Plus une conférence ni un colloque où ne soit pas évoqué le sujet des clauses miroirs. Intellectuellement, l’idée est si séduisante qu’elle fait la quasi-unanimité au sein du monde agricole. Elle fédère même des associations aussi différentes que la Fondation Nicolat Hulot (FNH) et l’interprofession de la viande, Interbev. En effet, n’est-il pas naturel de ne pas accepter sur le territoire français des denrées alimentaires dont les modes de production ne respectent pas les mêmes normes que celles qu’on impose à nos agriculteurs ? À différentes occasions, le ministre de l’Agriculture Julien Denormandie a donc souligné que les clauses miroirs seraient l’une des priorités de la présidence française de l’Union européenne, qui sera effective le premier semestre de l’an prochain, afin de répondre aux distorsions de concurrence que représente le manque d’harmonisation dans les moyens de production. Et tout le monde s’en félicite.
Reste à savoir si tout cela est bien réalisable. Comme l’a parfaitement remarqué l’économiste Sébastien Abis, lors d’un séminaire, c’est très bien de vouloir prendre une paire de gants de boxe et d’aller sur le ring, mais encore faut-il être prêt à prendre quelques coups ! Car l’usage des clauses miroirs – si tant est qu’il soit compatible avec les règles de l’Organisation mondiale pour le commerce, comme le prétendent les uns et les autres –, pourrait se heurter à quelques mesures de rétorsion des pays visés. Car il s’agit ni plus ni moins d’une forme dʼingérence de lʼUE dans la réglementation des autres pays, puisque l’on veut imposer des normes – notamment sur l’usage des produits chimiques ou des modes de production – qui correspondent à des choix sociétaux plutôt qu’à des réalités sanitaires ou environnementales. Mais sommes-nous vraiment prêts à revivre le conflit entre Airbus et Boeing, qui a entraîné lʼapplication de taxes additionnelles sur les produits agricoles ? Ou encore les conséquences désastreuses pour l’agriculture des sanctions contre la Russie ?
À cela s’ajoute le fait que, pour de nombreuses filières, nos principaux compétiteurs agricoles proviennent surtout de pays membres de l’UE, pour lesquels les clauses miroirs ne pourront pas s’appliquer. Ainsi, pour ce qui est de la viande, il s’agit du trio habituel, à savoir l’Irlande, les Pays-Bas et l’Allemagne, désormais complété par la Pologne. Et s’agissant des fruits et légumes, on retrouve encore la Pologne, le deuxième producteur de pommes au monde, et bien entendu l’Espagne. Dans ces cas-là, tous les discours sur les promesses des clauses miroirs ne sont-ils pas davantage un miroir aux alouettes qui risque de provoquer ensuite beaucoup de déceptions ?