L’étrange restitution des résultats de PestiRiv a entraîné une avalanche d’articles plus anxiogènes les uns que les autres, alors qu’un examen rigoureux des données révèle plutôt une situation rassurante, sans risque avéré pour la santé des riverains
« Les résultats ne faisaient guère de doute, ils sont désormais difficilement contestables », se félicite le journaliste Stéphane Foucart dans son article paru dans Le Monde le 15 septembre, après la publication des conclusions de l’étude PestiRiv, qui mesurait la présence des pesticides chez les riverains d’exploitations viticoles.

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La communication de l’Anses fournit des munitions aux ONG
Cette étude, réalisée par l’Anses et Santé publique France (SPF), est d’une ampleur inédite : 2 000 adultes et 750 enfants ont ainsi été suivis sur 265 sites répartis dans 6 régions de France, avec la recherche de plus d’une cinquantaine de molécules dans des milliers d’échantillons (par prélèvements d’urine et de cheveux, prélèvements d’air et de poussières, ainsi que dans les productions de fruits, légumes et œufs). Un travail considérable qui a coûté environ 11 millions d’euros.
La restitution des conclusions ayant été présentée de façon résolument anxiogène, les articles publiés après la conférence de presse ne sont pas, pour la plupart, de nature à rassurer les lecteurs. Bien au contraire !
— Voir aussi : Pesticides dans les vignes : questions sur l’étude PestiRiv au directeur de l’Anses
Et sans surprise, l’association Agir pour l’environnement a immédiatement adressé à ses soutiens une demande de participation à une « action judiciaire collective, afin d’obtenir réparation du préjudice subi ». « C’est désormais officiel : vivre à proximité de parcelles viticoles traitées avec des pesticides conduit les riverains à être exposés à une kyrielle d’insecticides, herbicides et fongicides », a réagi l’association en annonçant vouloir saisir la justice « en lien avec notre avocate Corinne Lepage »
Et de dénoncer : « Trouble du voisinage, préjudice d’anxiété, mise en danger de la vie d’autrui… autant de motifs mettant en cause les ministres de l’Agriculture successifs qui, par leur inaction, ont rendu possible une imprégnation généralisée des riverains des parcelles agricoles traitées par les pesticides. » Estimant le coût de chaque procédure judiciaire à environ 500 euros, « en tenant compte des prélèvements de poussières ainsi que des analyses identifiant la présence de pesticides dans les urines et cheveux », Agir pour l’environnement propose de « mutualiser la procédure et son financement », non sans préciser : « Et que vous habitiez ou pas à proximité d’une zone traitée, vous pouvez nous aider en faisant un don déductible de vos impôts à hauteur de 66 % de la somme versée. »
On l’aura compris, la présentation anxiogène de PestiRiv fournit des munitions aux avocats pour leurs futures actions en justice, puisque, comme on a eu l’occasion de le constater, c’est désormais dans les tribunaux que se décide le sort des pesticides. D’où l’impérieuse nécessité d’analyser correctement les données chiffrées, qui révèlent au contraire des résultats plutôt rassurants, voire même très rassurants.
Le cas du glyphosate
S’agissant du très médiatisé glyphosate, par exemple, cette étude, « désormais difficilement contestable », pour reprendre les mots de Foucart, démontre avant toute chose la tromperie de l’opération des pisseurs volontaires, qui avait conclu à « une contamination généralisée de la population », en annonçant une présence dans 99,8 % des échantillons de « niveaux quantifiables (à un niveau moyen de 1,19 ng/ml) ».
On l’aura compris, la présentation anxiogène de PestiRiv fournit des munitions aux avocats pour leurs futures actions en justice, puisque c’est désormais dans les tribunaux que se décide le sort des pesticides
Or, que dit aujourd’hui l’étude de l’Anses et de SPF ? Que le glyphosate a été quantifié dans moins de 40 % des échantillons analysés, avec moins de 2 % des adultes dépassant la VRE (valeur de référence d’exposition en population générale) de l’Ampa et du glyphosate (respectivement 0,3 ng/ml et 0,4 ng/ml). Autrement dit, pour le glyphosate, moins de 2 % des personnes auraient un taux supérieur à 0,4 ng/ml
Ce qui induit tout naturellement la question suivante : comment les pisseurs volontaires ont-ils pu trouver dans 99,8 % de leurs échantillons des taux de glyphosate en moyenne de 1,19 ng/ml ?
Et ce n’est pas tout. Car aucun échantillon ne dépasse la valeur d’équivalence de biosurveillance (BE), qui est pour le glyphosate de 5400 ng/ml, c’est-à-dire un seuil au-dessous duquel la probabilité d’apparition d’effets délétères est faible. Autrement dit, les niveaux de glyphosate retrouvés sont d’un ordre de grandeur de 13 500 fois inférieur à la BE. On est, à l’évidence, loin, très loin, de quantités qui poseraient un problème sanitaire. D’ailleurs, pour recontextualiser l’ordre de grandeur de ces données, il n’est pas inutile de rappeler que 1 ng/ml équivaut à retrouver 2 à 3 grains de sel dans une piscine olympique.
Aucune alerte sanitaire, et pour cause…
On comprend donc mieux pourquoi la directrice générale de SPF, Caroline Semaille, interrogée par la journaliste du Point Géraldine Woessner, a confirmé le caractère rassurant des résultats de l’étude, estimant que « les “circonstances” ne sont pas réunies pour sonner “l’alerte” ». Avis partagé par l’Anses, puisque l’agence n’a pas jugé nécessaire de revoir les AMM des matières actives détectées.
Pour saisir pleinement tout ce que ces résultats ont de rassurant, il faut entrer dans le vif du sujet en analysant justement les données du glyphosate. En ce qui concerne sa présence dans l’air, les quantités retrouvées sont de l’ordre de 0,000000037 mg/m3, soit environ 27 000 fois moins que le seuil réglementaire exigé dans le cadre des dossiers d’homologation pour l’exposition aux enfants (0,001 mg/m3). Et l’échantillon le plus élevé (0,00000043 mg/m3) représente moins que 0,0001 % de la DJA (dose journalière admissible) pour les adultes et 0,0002 % pour les enfants. Ce qu’on retrouve dans l’air, pour le glyphosate comme pour les autres produits analysés, correspond d’ailleurs à ce qu’on a trouvé dans la campagne nationale exploratoire des pesticides (CNEP), qui a été menée conjointement par l’Anses, l’Ineris et le réseau des Associations agréées de surveillance de la qualité de l’air (AASQA) entre juin 2018 et juin 2019. À l’époque, l’Anses avait déjà conclu à l’absence de risque sanitaire.
Ainsi, un simple calcul permet d’établir qu’un adulte de 65,8 kg devrait consommer en 24 heures 705 kg de ces haricots « contaminés » pour atteindre la dose de référence aiguë
Il en va de même pour les échantillons prélevés dans les denrées agricoles produites près des vignes. Un seul des échantillons (de haricots verts) contient du glyphosate qui a une valeur supérieure à la LMR (limite maximum de résidus), mais il représente 0,1 % de la ARfD (la quantité maximum de substance qui peut être ingérée par le consommateur pendant une courte période, sans risque d’effet dangereux sur sa santé). Ainsi, un simple calcul permet d’établir qu’un adulte de 65,8 kg devrait consommer en 24 heures 705 kg de ces haricots « contaminés » pour atteindre la dose de référence aiguë.
Pour les poussières, qui peuvent entraîner une exposition par inhalation si elles se dispersent dans l’air, on relève également des ordres de grandeur particulièrement rassurants. Ainsi, avec les taux de glyphosate retrouvés, il faudrait qu’un adulte ou un enfant absorbe chaque jour de sa vie environ 2,8 kg de poussières pour atteindre la DJA. Ce qui est physiquement impossible.
En fin de compte, que l’on considère les échantillons d’urine, de cheveux, d’air ou de poussières, tous dans l’ordre du nanogramme, on est bien loin des seuils de sécurité fixés par des agences telles que l’Autorité européenne de sécurité des aliments, qui se situent plutôt autour du microgramme, c’est-à-dire d’un facteur de 1 000 fois plus. Certes, l’étude démontre bien que les riverains de zones viticoles sont plus exposés aux pesticides utilisés que les personnes habitant dans des zones plus éloignées de toute culture, que cette exposition augmente en période de traitement et qu’elle dépend des quantités épandues et de la proximité avec les cultures. Mais toutes les analyses réalisées prouvant qu’on reste bien au-dessous des seuils réglementaires, il n’y a pas lieu de s’inquiéter.
Comme le résume Le Point : « Les résultats de l’étude collent avec les essais cliniques demandés par les autorités avant la mise sur le marché des différentes molécules » afin d’écarter les risques de toxicité. On pourrait même plutôt en conclure que les protocoles utilisés par l’Anses dans ses évaluations de toxicité se basent sur des hypothèses de présence bien supérieures à ce que l’on retrouve sur le terrain.