Mis en cause dans un documentaire par le militant écolo Hugo Clément, le drainage est pourtant un moyen reconnu pour régulariser et sécuriser les rendements dans le cadre d’une agriculture durable et pérenne
Dans son reportage intitulé « Magouilles dans nos étangs », diffusé sur France 5, le journaliste Hugo Clément s’en prend au drainage agricole, qui, selon lui, constitue l’une des origines des inondations que l’on observe aujourd’hui. « Ça ressemble à une petite sortie d’égout, mais ça n’a rien à voir », note-t-il. « Ça évacue toute l’eau de pluie naturellement présente dans les champs d’à côté », et « au final, ça assèche les terrains ». Pour Emmanuel Chalumeau, qui a repris l’entreprise de drainage de son père, dont l’histoire a débuté en 1973 – lorsque Noël Chalumeau a décidé de drainer lui-même une parcelle hydromorphe difficilement exploitable sur sa ferme –, ces propos dénotent l’incompétence du journaliste.
Des pratiques qui ont évolué
« Le drainage permet de régulariser et de sécuriser les rendements, notamment en facilitant des interventions sur les parcelles et en permettant une diversification de la production », explique le chef d’entreprise.
« Dans les années 70 et 80, les drainages effectués dans le cadre du remembrement résultaient, en effet, d’une volonté de conquête de terres agricoles sur les espaces naturels. Dans ce contexte, de nombreuses zones humides ont été drainées afin d’implanter des cultures – c’est le cas par exemple du Marais poitevin, où 2 000 à 4 000 ha ont été drainés par an entre 1988 et 1992 dans le cadre du Schéma d’aménagement des marais de l’Ouest », admet volontiers Emmanuel Chalumeau.
Alors que, dans son reportage, Hugo Clément accuse le drainage d’assécher les sols, et d’aggraver les crues, c’est l’inverse qui se produit !
Mais il précise aussitôt que ces pratiques n’ont plus lieu aujourd’hui, « d’une part, en raison d’une réglementation devenue fortement prohibitive, et d’autre part, à cause de contraintes techniques et financières ». Car il y a désormais consensus autour de la nécessité de préserver les zones humides, qui remplissent de nombreuses fonctions hydrologiques, biogéochimiques et écologiques, comme le stockage et la restitution de l’eau, son rôle de filtration, du stockage de carbone et de réservoir de biodiversité.
C’est pourquoi, à présent, le drainage ne concerne ni les zones humides ni le rabattement de nappes phréatiques, mais uniquement les zones sujettes aux stagnations d’eau de surface. « Sur ces parcelles à faible drainage naturel, un plancher imperméable ralentit voire empêche la percolation de l’eau en profondeur. Par conséquent, l’eau s’accumule dans les horizons supérieurs où elle asphyxie les plantes et la vie biologique, puis ruisselle ou stagne à la surface », développe Emmanuel Chalumeau. Le drainage permet justement d’évacuer ces eaux gravitaires en excès et diminue les stagnations et ruissellements au profit de l’infiltration de l’eau dans le sol.
Ainsi donc, alors que, dans son reportage, Hugo Clément accuse le drainage non seulement d’assécher les sols, mais aussi d’aggraver les crues, en fait, c’est précisément l’inverse qui se produit ! « En restaurant un fonctionnement hydrique optimal à l’échelle parcellaire, le drainage favorise l’infiltration de l’eau dans le sol. Les eaux de drainage sont les eaux gravitaires qui ne sont pas retenues dans le sol, et qui autrement stagnent ou ruissellent sur les parcelles hydromorphes », continue Emmanuel Chalumeau. Et il rappelle qu’un réseau de drainage est justement conçu pour évacuer de manière efficace une certaine quantité d’eau, résultant de pluies d’occurrence moyenne. « Cette quantité d’eau correspond généralement à des précipitations journalières entre 12 et 17 mm. Lorsque les précipitations dépassent cette capacité, le système de drainage atteint sa limite de débit. Autrement dit, le drainage ne peut pas écouler plus d’eau vers l’exutoire que la quantité pour laquelle il a été dimensionné. L’excès va alors s’accumuler en surface et ruisseler », ajoute encore le spécialiste.
Selon lui, le drainage est loin d’être une pratique obsolète, bien au contraire : « Dans un contexte de changement climatique, on pourrait penser que le drainage, qui fonctionne essentiellement en hiver, de novembre à mars, ne servira plus à rien. Or, c’est justement tout le contraire ! Lors des épisodes pluvieux, le drainage permet un ressuyage plus rapide des parcelles et améliore la portance du sol pour permettre d’intervenir sans tasser le sol. Autrement dit, le drainage permet d’augmenter les jours disponibles pour les interventions et de mieux planifier les interventions culturales. » Et comme le recours au désherbage mécanique impose des dates d’intervention très précises, le drainage peut faciliter le passage à l’agriculture bio.
Par ailleurs, « lors des épisodes de sécheresse, le drainage favorise une meilleure exploration racinaire du sol et donc une augmentation de la réserve d’eau utilisable par les plantes », poursuit Emmanuel Chalumeau, qui a pu constater que « même lors des épisodes de sécheresse estivale, les cultures se portent mieux au-dessus de la tranchée de drainage grâce à un meilleur enracinement ».
Enfin, concernant l’enjeu de pollution des cours d’eau, le drainage contribue aussi à diminuer les phénomènes de ruissellement et d’érosion, et donc le lessivage des intrants par l’arrivée de matières en suspension dans l’eau.
Le drainage, une pratique pour le futur
« Le drainage n’appartient pas au passé de l’agriculture », insiste le chef d’entreprise, et il est certain qu’il peut au contraire jouer un rôle moteur dans une transition vers l’avenir : « Avec des perspectives de tension croissante autour de l’usage de l’eau, le concept de réutilisation des eaux fait son chemin, l’idée de récupérer les eaux de drainage pour les réutiliser semble plus qu’intéressante. » Certes, ces perspectives restent difficilement envisageables à l’échelle parcellaire et nécessiteraient des travaux collectifs, plutôt à l’échelle des bassins versants. En tout cas, conclut Emmanuel Chalumeau, « pour améliorer l’efficacité de la gestion de l’eau à grande échelle, il est nécessaire que les politiques publiques tiennent compte de tous les enjeux – que ce soit le drainage ou l’irrigation ».
Associé à tort à l’intensification agricole, comme en témoigne encore la présentation erronée d’Hugo Clément, le drainage est aujourd’hui parfaitement à même de s’intégrer dans le cadre de pratiques ouvrant la voie à une agriculture plus résiliente face aux aléas climatiques et capable d’allier productivité et respect de l’environnement.

