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La nouvelle croisade du député Ramos : interdire l’hexane

L’hexane, un solvant largement utilisé dans l’industrie, se retrouve désormais mis en cause par le député MoDem Richard Ramos, persuadé que ce produit représente un danger sanitaire pour les consommateurs. Décryptage d’un faux scandale

Depuis novembre 2024, le député MoDem du Loiret, Richard Ramos, s’est lancé dans une nouvelle croisade contre l’hexane, un solvant utilisé pour l’extraction des huiles végétales et la fabrication de divers produits industriels. Selon ses dires, il aurait été contacté par un « lanceur d’alerte qui travaille dans une usine ». « Il était surpris de voir une citerne contenant de l’hexane avec une tête de mort dessus, et il me dit “j’en mets dans les huiles et quand le consommateur mange cette huile, il ne sait pas qu’il y en a” ». Ainsi, à l’occasion du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), le député a déposé un amendement afin d’imposer un taux de redevance aux utilisateurs de ce produit, affirmant que cette substance serait « particulièrement préoccupante » pour les professionnels, mais aussi pour « la population générale via l’environnement et l’alimentation ». À terme, Richard Ramos souhaite interdire purement et simplement tout usage de ce solvant, pourtant autorisé depuis les années 1970.

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Bien qu’il existe plusieurs méthodes d’extraction – dont celle par pression, utilisée dans des installations de taille modeste ou pour les huileries artisanales –, l’extraction avec solvant présente l’immense avantage de pouvoir récupérer la quasi-totalité de l’huile contenue dans les graines.

Tant du point vue environnemental qu’énergétique et économique, ce procédé d’extraction avec l’hexane demeure encore aujourd’hui le plus satisfaisant, notamment en raison de sa très bonne affinité chimique avec les huiles et de son excellente capacité de récupération permettant non seulement une élimination mais aussi un recyclage efficace.

Toutefois, ce solvant n’est pas sans risques. Dès les années 70, l’exposition aux vapeurs d’hexane a été classée comme risque professionnel, et des cas de problèmes de santé (paralysie des bras, vertiges ou encore vomissements) ont été constatés chez des ouvriers d’usines de chaussures, de peintures ou d’huileries exposés à de fortes doses. Plus récemment, en 2011, l’entreprise Apple a reconnu que 137 ouvriers ont été intoxiqués aux vapeurs d’hexane dans ses usines chinoises. Elle a donc choisi de cesser l’usage de ce solvant dans les produits utilisés pour nettoyer ses écrans d’Iphone. Enfin, selon le ministère de la Transition énergétique, plus d’une centaine d’accidents graves, dont certains mortels, liés à l’hexane ont été recensés, principalement dus au fait qu’il est à la fois très inflammable et très explosif.

Aucune alerte pour la santé des consommateurs

Cependant, concernant la santé des consommateurs, et contrairement à ce que sous-entend le député Richard Ramos, aucune agence sanitaire n’a relevé d’alerte particulière sur l’hexane. Utilisé en amont lors de l’extraction de l’huile, le solvant ne se retouve pas dans le produit destiné à la consommation, sauf peut-être sous forme de résidus infinitésimaux, c’est-à-dire indétectables, et, bien entendu, systématiquement au-dessous des seuils réglementaires (moins de 1 ppm dans les huiles). C’est ce qui justifie le fait qu’il n’a pas à figurer sur les étiquettes.

C’est d’ailleurs ce qu’a pu constater la cellule investigation de Radio France. Elle a révélé des analyses de laboratoire, qui auraient, curieusement, réussi à quantifier la présence de résidus d’hexane dans la moitié des échantillons alimentaires (d’huiles, de margarines, de beurres, d’œufs et de morceaux de poulets achetés dans des commerces) testés en 2024 (25 sur 54), mais toujours à des taux « bien en dessous de la limite réglementaire fixée (LMR) » , à savoir « de 0,01 à 0,4 ppm ». Ce qui a permis au député Modem d’affirmer que « ce produit-là pose un problème ». « Est-ce que vous croyez que c’est normal qu’on ait des produits avec du pétrole et que ça ne soit pas indiqué sur l’étiquette? Au mieux il faudra le dire sur l’étiquette “vous avez du pétrole dans votre assiette”, au pire il faudra l’interdire », insiste Richard Ramos.

Concernant la santé des consommateurs, et contrairement à ce que sous-entend le député Richard Ramos, aucune agence sanitaire n’a relevé d’alerte particulière sur l’hexane

Or, un faisceau d’éléments suggère que ces taux sont tout simplement faux. Tout d’abord parce que deux des huiles testées et vendues par Carrefour ont été obtenues par pression, donc sans solvant. Idem pour les deux huiles issues de l’agriculture biologique. Une contre-analyse effectuée par le groupe Emile Noël, vendeur d’une de ces huiles bio, n’a d’ailleurs pas confirmé ces résultats. Ensuite, parce que, suite à cette alerte, l’Iterg, le laboratoire français de référence pour l’hexane, a analysé plus d’une centaine d’échantillons d’huile, et les résultats sont sans appel : « Nous n’avons trouvé aucune trace d’hexane », précise pour A&E Jean-David Leao, directeur adjoint de l’Iterg.

Alors, comment expliquer les résultats présentés par Radio France ? Pour l’expert, la réponse est évidente : il s’agit de faux positifs. Une hypothèse d’autant plus crédible que, comme l’indique Jean-David Leao, alors que son laboratoire vient de développer une méthode permettant de fixer la limite de détection pour l’hexane à 0,03 ppm, il n’existe à ce jour aucune méthode fiable permettant de le quantifier à moins de 0,1 ppm! Il aurait donc été préférable que M. Ramos fasse confirmer les résultats de Radio France avant de se lancer dans une communication particulièrement anxiogène…

Vers une nouvelle évaluation de l’Efsa

Toutefois, ce seuil réglementaire, défini par une évaluation de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) date de plus de vingt-cinq ans et se basait sur une seule étude de génotoxicité de quatre-vingt-dix jours sur des animaux, avec des doses relativement élevées d’hexane.

À l’époque, l’agence européenne avait conclu que les faibles niveaux de résidus d’hexane dans les aliments ne présentaient pas de risque pour la santé des consommateurs.

Il était donc tout à fait normal que, vingt-cinq ans plus tard, l’Efsa rouvre ce dossier. Ce qu’elle a fait en 2024 dans un rapport technique, estimant nécessaire de remettre à jour les données d’exposition et de résidus, sans toutefois recommander une quelconque interdiction. Autrement dit, l’agence a jugé que les produits utilisant de l’hexane continuaient d’être considérés comme sûrs au regard de la réglementation en vigueur. Ses travaux devraient être disponibles au plus tard en décembre 2027.

Le fait que l’agence annonce vouloir procéder à cette réévaluation semble avoir été le prétexte pour la nouvelle croisade de celui qui se considère comme « un grand défenseur de la gastronomie française ». Surfant sur la fabrique de la peur, il agite ainsi des prétendus risques sanitaires pour les consommateurs, alors qu’il n’y a eu, à ce jour, aucune alerte sanitaire. « Aucune information ne nous est remontée qui aurait pu indiquer que son usage pose un problème pour les consommateurs », confirme Laurent Rosso, le directeur de Terres Inovia, l’institut technique de la filière des huiles et protéines végétales, qui poursuit : « Si nous avions connaissance du moindre problème pour les consommateurs avec l’usage de l’hexane, nous ne l’utiliserions pas. »

Profitant d’une vaste campagne médiatique débutée par Libération en octobre 2024, et reprenant à son compte les discours les plus anxiogènes sur l’hexane, Richard Ramos a déposé, le 11 mars 2025, une proposition de loi visant à 1) rendre obligatoire l’insertion d’un avertissement sanitaire sur les produits ayant utilisé ce solvant ; 2) suspendre son usage pour les populations « les plus à risques » ; 3) l’interdire progressivement, « au nom du principe de précaution ».

Reprenant à son compte les discours les plus anxiogènes sur l’hexane, Richard Ramos a déposé, le 11 mars 2025, une proposition de loi pour interdire progressivement l’hexane

Pour le délégué général de la Fédération nationale des corps gras (FNCG), Hubert Bocquelet, « l’abandon précipité de l’hexane, sans solution de rechange viable, poserait un risque pour la filière, tant en termes de productivité que d’accessibilité des huiles végétales pour les consommateurs ». « Si des recherches sont en cours sur des alternatives à l’hexane, aucune solution de remplacement ne répond aujourd’hui aux impératifs industriels de la filière », insiste-t-il.

Quid des alternatives ?

Qu’en est-il alors du 2-méthyloxolane, né d’un projet porté par Terres Inovia en collaboration avec le laboratoire Green de l’université d’Avignon et l’industriel Saipol ?

Ayant reçu de l’Efsa en février 2022 le feu vert pour son utilisation, le 2-méthyloxolane est produit et commercialisé par la société EcoXtract. Sa cofondatrice, Laurence Jacques, elle aussi très présente dans les médias sur ce dossier, affirme qu’« avec des modifications limitées et une consommation énergétique la plus proche possible de celle de l’hexane », il pourrait facilement s’intégrer dans les usines existantes : « Au niveau d’une usine, il faut changer les joints, rajouter une colonne de distillation de l’eau en fin de circuit, et vérifier l’équilibre du procédé grâce à une simulation. Bien préparées, les modifications peuvent être faites en un mois, au cours de l’arrêt technique. »

Cette belle assurance n’est pas en accord avec le constat établi par une série d’articles publiés dans la revue à comité de lecture Oilseeds and fats, Crops and Lipids (OCL), qui recensent les différentes alternatives potentielles. Ainsi, si l’ expert de Terres Inovia Patrick Carré écrit dans son article daté du 23 avril 2025 que « sur la base de l’état actuel de la recherche et du développement, on peut déduire que si les études de qualification du 2-méthyloxolane étaient achevées et que leurs résultats étaient rendus publics, ce solvant pourrait potentiellement apparaître comme une alternative viable du point de vue des parties prenantes industrielles », on émet néanmoins des interrogations chez Terres Inovia sur sa faisabilité industrielle. « Cela reste encore à démontrer », nuance ainsi Laurent Rosso. Et Hubert Bocqueletd’ajouter :« L’extractionavecle 2-méthyloxolane entraîne l’extraction d’autres composants dans l’huile qui devront être éliminés avant utilisation finale dans le raffinage ». « En outre, sa récupération nécessite davantage d’énergie et une unité de rectification dédiée compte tenu de son affinité pour l’eau, donc in fine une série d’investissements et de modifications considérables des usines actuelles. Enfin, son stockage comporte des risques, car ce solvant peut se décomposer en peroxydes s’il n’est pas stabilisé par l’ajout d’antioxydant », continue-t-il.

« D’un point de vue technique, I’hexane demeure aujourd’hui le solvant le plus performant pour les triturateurs », résume Patrick Carré. Les articles d’OCL mentionnent également le dichlorométhane qui « pourrait constituer un substitut pertinent en raison de sa nature non explosive », sauf que sa toxicité est problématique. En revanche, ils confirment que, pour la sécurité des travailleurs, « l’isopropanol et l’éthanol sont des choix préférables », tandis que sur le plan environnemental, « l’acétate d’éthyle pourrait être favorisé en raison de sa moindre consommation d’énergie », alors que « l’éthanol serait plus acceptable du point de vue de la sécurité sanitaire des aliments ».

« Les pouvoirs publics doivent arbitrer entre le possible et le souhaitable et penser en termes de coûts et bénéfices multicritères (sécurité, toxicité, environnement, accessibilité, etc.) à l’échelle globale », conclut Patrick Carré

Tous ces articles mettent en évidence la complexité du problème en raison de nombreux impératifs, à savoir l’efficacité extractive du solvant, la sécurité opérationnelle, le risque d’explosion, la toxicité pour les travailleurs, l’impact environnemental, les modifications du process, la consommation d’énergie, la qualité des produits, la toxicité résiduelle, le niveau de maturité technologique et la faisabilité économique.

« Les pouvoirs publics doivent arbitrer entre le possible et le souhaitable et penser en termes de coûts et bénéfices multicritères (sécurité, toxicité, environnement, accessibilité, etc.) à l’échelle globale », conclut Patrick Carré. Des propos qui semblent bien plus raisonnables que ceux, préciptés, du député Richard Ramos.

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