Avant toute remarque, il importe de souligner que, dans sa décision rendue publique le 7 août, le Conseil constitutionnel valide la quasi-totalité du texte de la loi dite « Duplomb », écartant la majeure partie des griefs formulés dans les trois saisines. Seuls deux articles de la loi ont été censurés : l’article 2 concernant la réintroduction possible de l’acétamipride, et l’article 8 considéré comme un « cavalier législatif ». Enfin, l’article 5 relatif à l’implantation d’ouvrages de stockage d’eau a fait l’objet de deux prescriptions qui ne modifient en rien le texte, et qui semblent au demeurant plutôt légitimes.

recevez notre newsletter pour ne pas manquer nos infos, analyses et décryptages
Ne se trompant pas sur la portée historique de cette décision, qui, par ailleurs, valide de facto le concept d’« intérêt général majeur », la Confédération paysanne, radicalement opposée au texte, a immédiatement réagi, estimant que cette réponse représentait « une sombre victoire pour l’agro-industrie ». C’est, en tout cas, indéniablement une belle réussite pour le sénateur Laurent Duplomb, qui peut se féliciter qu’en décidant de ne pas retoquer l’intégralité de la loi, le Conseil constitutionnel en reconnaisse le bien-fondé. « Bien qu’ayant un article essentiel censuré, cette loi représente un premier pas pour mettre un coup d’arrêt à cette dérive mortifère de l’écologie punitive, qui n’a fait qu’imposer contraintes sur contraintes à notre agriculture », a-t-il confié à A&E, soulignant notamment l’importance de l’alinéa 77. Selon celui-ci, en effet, toutes mesures visant à préserver les capacités de production des filières agricoles et à les prémunir contre les distorsions de concurrence représentent un motif d’intérêt majeur.
Dans ce contexte, comment expliquer la censure de l’article 2, qui, justement, ne permet pas au législateur de répondre à cet impératif d’intérêt majeur ?
Une lecture attentive de l’avis suggère que le Conseil constitutionnel a ainsi voulu établir le cadre nécessaire pour que les futures demandes de dérogation soient bel et bien conformes à l’article 1er de la Charte de l’environnement. Pour rappel, dans une décision préalable en date du 10 décembre 2020, ce même Conseil constitutionnel avait déjà validé les dérogations concernant un néonicotinoïde (le thiaméthoxame) sur betterave, alors qu’il estimait que cette famille de produits avait « des incidences sur la biodiversité, en particulier pour les insectes pollinisateurs et les oiseaux », et « des conséquences sur la qualité de l’eau et des sols et induit des risques pour la santé humaine ».
Or, selon les sages du Palais-Royal, dans la loi Duplomb, les conditions d’autorisation à titre dérogatoire seraient trop imprécises : valables pour toutes les filières agricoles, c’est-à-dire « sans les limiter à celles pour lesquelles le législateur aurait identifié une menace particulière dont la gravité compromettrait la production agricole », sans limitation dans le temps et sans précision des usages et traitements concernés. Ainsi, le Conseil constitutionnel ne conteste pas le principe de dérogation d’un produit de la famille des néonicotinoïdes, mais il estime que la loi Duplomb ne définit pas un cadre d’usage suffisamment strict. Le collectif Notre Affaire à Tous, également très hostile à la loi, confirme – et déplore – que « le Conseil constitutionnel censure la dérogation prévue par la loi Duplomb uniquement parce qu’elle n’était pas suffisamment encadrée : elle visait un champ trop large de substances et d’usages, et autorisait leur pulvérisation, particulièrement risquée ». Et de regretter : « Cette décision laisse ouverte la possibilité d’une nouvelle loi qui, si elle respecte certains critères, pourrait permettre une nouvelle dérogation. »
Autrement dit, la décision du Conseil constitutionnel fournit au législateur le mode d’emploi pour les prochaines demandes de dérogation. Les cartes sont donc désormais entre les mains du gouvernement et de ceux qui souhaitent défendre notre agriculture.