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Le diable caché dans les articles de Foucart, journaliste au Monde

Alors que le journaliste du Monde Stéphane Foucart se défend de tout lien avec le lobby du bio, nombre de ses articles reprennent, avec complaisance, les éléments de langage du secteur bio. Décryptage de sa chronique intitulée « Le Green Deal agricole n’aura pas lieu », parue le 12 juin dernier

« C’est délirant. J’ai jamais touché un centime de l’industrie du bio ! », clame haut et fort le journaliste militant Stéphane Foucart, interrogé par Libération à la suite des accusations de collusion avec l’industrie du bio, portées à son encontre sur Twitter. Bien au contraire, le journaliste du Monde se revendique même comme « intraitable avec eux dans les papiers ». On aimerait le croire. Cependant, une chronique récemment signée de sa main suggère un traitement de l’information qui relève davantage du service après-vente du lobby du bio que d’un décryptage objectif.

Ces petits détails manquants

Sous le titre « Le Green Deal agricole n’aura pas lieu », Foucart y accuse la Commission européenne d’avoir réalisé, au travers de la mise en place d’un système pour mesurer la baisse du recours aux pesticides, « l’exploit de pouvoir transformer une aggravation des risques en une amélioration ».

« Truquer le thermomètre est un moyen commode d’être sûr de pouvoir annoncer, un jour, que la fièvre a disparu », s’emporte ainsi le journaliste qui s’appuie sur « une note publiée le 9 juin » du « toxicologue autrichien Helmut Burtscher-Schaden, membre de l’association Global 2000 ». Et Stéphane Foucart poursuit : « C’est souvent dans les détails que le diable est caché. »

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En quoi il a tout à fait raison, le premier des détails en question étant d’affirmer que Helmut Burtscher-Schaden est toxicologue alors que ce dernier se présente toujours comme un biochimiste. Ensuite, le journaliste omet de préciser l’engagement militant de ce scientifique. En effet, Global 2000 – dont Helmut Burtscher-Schaden n’est pas simplement « membre » puisqu’il y travaille depuis plus de dix ans – n’est rien d’autre que la branche autrichienne de l’association écologiste radicale Les Amis de la Terre. En outre, Helmut Burtscher-Schaden est l’un des organisateurs de l’Initiative citoyenne européenne (ICE) « Stop glyphosate », ainsi que de l’ICE « Save Bees and Farmers » visant à supprimer l’utilisation de tous les pesticides de synthèse d’ici 2035. Il est également l’auteur d’un livre à charge contre le glyphosate, The Glyphosate Files (K&S, 2017), disponible en anglais et allemand.

Une chronique récemment signée de Foucart suggère un traitement de l’information qui relève davantage du service après-vente du lobby du bio que d’un décryptage objectif

Enfin, et surtout, Foucart néglige d’informer ses lecteurs que la note de Helmut Burtscher-Schaden a été publiée dans le cadre d’un communiqué de presse intitulé « Les ONG environnementales et le mouvement biologique demandent à la Commission d’élaborer un nouvel indicateur pour mesurer les progrès accomplis dans la réalisation de l’objectif de réduction des pesticides de “Farm to Fork” », signé par les organisateurs de l’ICE « Save Bees and Farmers », en particulier Global 2000, PAN Europe (dont François Veillerette est administrateur) et… l’Ifoam Organics Europe, l’association de défense des intérêts de l’agriculture biologique en Europe. Autrement dit, sans jamais en faire la mention, Foucart se fait le porte-voix à la fois de PAN Europe, de la branche autrichienne des Amis de la Terre et de l’Ifoam, le principal lobby de l’agriculture biologique, qui a de bonnes raisons de vouloir éliminer ce dispositif de la Commission européenne appelé « Indice de risque harmonisé » (HRI-1 pour Harmonized Risk Indicator 1).

Le HRI-1 : un thermomètre de tendance et non de risque

Number of authorisations by derogation between 2011–2019.

Si l’on veut saisir ce qui gêne l’Ifoam, il est nécessaire de comprendre le mode de fonctionnement de ce fameux « thermomètre ». Mis en place pour « observer les tendances en matière de risques associés à l’utilisation des pesticides (PPP) », le HRI-1 classe les substances actives en quatre groupes. Les deux premiers concernent des matières actives approuvées ayant, pour le premier groupe, un risque plus faible que pour le deuxième, à savoir les substances dites « à faibles risques ». Le troisième groupe contient les matières actives qui sont candidates à la substitution, notamment les CMR (cancérogène, mutagène et reprotoxique), et enfin le quatrième groupe comprend les matières actives non approuvées, mais susceptibles d’être utilisées ponctuellement suite à des dérogations. À chaque groupe est attribué un facteur de pondération (1, 8, 16, 64) qui, multiplié par le tonnage de produit vendu, donne l’indice HRI-1 de chaque substance.

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Un choix qui ne favorise pas les matières actives à fort tonnage. Et c’est précisément ce que reproche l’Ifoam, puisque l’essentiel des pesticides utilisés en bio nécessite d’importantes quantités. Il est donc exact, comme le souligne Helmut Burtscher-Schaden, qu’un kilogramme de sable de quartz, « une dose qui protège cinq arbres contre l’abroutissement du gibier », aura la même valeur qu’un kilogramme d’insecticide pyréthrinoïde, « susceptible de tuer tous les insectes vivants sur 200 hectares ». Sauf que cet indicateur n’est pas à proprement parler un indicateur de risque. Il n’a surtout aucune valeur toxicologique, une substance du groupe 4 (en dérogation) pouvant parfaitement avoir un meilleur profil toxicologique qu’une substance du groupe 2, ce classement ne faisant par ailleurs aucune distinction entre les matières actives du même groupe.

Comme le précise la Commission, le but principal de ces facteurs de pondération est politique. Il s’agit d’envoyer « un signal très clair aux États membres pour qu’ils favorisent les PPP contenant des substances actives à faible risque, tandis que l’utilisation de PPP contenant davantage de substances dangereuses, et en particulier de substances non approuvées, doit être découragée ». Qu’importe la toxicité d’une molécule du groupe 4, puisque l’objectif de la Commission reste que l’usage de toutes ces substances diminue drastiquement. Idem, pour celles du groupe 3, dont fait partie le cuivre, considéré par la Commission comme véritable problème.

Plutôt un indicateur sur la tendance des ventes que sur la réalité d’un risque, il est à regretter que la Commission lui ait donné le nom malheureux d’«Indice de risque harmonisé »

Aussi est-il erroné de prétendre, comme le fait Stéphane Foucart, qu’« une seule application de bicarbonate de potassium comme fongicide naturel (également utilisé comme additif alimentaire) présente un risque huit fois plus élevé qu’une application du fongicide de synthèse difénoconazole, placé par les autorités sur la liste des pesticides les plus problématiques, en raison de sa persistance et de sa toxicité ». Certes, son indicateur sera plus élevé en raison de son tonnage, donc de son usage, mais pas de sa toxicité. Et encore moins d’un quelconque risque.

Une dénomination malheureuse

Alors, quelle est l’utilité de cet indicateur ? « L’indicateur de risque harmonisé 1 (HRI-1) reste la meilleure méthode disponible pour saisir les tendances en matière d’utilisation et de risque des produits phytopharmaceutiques », répond la Commission, qui estime qu’il permet de « mesurer les progrès accomplis dans la réalisation des objectifs en matière de réduction des pesticides ». Finalement, puisqu’il se révèle plutôt un indicateur sur la tendance des ventes que sur la réalité d’un risque, il est à regretter que la Commission lui ait donné le nom malheureux d’« Indice de risque harmonisé ». En procédant de la sorte, elle n’a fait que tendre une perche à tous ceux qui contestent sa pertinence.

Dans le même sens, agglomérer dans une même courbe, comme le fait la Commission, la somme de ces quatre courbes, qui sont néanmoins pour chacune d’entres elles intéressantes, n’a aucune valeur scientifique. Cela ne permet en effet que de montrer une tendance très générale sur l’usage des pesticides sans prendre en compte réellement les notions de risque, voire de danger. Parfaitement consciente des limites de cet indicateur, la Commission répond qu’elle « s’est engagée à réviser cet indicateur dès que de meilleures données seront disponibles, dont disposent seulement les États membres ».

Faut-il pour autant jeter ce thermomètre à la poubelle ? « La Commission et les États membres ont pris dix ans pour se mettre d’accord sur ce HRI. Or, étant donné l’importance de réaliser des progrès d’ici 2030, il semble irraisonnable de remettre en cause cet outil de mesure maintenant, bien que nous souhaiterions voir ce HRI complété, voire à terme remplacé, par des indicateurs basés sur le risque pour donner une base plus scientifique aux objectifs de réduction », confie ainsi Anika Gatt Seretny de CropLife Europe, l’association qui regroupe les fabricants européens de solutions de protection des plantes.

Comment expliquer une telle opposition de la part de l’Ifoam, puisque l’essentiel des produits utilisés en bio sont inclus dans la catégorie 1 ? Il y a deux raisons simples : tout d’abord parce que tous ces produits nécessitent un tonnage important, et ensuite, parce que le cuivre, de très loin le pesticide le plus utilisé en bio, étant une matière active à substitution, figure dans le groupe 3, avec un facteur de pondération de 16. Automatiquement, l’augmentation des surfaces en AB qui nécessite l’usage considérable de cuivre, fera exploser l’indice. Or, on voit difficilement l’agriculture biologique se passer de cet incontournable moyen de protection des plantes. On le vérifie parfaitement avec le cas de l’Autriche, l’un des seuls pays de l’Union européenne à ne pas avoir une courbe de HRI-1 à la baisse…

« L’indicateur HRI-1 conduit à des résultats absurdes et donne la fausse impression que l’agriculture biologique est le problème, car il s’agit principalement d’un indicateur basé sur le volume qui discrimine les substances naturelles », regrette en effet Éric Gall, policy manager de l’Ifoam Organics Europe, qui estime que « s’appuyer sur un indicateur trompeur pour mesurer la réduction des pesticides est inefficace et injuste pour les agriculteurs biologiques qui s’efforcent de trouver des alternatives aux pesticides de synthèse toxiques ».

S’il n’est donc pas surprenant que le lobby du bio s’oppose à cet indicateur, il est en revanche plus curieux de retrouver intégralement ses éléments de langage chez un journaliste qui se prétend par ailleurs « intraitable » avec ce même lobby.

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