les performances techniques et environnementales sont presque toujours améliorées, cela se fait au détriment de la rentabilité économique dans 80 % des sites », notent les auteurs, non sans préciser : « La perte de rentabilité est essentiellement due aux surcoûts de certaines pratiques (temps de travail, investissements spécifiques…), à la faible rémunération des cultures de diversification et à la baisse des surfaces de cultures principales plus rémunératrices. »

Au sujet des cultures d’espèces en mélange dont Marc-André Selosse fait la promotion, ses collègues académiciens lui rappellent d’abord que, pour une telle pratique, « il faut à peu près le double de surface cultivée pour produire la même quantité de blé », et ensuite que celle-ci « présente des verrous qui freinent son développement » : « Il n’existe pas de solutions de protection disponibles suffisamment efficaces dès lors que certaines adventices (graminées) se développent, soulignent fréquemment les producteurs. » En outre, « des obstacles subsistent aussi dès lors que l’on veut valoriser les grains récoltés séparément. L’étape la plus critique reste le tri des grains en termes d’investissement (outils de triage, cellule de séchage) et de réglementation (pureté parfois insuffisante pour les normes de l’alimentation) ». Enfin, « le développement de filières est confronté aujourd’hui à un manque d’attractivité économique. Les filières en place (lentille-blé dur en Provence, blé tendre-pois en Wallonie…) sont des réussites locales mais restent aujourd’hui des niches occupant des surfaces marginales ». Bref, pour déployer cette pratique à fort potentiel agroécologique, « il s’avère donc nécessaire de disposer d’innovations qui n’existent pas encore aujourd’hui : une sélection variétale dédiée aux associations d’espèces, une démocratisation des outils de triage et pourquoi pas de nouveaux aliments issus du mélange d’espèces sans avoir à les séparer ».

Et ce n’est pas tout ! Alors que l’usage des pesticides reste la préoccupation majeure de Selosse, l’intérêt des mélanges de variétés au sein d’une même parcelle pour éviter les maladies n’est pas du tout évident. Ainsi, les nombreuses références acquises par les essais sur le terrain suggèrent des effets nettement moins bénéfiques.

Les auteurs de la lettre ouverte estiment que le professeur a également quelques graves lacunes au sujet de l’agro-écologie

C’est le cas des résultats des travaux d’Arvalis et de la coopérative Vivescia (sur 151 essais au total, étalés sur cinq ans) qui concluent que les gains obtenus par cette pratique ne sont pas suffisants pour justifier de telles préconisations. « Dans la très grande majorité des situations, les écarts de rendement en parcelles traitées, mais également les écarts de rendement entre les parcelles traitées et non traitées, ne sont que très rarement significatifs au seuil de 5 %, même en présence de forts développements de maladies conduisant à des pertes sévères de rendement (> 10 q/ha) », rappellent les auteurs de la lettre ouverte.

En revanche, les résultats du projet Wheatamix, sur la base de 160 mélanges analysés, concluent à une meilleure performance des mélanges, en particulier les mauvaises années (récolte 2016) ou dans les conduites moins intensives à bas intrants, mais avec, en valeur moyenne, un gain de rendement relatif à l’avantage des mélanges d’à peine 2,2%.

Excès et caricatures des ONG

En réalité, et de façon régulière, le spécialiste des mycorhizes des orchidées reprend à son compte les éléments de langage, excès et caricatures diffusés par les ONG écologistes.

Interrogé en février 2024 par Vakita, le média en ligne du journaliste militant Hugo Clément, il affirmait que « le gouvernement a signé la mort provisoire de l’agriculture française », une agriculture qu’il apparente à un « bordel où les gens réclament des droits à foutre dans les sols de France 100 000 tonnes de pesticides par an ». Un chiffre parfaitement exagéré puisqu’en 2023, ce sont 42 600 tonnes qui ont été utilisées (ou plus précisément 66 400 tonnes si l’on y ajoute les 23 800 tonnes de produits phytosanitaires et les biocontrôles autorisés en bio).

Marc-André Selosse joue sur les mêmes peurs que la nébuleuse écolo-bio, en fustigeant « la toxicité des aliments qui sont bourrés de pesticides ou de cadmium ». « Il y a besoin de sortir du technologique, de sortir du chimique et de prendre le vivant comme solution », martèle-t-il, s’adossant au discours des militants antipesticides. « Toute tentative d’alléger la réglementation sur les produits pesticides, c’est un meurtre d’agriculteur, ils sont les premières cibles », clamait encore le professeur lors de la campagne « Tous exposés » portée par Générations Futures et des acteurs du biobusiness, avant de prendre fait et cause pour l’agriculture biologique, « une agriculture qui ne tue pas, qui ne tue pas en particulier les consommateurs ».

Mais faut-il vraiment s’étonner des lacunes scientifiques de Marc-André Selosse lorsqu’on découvre que le professeur n’a pas hésité à venir à la rescousse de Gilles-Éric Séralini, au moment où furent dénoncées les nombreuses failles de sa fameuse étude sur les OGM ?

Ainsi, le 14 novembre 2012, Selosse signait une lettre ouverte prenant la défense de Séralini, en dépit du protocole défaillant de l’étude qui avait conduit à des conclusions erronées. Là aussi, on aurait pu espérer davantage de rigueur scientifique de la part de quelqu’un en lutte contre « l’anti-science ».

Autre fait, tout aussi malaisant : en 2020, Marc-André Selosse a signé l’appel de Scientifiques en rébellion, ce groupe radical et décroissant qui incite à participer « aux actions de désobéissance civile ». Et quatre ans plus tard, il justifiait indirectement l’action violente en confiant au média décroissant Reporterre : « Je suis non violent, mais il faut regarder les choses en face : quand on voit que la violence des agriculteurs paye face au gouvernement, on se dit que si on veut que l’écologie paye, il faut en faire autant. »

Au bout du compte, on peut raisonnablement s’interroger sur la nature très particulière de cette relation que Marc-André Selosse entretient avec la science, et pas seulement lorsqu’il accuse les agriculteurs conventionnels de tuer les consommateurs avec leurs aliments « bourrés de pesticides ».

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