AccueilDécryptageLes médias publics en soutien à la bataille culturelle écologiste

Les médias publics en soutien à la bataille culturelle écologiste

Les médias publics devraient apporter un traitement équilibré et pluraliste des idées et points de vue. Un objectif loin d’être atteint quand on constate la collaboration de certaines chaînes avec des tenants de l’écologisme radical

Comme en attestent les résultats des diverses élections, le parti qui incarne l’écologie politique, Europe Écologie-Les Verts (rebaptisé récemment « Les Écologistes »), reste très minoritaire en France. Certes, à l’échelle locale, il a réussi à gagner quelques grandes municipalités (Lyon, Strasbourg, Bordeaux, Grenoble…), et à faire élire une quinzaine de députés aux élections législatives de 2022, mais toujours grâce à l’alliance avec d’autres formations politiques.

Il n’en reste pas moins que les idées de la mouvance écolo-décroissante ont incontestablement conquis une large majorité de l’opinion publique. Notamment chez les moins de 40 ans, qui adhèrent à la doctrine écologiste sur de nombreux sujets, notamment sur les pesticides, l’agriculture biologique ou encore l’impact négatif des activités humaines sur la biodiversité et les espaces naturels. Le monde agricole en a acquis la conviction que les politiques environnementales dominaient l’agenda politique. Ce qui a conduit les manifestations agricoles du début de l’année à désigner les écologistes comme responsables des contraintes qui leur sont imposées par les normes environnementales. Serait-ce là une accusation injuste, les écologistes n’étant pas aux manettes du pouvoir ? En fait, l’impact réel de cette mouvance politique ne se mesure pas au nombre de ses députés ou postes ministériels, mais plutôt à l’adoption de mesures et de lois conformes à la doxa écologiste. Or, il paraît évident que l’arbitrage entre agriculture et écologie se fait, en général, au profit de la seconde.

L’incontestable réussite de l’écologie politique consiste à avoir su imprégner en profondeur la matrice culturelle de la société. On pourrait à son propos parler d’« hégémonie culturelle », pour reprendre les termes du philosophe italien Antonio Gramsci, communiste révolutionnaire des années 1930, qui estimait primordial de gagner d’abord la « bataille culturelle ».

Cette théorie, que s’est également appropriée l’extrême droite en imposant comme débat principal le thème de l’immigration et de la sécurité, a été mise en pratique par la mouvance écologiste avec un succès certain, comme le reconnaît notamment l’élu écologiste David Cormand : « Nos concurrents pillent à foison dans le catalogue de nos idées portées depuis toujours. Je m’en réjouis, car c’est signe que la bataille culturelle menée pour détacher des pans entiers du camp “progressiste” de sa gangue productiviste a porté ses fruits. »

L’impact réel de cette mouvance écologiste ne se mesure pas au nombre de ses députés, mais à l’adoption de mesures et de lois conformes à sa doxa écologiste

Le parti pris de certains medias

Il est indéniable qu’un certain nombre de médias et de journalistes ont contribué à ce succès. On citera les cas notables de journalistes comme Stéphane Foucart, ou encore d’Élise Lucet, Mathieu Vidard, Camille Crosnier, Denis Cheissoux ou Martin Boudot, qui se sont révélés particulièrement actifs pour imposer dans le débat public les thèses de l’écologie décroissante (dénonciation de la croissance, éloge de la sobriété, défiance envers la chimie, etc.).

Du côté de la presse, on invoquera des médias dont l’engagement politique écologiste est clairement revendiqué (Politis, Silence, Basta !, Vert, Reporterre), mais aussi des journaux généralistes comme Libération, Le Canard Enchaîné ou Le Monde, ou encore des médias du service public, l’engagement de ces derniers étant plus problématique, puisqu’ils sont censés apporter un traitement équilibré et pluraliste des idées et points de vue. Or, des émissions comme « C’est ma planète », « La Terre au carré », « C’est bientôt demain », « Planète Bleu », « CO2 mon amour », « De cause à effets, le magazine de l’environnement » ou encore la série documentaire « Vert de rage » affichent clairement un parti pris favorable à l’écologie politique. La simple menace de leur suppression a d’ailleurs provoqué une panique sensible au sein de la mouvance écologiste.

Générations Futures, Extinction Rebellion et Notre Affaire à tous ont ainsi organisé une manifestation pour protester contre la suppression de la série « Vert de Rage », clamant que ce « serait un coup dur pour tous ceux qui se battent pour un monde plus respectueux de l’environnement », tandis que l’association Agir pour l’environnement a lancé une pétition en soutien à « La Terre au carré ». Ce qui a amené la directrice de France Inter, Adèle Van Reeth, à se défendre, en rappelant que l’écologie fait partie « des grandes causes que nous soutenons à France Inter » et qu’il n’a jamais été question d’y renoncer : « Il suffit d’écouter l’antenne au quotidien pour s’en rendre compte. » Et elle dit vrai !

Le virage du service public

Pour ce qui est de France Télévisions, l’orientation écologiste du groupe semble avoir été renforcée par la présence auprès de Delphine Ernotte, la présidente, de Stéphane Sitbon-Gomez. Engagé chez Les Verts dès l’âge de 14 ans, Stéphane Sitbon-Gomez a fait ses classes auprès de Cécile Duflot, alors à la tête du parti écologiste, avant de diriger la campagne présidentielle d’Éva Joly, en 2012. En 2015, il devient le directeur de cabinet de la présidente de France Télévisions, avant d’accéder au poste de directeur de la Transformation en 2018 et, à partir de 2020, à celui de directeur des antennes et des programmes.

Sans surprise, on constate ainsi une porosité certaine entre son engagement écologiste et la ligne générale de France Télévisions, comme en témoigne l’étroite collaboration entre les journalistes du groupe et certaines ONG écologistes. Le numéro de « Cash Investigation » de janvier 2016, consacré à l’impact des pesticides sur la santé, qui a été réalisé en étroite collaboration avec l’association Génération Futures, n’en est qu’un exemple parmi d’autres. Et on pourrait aussi citer le numéro d’ « Envoyé Spécial » de janvier 2019 sur le glyphosate.

Sans surprise, on constate une porosité certaine entre l’engagement écologiste de Stéphane Sitbon-Gomez et la ligne générale de France Télévisions

La soirée événement « Aux Arbres, citoyens ! », diffusée par France 2 en novembre 2022, est également représentative de cette étroite collaboration entre service public et ONG issues de la mouvance écologiste. Non seulement l’émission a été élaborée et animée par les militants écologistes Cyril Dion et Hugo Clément, mais de surcroît France Nature Environnement (FNE) y a été associée, bénéficiant ainsi d’une visibilité sans précédent qui lui a permis de récolter plus de deux millions d’euros pour financer divers projets environnementaux ! Un succès renouvelé en novembre 2023, France Télévisions ayant une nouvelle fois convié FNE « pour une grande soirée de sensibilisation », avec, cette fois-ci, une recette d’un million d’euros…

L’engagement écologiste de Radio France

Pour sa part, Radio France n’est pas en reste. Affichant depuis 2020 un « engagement éditorial très fort pour l’environnement », elle se félicite de consacrer aux questions écologiques vingt-sept heures hebdomadaires de programmes, et plus de cent heures dans sa grille avec les programmes qui traitent régulièrement de ces enjeux. Tout cela en recourant fréquemment à la collaboration de militants de la nébuleuse écolo-décroissante. Ainsi, dans ses rapports d’activité, le média radical Reporterre se félicitait qu’en 2020, tous les mardis, ses journalistes soient intervenus à tour de rôle dans « La Terre au carré », et que, depuis septembre 2021, « tous les mois, une émission de la “Terre au carré” sur France Inter est consacrée à une grande enquête de Reporterre ».


Depuis 2021, Radio France dispose également d’un programme intitulé « Transition en commun », qui réserve des espaces publicitaires dits « responsables », gratuits ou à tarifs préférentiels, à des « acteurs mobilisés pour la transition écologique ». Ce qui a ouvert toutes grandes les portes de la radio notamment à FNE qui, en 2022, en a profité avec deux spots publicitaires présentant son programme « Sentinelles de la nature », diffusés soixante-quinze fois sur les ondes de France Inter, France Info et France Bleu.

Toujours en 2022, Greenpeace France a bénéficié d’une action similaire visant à sensibiliser les citoyens « aux impacts carbones des moyens de transport », tandis qu’en 2024, « Transition en commun » retiendra pas moins de dix projets, dont chacun bénéficiera de cent cinquante messages de trente secondes sur les antennes de Radio France et de quarante messages de vingt secondes diffusés sur France 2, France 3 et France 5.

Un manifeste pour l’environnement

En septembre 2022, Radio France annonce par un manifeste qu’elle « engage un tournant environnemental ». Parmi diverses résolutions, comme par exemple de s’imposer la sobriété énergétique, est inscrite la volonté de mettre en avant un programme politique « écolo-compatible » : « Nous éclairerons la transition écologique […] Nous contribuerons à faire connaître les innovations et les solutions, des comportements individuels les plus quotidiens aux changements économiques les plus structurants, veillant ainsi à ne pas nourrir un découragement climatique mais à donner à chacun les clés pour comprendre, débattre et agir. »

Dans le contexte de ce « tournant environnemental », Célia Quilleret, journaliste environnement à France Inter, revendique une forme de militantisme « non pas sur le fond des sujets, mais sur la quantité de sujets diffusés ». « On en réalise beaucoup, de plus en plus. C’est une priorité de l’antenne et il me semble que plus on parle de ces enjeux, plus on les fait exister », indique la journaliste, qui revendique son statut de « prescripteur » : « On réalise de nombreux sujets avec les jeunes, on suit les activistes militants, les marches pour le climat, les grèves du vendredi. […] On va suivre ceux qui appelaient à bifurquer à AgroParisTech. Ces jeunes se battent, il faut les suivre. Le service public a vraiment un rôle à jouer sur ce thème. Il faut être le miroir, le reflet de la société qui bouge. Et on a évidemment un rôle de prescripteur aussi. »

Et ce n’est pas tout. Afin de sensibiliser ses journalistes à la cause écolo, Radio France a entamé dès 2022 un plan de formation Climat, décliné en master class à destination de ses équipes éditoriales. Deux cents présentateurs, rédacteurs en chef, intervieweurs et journalistes des services politique et économique des différentes antennes ont ainsi commencé à en suivre les premiers modules. Pour Vincent Giret, directeur de l’information et des sports de Radio France, « ce cycle de formation témoigne de notre engagement pour un meilleur traitement de la question climatique dans nos médias de service public, et participer à la révolution des comportements collectifs ».

Si Radio France a principalement fait appel à des « grands noms de la science et du climat » pour animer ces premières formations, elle n’en a pas pour autant écarté la contribution de certaines ONG. Ainsi, saluant la « dynamique très positive » de ce tournant de Radio France, FNE « a souhaité s’inscrire en créant un programme de formation spécialement dédié aux journalistes : les briefs médias. Ces briefs s’ajoutent à la très grande disponibilité des bénévoles et salarié·es de France Nature Environnement pour éclairer les journalistes ». Un partenariat fructueux pour l’association écologiste qui, entre les publicités sur Radio France et les émissions sur France Télévisions, s’est traduit, selon elle, « par une hausse de l’audience cumulée de FNE dans les médias qui a dépassé pour la première fois le milliard de contacts en 2022 ».

Des entreprises spécialisées dans la formation ont également été sollicitées. Notamment la société de conseil Samsa.fr qui, selon Les Échos, « évangélise les rédactions de RFI et France 24 » à l’aide de ses modules sur la question du changement climatique. Dans ses rangs, on retrouve également, parmi les formateurs, des journalistes sympathisants de la nébuleuse écologiste.

C’est le cas d’Anne-Sophie Novel, « journaliste spécialisée dans les alternatives écologiques et sociales ». À l’époque du Grenelle de l’environnement, elle travaillait pour l’Alliance pour la Planète et a créé le site Ecoloinfo.com. Idem pour Loup Espargilière, fondateur du média en ligne Vert, « le média qui annonce la couleur », qui se targue d’être parmi les premiers « à former les cadres de la rédaction et les nouveaux “référents climat” de RFI ». Dans un entretien accordé à Mediarama en juin 2022, il considère que « l’agriculture industrielle française est un accélérateur du changement climatique ». Pour ce « formateur », l’agriculture « artificialise les sols » qui seraient « maintenus artificiellement en vie avec des engrais et des pesticides ». « Dès qu’il y a un ravageur qui passe, il défonce tout puisqu’il n’y a plus aucun insecte, aucune aide naturelle, qui pourrait venir lutter contre les ravageurs », affirme le journaliste, qui propose de remplacer le maïs pour nourrir les bovins par du soja « qui a le même apport en protéines que la viande de bœuf, ce qui prendrait huit fois moins de place en termes de terres ».

Conscient de l’importance capitale de ce genre de formation, le parti écologiste y apporte aussi son écot. Ainsi, en mars 2023, constatant que l’opposition au nucléaire n’avait plus le vent en poupe, Marine Tondelier et Yannick Jadot ont organisé au siège d’EÉLV une « master class sur l’énergie nucléaire » à destination des journalistes. Libération raconte : « Alors, calepins et stylos en main, Libération et ses collègues ont écouté trois heures durant plusieurs chercheurs critiques du nucléaire disserter. » Et de préciser que « cette master class n’a rien d’anodin. À en reprendre les mots des organisateurs, c’est même “l’acte fondateur de la bataille culturelle”, face à un “lobby qui dépense des millions d’euros” pour occuper l’espace ».

Faut-il dès lors s’étonner du monopole de la pensée écologiste dans l’espace médiatique ?

Pour aller plus loin :
Derniers articles :

Dans la même rubrique

L’interdiction de certains produits phytos affectent de façon catastrophique la production de semences en France

Le vice-président de l’ @UFSemenciers explique, avec l’exemple du radis, comment l’interdiction de certains produits phytos affectent de façon catastrophique la production de semences...

En ce moment

Restez informer en recevant régulièrement

La Newsletter A&E