Les Français ont peur des pesticides. Tel est le résultat de campagnes menées depuis vingt-cinq ans par la nébuleuse écologiste. Avec une stratégie méthodique initiée par l’association de lobbying Générations Futures. Décryptage.
Selon le dernier Eurobaromètre sur la sécurité alimentaire dans l’Union européenne, publié à la fin septembre 2025 par l’Efsa (Autorité européenne de sécurité des aliments), les résidus de pesticides dans les aliments constituent la première préoccupation des Français (52 %), largement au-dessus de la moyenne européenne (39 %).
Cela n’est nullement le fruit du hasard, mais le résultat incontestable des campagnes menées depuis vingt-cinq ans par plusieurs ONG, qui ont instauré un bruit de fond permanent sur le danger des pesticides agricoles, alimentant ainsi l’inquiétude des consommateurs. Une inquiétude qui est sans commune mesure avec la réalité, puisque, selon les organismes officiels, les pesticides ne figurent pas du tout parmi les premières causes de maladies. Pas plus qu’ils ne sont les principaux responsables des cancers, comme en témoignent les recommandations de la Fondation Arc pour la recherche sur le cancer, qui souligne l’importance d’arrêter d’abord le tabagisme, puis de limiter la consommation d’alcool, d’adopter une alimentation équilibrée et diversifiée, de pratiquer une activité physique tous les jours, et enfin de se protéger du soleil.
Cette inversion de la hiérarchie des risques a assuré le succès de la stratégie assumée et mise en place par François Veillerette, le patron de Générations Futures (GF), qui, avec une petite équipe réactive, a pu optimiser l’impact de ses campagnes antipesticides avec un minimum de moyens. Certes, au fil des années, l’association s’est constitué une belle réserve financière qui s’élève, en fin 2023, à 1,9 million d’euros, et son budget annuel (qui a longtemps oscillé entre 220 000 et 350 000 euros) avoisine désormais les 500 000 euros, mais cela reste relativement modeste en comparaison à d’autres structures écologistes.
La stratégie de l’amalgame pesticides et cancer
S’inspirant de campagnes menées aux États-Unis à partir de la fin des années 1990, François Veillerette a donc choisi de lier la problématique des pesticides à celle de la santé plutôt qu’à celle de l’environnement, dans le dessein de maximiser son impact médiatique. Et il a eu raison.
À partir de la fin des années 1990, François Veillerette a choisi de lier la problématique des pesticides à celle de la santé plutôt qu’à celle de l’environnement, dans le dessein de maximiser son impact médiatique
L’une des premières offensives sur ce thème date de la fin 2008, lorsque Générations Futures, en coordination avec l’association européenne Health and Environment Alliance, lance sa campagne intitulée « Pesticides et Cancer », visant à « prévenir les cancers qui sont associés à l’exposition aux pesticides ». D’autres ONG écologistes ont épousé la même thématique, et ce fut encore le cas tout récemment, en novembre 2025, où la Fondation pour la Nature et l’Homme a lancé un appel aux dons sur le thème « Pesticides, bétonnisation, pollution : ça vous rend malade ? Nous aussi ! ».
« Tous exposés, tous contaminés »
Les campagnes de ce type se sont succédé sans relâche durant les deux dernières décennies, véhiculant toujours le même message : « Tous exposé, tous contaminés. » Ainsi, depuis 2013, GF a mené une quarantaine d’opérations de communication sur la présence de résidus de pesticides, c’est-à-dire trois fois par an, multipliant les analyses de résidus de pesticides, que ce soit dans les aliments et les boissons, comme dans les cheveux ou les urines, tout en se servant également des données officielles disponibles afin de démontrer l’omniprésence des pesticides.
Devant le succès médiatique certain de ces campagnes, d’autres associations, d’écologistes ou de consommateurs, ont entonné le même refrain. On citera la récente mobilisation contre la loi Duplomb, où l’acétamipride a été systématiquement associé aux maladies comme le cancer – alors que ce lien est formellement contesté par les autorités de l’ensemble des agences sanitaires du monde. Ce qui n’a pas empêché la fondatrice du collectif Cancer Colère, Fleur Breteau, d’accuser les parlementaires d’être des « alliés du cancer ». Des propos repris par la députée LFI Mathilde Panot, qui s’en prenait récemment à la « coalition du cancer » en désignant les élus qui ont soutenu la loi Duplomb.
En complément de ces campagnes, Générations Futures a mis en ligne des cartes pour documenter l’exposition des citoyens aux polluants : une sur les achats de pesticides (Géophyto), une autre, interactive, sur des sites industriels responsables de rejets de PFAS, et enfin une troisième, également interactive et actualisée tous les mois, « sur la présence des principaux polluants chimiques dans l’eau du robinet en France », dont les pesticides .
« Présence équivaut à danger » est évidemment le corollaire de son premier message. Dans sa communication, GF insiste lourdement sur le nombre de résidus détectés, tout en évitant soigneusement de mentionner de quelles quantités il s’agit. Un élément pourtant essentiel, puisque la quasi-totalité de cette « présence » se révèle si faible (de l’ordre de millionièmes ou milliardièmes de gramme) que le risque pour le consommateur reste toujours inexistant.
Maîtrisant parfaitement les ressorts de la communication, l’association prend cependant toujours soin de mentionner que les résultats « n’ont pas de valeur statistique significative », et admet même que les niveaux de ce qui a été analysé ne vont pas « forcément déclencher des pathologies ». Mieux encore, dans son rapport d’octobre 2025 sur l’eau du robinet, GF assure que « la qualité de l’eau est globalement bonne en France ». Pour nuancer aussitôt : « mais l’eau contribue à l’exposition de la population aux substances chimiques », et « la très grande majorité des cas de non-conformité à la réglementation, recensés au 29 août 2025, sont dus à la présence de métabolites de pesticides ». Or, comme l’enseignait judicieusement Ned Stark à ses enfants dans la série Game of Thrones, « tout ce qui est avant le mot “mais” ne compte pas ». Ce que confirment infailliblement les médias qui, en général, ne retiennent du message que la partie située après le « mais »…
Double agenda
Ces ONG, et en particulier Générations Futures, qui se posent toujours en défenseurs de l’intérêt général et de la santé des citoyens, par opposition aux vendeurs de pesticides seulement motivés par le profit, ont en réalité un double agenda, à la fois économique et politique.
Il est ainsi de notoriété publique que GF est au service des entreprises du secteur de l’agriculture bio, avec pour principe directeur une idée simple : grâce aux campagnes anxiogènes réalisées sur les pesticides, les consommateurs seront conduits à privilégier les produits bio. Dès 2006, GF diffusait une plaquette intitulée « Une association soutient la bio pour une agriculture sans toxique », dans laquelle il était expliqué que soutenir son travail, « c’est permettre de développer le secteur de la bio. » Et, de façon encore plus explicite, l’association déclarait qu’en lui octroyant un don, ces entreprises l’aidaient à devenir « un interlocuteur incontournable dans la lutte contre les pesticides et leurs dangers et un acteur actif dans la promotion de l’agriculture biologique ».
Politiser le cancer semble être devenu le récit récurrent dont l’objectif consiste à abolir la société capitaliste en général, et l’agriculture conventionnelle en particulier
Depuis cette date, la promotion de l’agriculture biologique, inscrite jusque dans ses statuts, est dans l’ADN de l’association, qui martèle sans cesse des messages favorables au bio, à l’instar de leur brochure « Pesticides et santé, tous concernés ! » : « Consommer des produits issus de l’agriculture biologique est la seule garantie d’une alimentation sans pesticides ni OGM et respectueuse de l’environnement. »
Et sans surprise, on retrouve à la présidence de GF Maria Pelletier, qui est également administratrice du Synabio, le syndicat national des entreprises bio agroalimentaires. De même, un bon nombre d’entreprises sponsors de GF sont également membres du Synabio, comme Biocoop, Léa Nature, Ekibio ou encore Ecotone. Ces dernières années, l’ensemble des entreprises du bio a octroyé en moyenne 110 000 euros par an à GF, ce qui équivaut à 22 % de son budget.
Cette symbiose structurelle entre les entreprises bio et l’association de François Veillerette constitue l’un des ressorts principaux de GF, qui opère en réalité comme une simple entreprise de lobbying pour tout le secteur de la bio. Mais ce n’est pas le seul.
« Politiser le cancer »
En effet, GF suit également un agenda politique, qui fait aujourd’hui participer l’association à l’émergence d’un mouvement qui, comme le remarque le média écologiste Reporterre, « politise le cancer ».
Et c’est aussi le cas de Fleur Breteau, « la figure de la résistance contre la loi Duplomb, dévastatrice pour la santé », tout comme celui de la députée écologiste Sandrine Rousseau, qui déplorait, lors des Amfis 2025 organisés par La France insoumise, que les données sur le cancer « sont en permanence renvoyées à des comportements individuels […] et jamais la responsabilité des gouvernements successifs n’est interrogée ». Ou encore de Mathilde Panot, qui prenait le relais en clamant qu’il faut sortir « du prisme individuel pour revenir sur le fait que ce dont nous sommes malades, c’est de la société », ajoutant que « ce qui se passe avec l’épidémie de maladies, c’est ce que fait le capitalisme ».
Des éléments de langage repris récemment par le journaliste décroissant Stéphane Foucart dans une chronique du Monde intitulée « Le cancer, maladie politique ». Il y affirme ainsi que « les facteurs de risque individuels tels que l’alcool, la sédentarité, le surpoids, les traitements hormonaux et, dans une moindre mesure, les prédispositions génétiques et le tabac » ne sont pas prépondérants. Avant de préciser qu’il s’agit seulement « d’un narratif néolibéral bien commode, qui réduit la maladie à sa dimension individuelle et la purge de toute sa charge politique ».
Bref, politiser le cancer – et d’autres maladies – semble être devenu le récit récurrent dont l’objectif consiste à abolir la société capitaliste en général, et l’agriculture conventionnelle en particulier, perçue comme l’un de ses avatars.

