Les résultats d’une étude de l’Institut Ramazzini suggèrent que le glyphosate provoquerait des leucémies chez le rat. A&E propose une enquête inédite sur cet institut, loin d’être indépendant et impartial
« Selon une nouvelle étude, le glyphosate provoque des leucémies chez le rat », titraient de façon anxiogène plusieurs médias français à la fin octobre. Pile au moment où le sort de cet herbicide était en train d’être décidé par les États membres de l’Union européenne. À l’origine de ce « scoop », un document publié par l’Institut Ramazzini annonçant avoir mené à bien une étude baptisée « Global Glyphosate Study » (GGS), qui serait « la plus complète jamais réalisée sur le glyphosate et les herbicides à base de glyphosate ». Le coordinateur de cette étude, le Dr Daniele Mandrioli, par ailleurs directeur de l’Institut, estimait que ces résultats étaient « d’une telle importance pour la santé publique » qu’il était indispensable d’en présenter « dès maintenant » une synthèse. Avec, à la clé, l’avantage indéniable de ne pouvoir être contestés, puisque l’étude en question ne sera rendue publique que dans le courant de l’année 2024.
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Il n’en fallait pas plus pour soulever les rangs de la nébuleuse antiglyphosate, avec Générations Futures, Foodwatch et WeMove en tête, qui, à l’unisson, ont réclamé, une fois encore, la fin du glyphosate. Quelques jours plus tard, 106 ONG européennes ont écrit à Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, pour la supplier « d’intervenir afin que la Commission retire sa proposition de renouveler l’approbation du glyphosate ». Et cela « à la lumière de nouvelles preuves irréfutables montrant que cette substance provoque des leucémies chez les jeunes rats ».
Ce petit stratagème de dernière minute n’a bien entendu eu aucune conséquence sur le sort de l’herbicide maudit. Ce qui semble assez logique au regard du pedigree de ce « célèbre organisme de recherche indépendant et respecté sur le cancer », pour reprendre les propos du journaliste décroissant bien connu Stéphane Foucart.
L’Institut Ramazzini, un institut au caractère militant
Doté d’un budget de plus de 3 millions d’euros, l’Institut Ramazzini a été fondé en 1982 à Bologne, en Italie, en même temps que le Collegium Ramazzini, structures toutes deux spécialisées en santé environnementale. La première se présente comme « une coopérative indépendante à but non lucratif de plus de 27000 associés, qui se consacre à la promotion de la recherche scientifique pour la prévention du cancer », tandis que la seconde s’affiche comme une académie internationale regroupant 180 scientifiques.
Son traitement du cas du glyphosate témoigne à lui seul de la ligne partisane de cet organisme à deux têtes, qui n’hésite pas à afficher publiquement son caractère militant contre les pesticides en général et le glyphosate en particulier. Ainsi, l’institut a commencé à s’intéresser à cet herbicide de façon active peu de temps après que le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) l’eut classé, en mars 2015, comme « cancérigène probable ». Mais alors que de multiples critiques, émises notamment par les autorités sanitaires, commençaient à s’élever à l’encontre de la monographie du Circ consacrée au glyphosate, l’Institut Ramazzini a pris le parti de venir à sa rescousse. Ce qui n’est guère surprenant lorsqu’on sait que Kurt Straif, à l’époque responsable des monographies au Circ, est membre du Collegium Ramazzini… depuis 2007 ! Comme l’étaient aussi plusieurs autres membres impliqués dans cette classification du glyphosate par le Circ. C’est le cas, ainsi, du biostatisticien Christopher Portier ayant rejoint le Collegium Ramazzini en 2016, qui se distingue clairement depuis 2015 comme l’un des principaux lobbyistes antiglyphosate.
Dès juillet 2015, l’Institut Ramazzini lance une étude pilote « sur les dangers du glyphosate pour la santé, qui sera suivie d’un projet de recherche expérimentale intégrée », dans le même temps qu’il s’associe à la coalition italienne « Stop Glifosato », dont l’objectif est d’interdire la production, la commercialisation et l’utilisation de tous les produits à base de glyphosate, et cela au nom du principe de précaution. Une initiative lancée par le lobby du bio italien, en l’occurrence l’Association italienne pour l’agriculture biologique et la Fondation italienne pour la recherche en agriculture biologique et biodynamique.
Cinq ans plus tard, l’Institut Ramazzini rejoint la liste des signataires de l’Initiative citoyenne européenne « Sauvons les abeilles et les agriculteurs ! », pour exiger l’interdiction de tous les pesticides de synthèse en Europe d’ici 2035, confirmant ainsi sa ligne militante, qui le voue à participer à la lutte contre tous les pesticides.
À cela s’ajoute l’incontestable proximité qui existe entre ce centre de recherche et l’écologie politique. En témoigne notamment la première présentation devant la presse, en mai 2018, des résultats de son étude pilote sur le glyphosate, que l’Institut avait choisi de faire en collaboration avec le groupe parlementaire des Verts européens. Ce dont Philippe Lamberts, président du groupe Verts-Ale, s’était alors réjoui, en se clamant « honoré d’avoir été choisi » par l’Institut Ramazzini « pour la présentation d’une étude pilote aussi importante ». Un choix finalement pas si étonnant puisque la professeure Fiorella Belpoggi, pilier de l’Institut Ramazzini et cheville ouvrière de l’étude sur le glyphosate, a rejoint peu après Europa Verde – les Verts italiens – pour devenir candidate aux élections européennes de 2019.
Aux côtés du lobby du bio américain
Et ce n’est pas tout. Bien que deux des « chefs d’orchestre » de l’étude – Fiorella Belpoggi et le pédiatre américain Philip Landrigan, membre du conseil scientifique de l’Institut Ramazzini et du Collegium Ramazzini – s’en défendent, on peut s’interroger sur l’implication du lobby du bio dans ces travaux contre le glyphosate. Notamment au travers d’un organisme du lobby du bio américain, qui lui a apporté un important soutien financier.
En effet, il est de notoriété publique que Philip Landrigan entretient des liens étroits avec ce lobby, comme en témoigne la distinction « pour sa persévérance et son engagement à faire croître le mouvement bio » que le chercheur a obtenue de la part du Rodale Institute, structure basée aux États-Unis qui se présente comme le « leader mondial de l’agriculture biologique régénérative ». Et pour cause, puisqu’il a lui-même siégé pendant une dizaine d’années – à savoir depuis sa création en 2002 jusqu’en 2012 – au sein du comité consultatif de l’Organic Center, une structure créée à l’initiative du principal organisme de lobbying bio outre-Atlantique, l’Organic Trade Association, qui représente aujourd’hui plus de 10 000 entreprises bio.
C’est d’ailleurs à cette occasion qu’il a fait la connaissance de Charles Benbrook, directeur scientifique de l’Organic Center de 2004 à 2012, avec lequel il a, par la suite, mené diverses opérations de lobbying, notamment sur les OGM. Cela a été révélé grâce aux échanges de mails que le New York Times s’est procurés dans le cadre du FOIA (loi relative à la liberté d’information).
Ces mails démontrent en effet que Stonyfield Farm, leader américain des yaourts bio, a bel et bien payé Benbrook à deux reprises au moins pour qu’il aille à Washington faire du lobbying contre une interdiction fédérale émise sur l’étiquetage OGM. Dans l’un des mails, envoyé en mai 2015, le fondateur et président de Stonyfield Farm, Gary Hirshberg, remercie Charles Benbrook et Philip Landrigan pour leur participation à la campagne pour imposer l’étiquetage OGM. Il y est également question d’une réunion de travail autour de cette problématique, qui a eu lieu en juillet 2015 avec Walmart, le leader mondial de la grande distribution.
Cette réunion s’est tenue un mois précisément avant que Benbrook et Landrigan cosignent dans le New England Journal of Medicine un article intitulé « GMOs, Herbicides, and Public Health », dans lequel est dénoncé l’impact des OGM et des pesticides sur la santé publique. Quoique les deux auteurs aient assuré n’avoir aucun conflit d’intérêts, ce genre d’article ressemble pourtant furieusement à ce qu’on appelle du « ghostwriting ».
Enfin, on retrouve Philip Landrgan tout comme Fiorella Belpoggi – ainsi que Melissa Perry, une autre chercheuse du groupe Ramazzini impliquée dans la GGS – dans une structure dont Charles Benbrook a la charge, dénommée Heartland Health Research Alliance (HHRA).
Fondée en 2020 par Benbrook, cette association a comme objectif officiel de « soutenir la recherche visant à déterminer si les herbicides largement répandus affectent la santé reproductive et la santé des enfants ». Plusieurs membres de l’Organic Center font partie des responsables de la HHRA, tout comme une avocate qui travaille chez Weitz & Luxenberg, l’un des principaux cabinets d’avocats… engagés dans les procès sur le Roundup !
Financé grâce au lobby du bio, notamment au travers d’Organic Valley, une entreprise américaine d’aliments bio qui pèse plus de 1 milliard de dollars, la HHRA a ainsi pu lancer son étude « Heartland » qui vise à mesurer pendant plusieurs années les niveaux d’herbicides dans le corps des mères et de leurs enfants. Le fait même que, aux propres dires de Benbrook, l’Institut Ramazzini serait « un partenaire majeur de la HHRA en toxicologie », démontre les liens organiques unissant ces deux structures, concrétisés notamment par un partenariat financier précisément pour la réalisation de la fameuse étude sur le glyphosate qui ne sera publiée qu’en 2024, mais dont les médias français ont déjà dévoilé les soi-disant résultats.
En effet, alors que l’Institut Ramazzini comptait analyser uniquement le glyphosate et la formulation Roundup BioFlow telle qu’on la trouve en Europe, Landrigan a proposé d’inclure un herbicide à base de glyphosate (HBG) utilisé aux États-Unis : « [Melissa] Perry et moi-même avons suggéré à nos collègues de l’Institut Ramazzini d’ajouter le Ranger Pro à la GGS. ».En contrepartie, la HHRA a promis un financement à hauteur de 950 000 dollars, payé sur cinq ans. Offre qui a été acceptée, bien que Belpoggi et Landrigan aient toujours clamé que, au nom de « l’indépendance », la GGS ne serait pas financée par « l’industrie de l’alimentation biologique ».