Afin de répondre à la crise que traverse le bio, certains acteurs du secteur espèrent trouver un nouveau souffle grâce à la mise en place d’un label prétendant laver plus blanc que blanc
Le blues du secteur bio n’en finit pas. C’est le cruel constat établi par les Comptoirs de la Bio, qui admettent que « le marché de la bio fait face pour la première fois depuis des années à une baisse de sa progression historique », et cela « malgré la prise de conscience collective qu’une transition alimentaire, saine et durable est nécessaire ». « Les consommateurs seraient-ils désorienté ? », se demande ce groupement de magasins indépendants qui a mandaté une agence de communication, Manta Spirit, pour « continuer à démocratiser la bio sans la banaliser pour autant ». Ainsi, une série de spots de 20 secondes, conçue par le réalisateur Yohann Gloaguen, qui se proclame « ni moralisateur ni stigmatisant », est diffusée depuis le 7 mars sur France 2, France 3 et France 5. « Un making off et une version longue sont également à découvrir sur la chaîne YouTube de l’enseigne », précise le communiqué de presse de l’agence.
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Pour sa part, l’Agence BIO a confié à Havas Paris sa « stratégie d’influence », afin de « valoriser les expertises et actions portées par l’Agence BIO auprès des médias, des pouvoirs publics et sur les réseaux sociaux et pour porter haut les valeurs de l’agriculture et de l’alimentation biologiques ». Selon Laure Verdeau, la nouvelle directrice de l’Agence BIO, « cette collaboration avec Havas Paris va permettre de donner une nouvelle force de frappe à l’Agence BIO. Le Bio a besoin de visibilité pour fédérer et embarquer l’ensemble de la société dans une mission d’intérêt général : accélérer sa transition écologique et alimentaire ».
Si ces deux initiatives semblent louables, on peut cependant s’interroger sur leur utilité, vu qu’il est difficile de prétendre que le secteur du bio manque de visibilité auprès des consommateurs, qui, pourtant, désertent désormais les rayons bio.
Les causes invoquées
Interrogé par LSA, Allon Zeitoun, directeur général de Naturalia (Casino) et président du syndicat des distributeurs spécialisés du secteur (Synadis bio), partage ce constat de l’essoufflement du marché du bio. Il regrette notamment la concurrence d’autres labels : « Avant, pour consommer “engagé”, il n’y avait que le bio, mais aujourd’hui, les cartes sont rebattues face à cette multitude de labels. Le message est brouillé et les clients confondent toutes les notions. » Pour lui, sauver le soldat bio nécessite un retour aux principes de base : « Il est urgent de remettre le curseur sur son cahier des charges et de réexpliquer ses fondamentaux : sans pesticide, un impact positif sur la biodiversité et le climat, un bénéfice sur la santé et la réduction des émissions de gaz à effet de serre. »
De son côté, Claude Aubert, administrateur de Générations Futures, estime que le problème ne vient pas tant de la concurrence des autres labels que de « l’industrialisation du bio », comme il l’avançait sur France Culture en septembre 2021, en affirmant que « le pire ennemi de la bio, c’est la bio industrielle ». Il explique ainsi : « Une partie de l’agriculture biologique a été dévoyée : elle est restée biologique en regard du cahier des charges, mais elle s’est industrialisée dans ses principes. En oubliant ce qui faisait la base de l’agriculture bio : une certaine rotation des cultures, de la biodiversité dans les champs, des exploitations en polyculture élevage, etc. » Pour ce pionnier du bio, il faudrait donc rendre le cahier des charges de l’agriculture bio encore plus contraignant. « Aujourd’hui par exemple, on n’y inclut pas la biodiversité dans les cultures. C’est totalement aberrant », déplore-t-il.
Une moisson de labels
C’est dans ce même état d’esprit que la Fédération nationale des agriculteurs biologiques (Fnab) a présenté le 22 février 2022 son nouveau label baptisé « Fnab bio France », qui intègre onze critères supplémentaires « visant à favoriser la biodiversité sur les fermes biologiques », et neuf critères sur le volet social.
Afin d’arborer ce nouveau label, les fermes devront respecter au moins huit critères concernant le volet « biodiversité » les trois premières années, puis à partir de la quatrième année, l’ensemble des critères, dont plusieurs sont évolutifs. Il semble toutefois que, loin d’éclairer le choix des consommateurs, cette nouvelle marque privée contribue encore à apporter un peu plus de confusion.
En effet, au début de l’année 2020, Europe Écologie-Les Verts avait publié un guide pour essayer de s’y retrouver, intitulé Se repérer dans la jungle des labels, et, en mai 2021, l’association Bio Consom’acteurs a diffusé son propre guide – La boussole des labels. De fait, les consommateurs, qui se trouvent confrontés à une quantité de labels se revendiquant les uns plus bio que les autres, ont de quoi être perdus. Ainsi, le logo européen, aussi appelé « Eurofeuille », et la marque française AB, propriété du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, côtoient des labels tels que Demeter (agriculture biodynamique), Nature & Progrès, Bio Equitable en France, Biopartenaire ou encore Bio Cohérence, marque privée créée en 2010 avec la participation de la Fnab, qui avait déjà pour ambition de « faire progresser les pratiques des agriculteurs bio, tout en renforçant leur cohérence sociale et environnementale ».
Pourtant, de l’aveu même du député EÉLV Claude Gruffat, ex-président de Biocoop, ce label ne « décolle pas». Pour la version 2022 de son label, censé récupérer les âmes en perdition des consommateurs déserteurs, la Fnab a décidé d’accompagner environ 300 fermes sur les… 10 000 adhérentes à la fédération. Soit un objectif bien modeste au regard de l’ampleur de la crise que traverse le secteur.
La Fnab embarrassée
Mais, en y regardant de plus près, de quoi s’agit-il exactement ? Hormis le fait que plusieurs de ses critères sont déjà largement une réalité chez nombre d’agriculteurs, comme, notamment, de favoriser les IAE (infrastructures agro-environnementales) et la couverture du sol, ou encore de réduire le travail du sol – ce que permet justement le glyphosate ! –, le point le plus cocasse de ce nouveau label réside sans conteste dans la persistance du discours mensonger de la Fnab sur les OGM.
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Celle-ci assure en effet ne pas en cultiver, alors que de nombreuses variétés issues de la mutagénèse – et donc considérées comme OGM au sens de la directive européenne 2001/18 sur les OGM – figurent dans le catalogue des variétés autorisées en bio. Ce qui est également le cas pour les variétés à CMS (stérilité mâle cytoplasmique) obtenues par fusion cellulaire. Mais étant exclues de son champ d’application, les variétés fabriquées par fusion cellulaire et celles issues de la mutagénèse ne sont pas interdites en agriculture biologique. Ces variétés dites « OGM non réglementés » sont même très largement présentes dans les cultures bio.
En particulier parmi les crucifères : les choux, les chicorées, les navets, les poireaux ou encore le colza, qui posent un sérieux problème à la filière bio. « En colza, a priori 95 % ou plus des semences de cette espèce seraient des CMS issues de fusion cellulaire », peut-on ainsi lire sur le site produire-bio.fr.
Interpellée à plusieurs reprises à ce sujet, la Fnab a toujours botté en touche, se contentant de déclarer : « Clarifions, la Fnab, Objectif Zéro OGM, Générations Futures et les consommateurs de bio, demandent une transparence totale sur TOUTES les techniques de sélection utilisées : les CMS, la mutagénèse, ainsi que les nouvelles techniques OGM. » Mais quand, au nom de la transparence, il lui est explicitement demandé si oui ou non ses adhérents cultivent des OGM issus de CMS ou de mutagénèse, la Fnab garde un silence embarrassé.
Or, ce nouveau label n’apporte aucune clarification. En fin de compte, la seule différence dont pourront se prévaloir les labellisés « Fnab bio France » par rapport aux adhérents de la Fnab n’ayant pas le nouveau label (à savoir l’immense majorité des producteurs bio), sera l’interdiction de faire usage de variétés OGM de type « CMS », tout en pouvant continuer la culture d’OGM issus de mutagénèse.