Suite à la publication de cet article, Mathilde Cusin la co-réalisatrice du dernier numéro de la série « Vert de Rage » a demandé un droit de réponse que vous trouverez à la suite de l’article ainsi que la réponse de Gil Rivière-Wekstein |
Afin de remettre le sujet de l’exportation des pesticides interdits sur la table, un groupe d’associations écologistes relayé par le journal Le Monde a adopté un nouveau narratif qui ne tient pas la route
Avec l’enquête réalisée par l’équipe de « Vert de rage » – le « Cash investigation » version écolo de la société de production Premières Lignes fondée par Paul Moreira –, un article paru dans Le Monde signé Stéphane Mandard et une conférence de presse organisée simultanément à l’Académie du Climat, l’offensive tous azimuts contre les exportations de produits phytosanitaires interdits en France bat son plein.
En coulisse, on retrouve à la manœuvre Pan Europe, Greenpeace – au travers de sa succursale britannique Unearthed – ainsi qu’une association suisse Public Eye. L’objectif de ces militants antipesticides est clair : cibler encore une fois la France afin de combler ce qu’ils estiment être des « failles » dans la législation. Or, la France est justement le seul pays à avoir adopté une loi interdisant « la production, le stockage et la circulation de produits phytosanitaires contenant des substances actives non approuvées ». En voulant laver plus blanc que blanc, la France – toujours sous la pression du lobby écologiste – a ainsi adopté une mesure à la fois inepte et stupide, qui a déjà entraîné la délocalisation de la production de plusieurs produits phytosanitaires, fragilisant encore un peu plus l’outil productif national. Et le mouvement ne va pas s’arrêter là, puisque c’est un secret de Polichinelle que les états-majors de ces grandes entreprises ont déjà acté leurs futures délocalisations, en raison des incertitudes législatives qui règnent autour de ces questions.
Il est vrai, cependant, que grâce à une petite subtilité – la loi n’ayant pas précisé qu’elle s’appliquait à la matière active mais simplement au produit final –, les usines des fabricants de produits phytosanitaires ont pu continuer à exporter certaines matières actives dans des pays où elles sont parfaitement autorisées. Mais comment peut-on penser sérieusement qu’une interdiction de production en France aura un quelconque effet sur l’usage de ces pays, qui ne vont certainement pas se priver des 3000 tonnes de picoxystrobine, des 1 400 tonnes de fipronil et des 22 tonnes de tiaméthoxame qui font l’objet de l’attaque de « Vert de rage », et qui ne représentent même pas la réalité des exportations, constamment en baisse ?
Un nouveau narratif anxiogène
Si ces accusations ne sont pas nouvelles, le narratif, quant à lui, a été modifié afin de mieux sensibiliser le public français. C’est ainsi que, d’une part, on retrouverait des traces de ces produits interdits sur les étals des supermarchés dans les produits importés en France par un « effet boomerang » : « 31,82 % des échantillons collectés par l’équipe de « Vert de rage » dans les supermarchés français contenaient des résidus de pesticides interdits », dénonçait la série documentaire lors de sa conférence de presse. D’autre part, les eaux autour des sites de production seraient contaminées avec, dans le cas du thiaméthoxame, par exemple, des concentrations « supérieures de près de 50 % à la norme de qualité recommandée en France pour les eaux souterraines », et « 336 fois supérieures au seuil considéré comme sans danger pour l’environnement » en ce qui concerne le fipronil. De quoi, en effet, se poser quelques questions !
Sauf qu’encore une fois ce scénario ne tient pas la route. Concernant les pesticides interdits retrouvés dans les produits importés – soit sur moins de 25 échantillons, ce qui est trop faible pour être représentatif –, il ne s’agit ni de fipronil ni de picoxystrobine, mais des traces notamment de chlorpyrifos et de propiconazole trouvées dans un pomélo provenant de Chine, d’imidaclopride dans une grappe de raisin du Pérou, et de malathion dans une orange de Tunisie, aucune de ces substances ne dépassant d’ailleurs les limites autorisées. Et pour les quelques traces de thiaméthoxame identifiées, leur origine ne peut pas être française, puisque Syngenta confirme avoir arrêté sa production en France… depuis 2022 !
« L’ effet boomerang » a tout d’une pure invention à destination des consommateurs et des journalistes non avertis
Bref, « l’effet boomerang » a tout d’une pure invention à destination des consommateurs – et des journalistes – non avertis. Pour obtenir des données plus sérieuses, il faut se reporter à la surveillance réalisée par les autorités françaises et européennes, dont les résultats sont rendus publics chaque année. Tous ces rapports sans exception confirment que, même avec la présence de traces retrouvées dans certains aliments, la santé des consommateurs est parfaitement assurée sur l’ensemble du territoire européen.
Des confusions confondantes
De même, la présentation des résidus retrouvés dans les eaux autour des sites est fortement dramatisée. Les taux de thiaméthoxame mesurés et transmis aux autorités publiques au fait de cette « pollution industrielle » sont de l’ordre de 0,15 μg/l, alors que les limites réglementaires de potabilisation pour les eaux souterraines, dites « eaux brutes », est de 2 μg/l selon le Code de la santé publique. Il est donc erroné d’affirmer, avec Le Monde, qu’il y aurait une concentration « supérieure de près de 50% de la norme de qualité recommandée en France pour les eaux souterraines ». Le journaliste a tout simplement confondu « eaux brutes » et « eaux distribuées » (pour lesquelles s’applique la limite de 0,1 μg/l).
Mais le point le plus cocasse du narratif anxiogène de ces militants reste assurément le cas du fipronil. En ce qui concerne les concentrations de fipronil prétendument « 336 fois supérieures au seuil considéré comme sans danger pour l’environnement », « Vert de Rage » et consorts ont tout simplement confondu une norme (dite PNEC, pour Predicted No Effect Concentration) appliquée aux eaux salées – et qui est en effet très faible en raison d’une espèce de crevettes présentes dans les eaux de mer outre-Atlantique – avec celle appliquée pour les eaux douces, qui est la seule valable pour une usine située à plus de 100 kilomètres de la mer.
Par ailleurs, « Vert de Rage » tout comme Le Monde ont oublié que, si cette matière active est interdite pour tout usage agricole, elle est paradoxalement présente dans de nombreux foyers notamment au travers d’un produit appelé « Frontline ». Disponible pour le grand public sans la moindre ordonnance, ce produit fabriqué en France protège en effet efficacement, aujourd’hui encore, la majorité des animaux de compagnie des attaques de puces et de tiques. On peut leur administrer en mettant le produit entre les omoplates des chats ou des chiens au moyen d’une petite pipette.
Aussi, prétendre, comme le font ces militants, que les traces retrouvées dans les eaux (moins de 11 μg/l) présenteraient un risque quelconque pour la population, alors que ce produit se trouve dans des dizaines de milliers de foyers français est une fable ridicule ! Même avec un durcissement de la législation, la production en France de fipronil resterait donc autorisée, puisqu’il existe bel et bien un marché français. Le seul risque serait que, faute de pouvoir exporter du fipronil, BASF décide d’abandonner sa production, laissant les nombreux amis des chats et chiens sans solution efficace pour préserver la santé de leurs animaux de compagnie. Et, par-delà le fipronil, que la ferme France se retrouve d’ici quelques années dans la même situation que les pharmacies, à savoir à devoir importer l’ensemble des produits de protection des plantes, après la fermeture définitive de nombreux sites de production français. Ce qui signerait alors la fin de la souveraineté alimentaire française.
Droit de réponse de « Vert de rage »
1) Au cours de votre article, vous nous reprochez, reprenant les mêmes arguments que Syngenta, d’avoir confondu la norme de qualité recommandée pour les eaux souterraines avec une norme à destination des eaux distribuées. Nous ne faisons pas référence aux mêmes textes. Afin de donner une échelle de comparaison des niveaux de thiamethoxam mesurés au niveau des usines de Syngenta à Saint Pierre la Garenne, nous avons fait référence à l’Annexe I de l’arrêté du 9 octobre 2023 modifiant l’arrêté du 17 décembre 2008, établissant les critères d’évaluation et les modalités de détermination de l’état des eaux souterraines et des tendances significatives et durables de dégradation de l’état chimique des eaux souterraines, dont je vous mets le lien ici : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000048347268 Il stipule que la norme de qualité environnementale recommandée pour les eaux souterraines est de 0,1 ug/l pour toutes substances actives de pesticide. Nous avions bien précisé qu’il n’existait pas de norme pour les eaux de rejets et que nous faisions donc référence aux normes souterraines. Cette pratique est couramment utilisée par des scientifiques quand aucune norme n’est disponible, ils utilisent dans ce cas la norme qui s’en rapproche le plus. Plus loin dans votre article, au sujet du Fipronil, vous nous reprochez d’avoir utilisé à tord une norme (la norme PNEC), que vous dites être appliquée aux eaux salées. Nous faisons en effet bien référence à la PNEC, néanmoins pour se faire, nous nous sommes basés sur la synthèse des données de surveillance de l’Anses au sujet du Fipronil, dont je vous mets le lien ici : https://www.anses.fr/fr/system/files/Fiche_PPV_Fipronil.pdf. L’Anses estime ici la PNEC pour les taux de Fipronil dans les eaux de surface (soit des eaux douces) à hauteur de 0,00077 ug/l. Ce document ne fait pas mention de PNEC à destination d’eau salée. 2) Pour finir, il y a une incompréhension quant à notre présentation. Au contraire de ce que vous affirmez, nous n’avons jamais indiqué qu’il y aurait un lien entre les pesticides produits par les usines françaises et ceux retrouvés dans les fruits et légumes depuis l’étranger, cultivés dans des pays où la législation en vigueur est moins contraignante. Il s’agit d’une étude exploratoire, qui ne demande qu’à être poursuivie par les autorités sanitaires aptes à le faire ou d’autres associations souhaitant se saisir de ces questions. 3) De plus, notre enquête n’est pas le résultat de “manœuvre” des associations PAN EUROPE, GreenPeace et Public Eye. Il n’y a donc aucun conflit d’intérêt. Leurs données sont simplement complémentaires à notre travail d’investigation. Cordialement Mathilde Cusin |
Réponse de Gil Rivière-Wekstein :
1) Je note donc que vous confirmez avoir effectivement utilisé les mauvaises normes.
Ainsi, pour le thiaméthoxame, les textes que vous citez sont bien des textes d’« indicateur » de l’état des milieux et non des textes réglementaires. En effet, en termes d’homologation, le seuil de 0,1 µg/l est celui utilisé dans les modélisations et il correspond au 80e pourcentile des moyennes annuelles, ce qui veut dire qu’un dépassement ponctuel du seuil de 0,1 est parfaitement autorisé.
Quant au fipronil, la PNEC (valeur considérée sans effet prévisible sur l’environnement) mentionnée par l’Anses peut effectivement prêter à confusion. Elle est basée sur des résultats de toxicité sur Mysidopsis bahia, à savoir une espèce vivant dans les eaux salées. Si la PNEC est bien de 0,00077 µg/l dans ce cas-là, celle utilisée pour le rejet de l’usine de BASF, située à plus de 100 km de la mer, est différente. En effet, la norme est calculée sur la base d’organismes d’eau douce (Chironomus riparius) qui est de 12,1 ng/l, c’est-à-dire 0,00121µg/l (NOEC/A0), et qui prend ensuite en compte la quantité rejetée par cycle de production diluée par le flux de la Seine.
2) Dans mon article, je n’ai jamais affirmé que vous auriez fait un lien entre les pesticides produits par les usines françaises et ceux retrouvés dans les fruits et légumes en provenance de l’étranger. En revanche, j’estime qu’en liant ces deux problématiques dans la même présentation, vous suggérez qu’une interdiction des exportations de ces produits pourrait avoir un effet sur les résidus retrouvés dans les denrées alimentaires importées. Ce qui est bien évidemment de nature à induire en erreur les personnes auxquelles vous vous adressez.
3) Je n’ai pas utilisé le terme « manœuvre » mais l’expression très courante « à la manœuvre », qui signifie en l’occurrence « en action » ou « en charge ». Néanmoins, l’invitation à votre conférence de presse laisse peu de place au doute quant à une coordination avec ces associations, puisqu’il est bien mentionné que « Vert de rage » a mené plusieurs études « en collaboration avec les associations et lanceuses d’alerte Public Eye et Unearthed-Greenpeace ».
Enfin, je n’évoque nulle part un quelconque « conflit d’intérêts » puisque ce terme ne figure pas dans mon article. Mais, puisque vous abordez le sujet, il est vrai qu’on peut légitimement s’interroger sur la présentation partiale d’une « enquête » réalisée en collaboration avec des associations à vocation militante lorsque, ensuite, celle-ci fait l’objet d’un reportage à destination notamment des médias du service public censés apporter un traitement équilibré et pluraliste des idées et points de vue.