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De l’Altermondialisme à la contestation anti-OGM (1)

Première partie :

Indubitablement, la lutte contre les OGM fait aujourd’hui partie de l’arsenal argumentaire classique des mouvements altermondialistes. Ce n’est donc pas un hasard si l’on retrouve parmi les soutiens actifs aux Faucheurs volontaires la Commission anti-OGM d’Attac, ainsi que de nombreux adhérents de la Confédération paysanne, associés aux militants d’une nébuleuse de groupuscules qui gravitent autour de la revue L’Ecologiste.

A première vue, les principaux arguments habituellement utilisés par les anti-OGM (éventuels risques pour la santé et l’environnement ou effets sur la biodiversité) ne semblent pas relever de l’idéologie. Pourtant, dans La querelle des OGM, l’épistémologue et historien des sciences et des technologies Jean-Paul Oury affirme que la polémique sur les OGM repose davantage sur « un conflit qui oppose les acteurs et leurs valeurs par le biais d’un affrontement idéologique direct » que sur une « querelle d’experts ».

En effet, il est très rare de trouver dans le débat sur les OGM des traces d’une réelle querelle scientifique, qui oppose des points de vue différents et légitimes. Par le passé, de telles controverses ont existé. L’une des plus intéressantes portait sur l’utilisation de gènes marqueurs de résistance aux antibiotiques (kanamycine et ampicilline). Différents points de vue scientifiques ont été émis au sujet de la possibilité de ces gènes, utilisés dans les plantes transgéniques, de « s’échapper » vers des bactéries du sol et d’entraîner des problèmes de santé publique. En 1999, une réunion a permis de confronter idées et résultats. Elle a conclu à l’absence de risque associé à l’utilisation de ces gènes de résistance, tout en recommandant de limiter le matériel génétique intégré aux seules séquences d’intérêt.

Malheureusement, ce type de querelles n’est que très rarement médiatisé. Et lorsque c’est le cas, celles-ci sont souvent transformées en polémiques d’apparence scientifique. Le sociologue Alexis Roy a étudié plusieurs de ces controverses, afin de déterminer si les désaccords qui opposent les experts avaient pour origine un réel différend scientifique, ou s’ils émanaient d’adhésions à des philosophies sous-jacentes antagonistes. Il s’est notamment penché sur la fameuse « controverse Crawley-Miller », qui a opposé à partir de 1993 l’environnementaliste M.J. Crawley à Henry Miller, de l’Office des Biotechnologies de la U.S. Food and Drug Administration. Ce débat, qui portait d’abord sur les effets du génie génétique sur les écosystèmes, a très rapidement évolué vers une polémique qui a vu les deux chercheurs s’accuser mutuellement d’être, pour l’un, à la solde des environnementalistes, pour l’autre, à celle du gouvernement. Dans La querelle des OGM, Jean-Paul Oury cite d’autres exemples, comme la controverse qui a opposé Charles Benbrook à Janet E. Carpenter : le premier soutenait que le soja RR de Monsanto fournirait un rendement moindre aux agriculteurs, en dépit d’une plus grande commodité d’utilisation ; la seconde estimait que son opposant trompait ses lecteurs en basant ses analyses sur des comparaisons de variétés de soja différentes. En occultant les origines philosophiques de la polémique sur les OGM, on peut donc difficilement comprendre un affrontement auquel le milieu scientifique n’échappe pas.

Le « réseau des réseaux »

Dans son récent ouvrage L’antimondialisation, aspects méconnus d’une nébuleuse, Jean Jacob, maître de conférences à l’Université de Perpignan, apporte un regard éclairant sur les racines de l’un des principaux courants qui ont marqué de manière significative l’opposition aux OGM – à tel point d’ailleurs que les deux contestations, altermondialiste et anti-OGM, se confondent souvent allègrement. L’auteur part de José Bové, qui incarne à lui tout seul cette double bataille, en tout cas en France. De l’ex-leader syndical, il conduit son lecteur à un petit réseau international de théoriciens, dont certains ont apporté en juin 2000 leur soutien direct à l’ancien porte-parole de la Conf’, suite à la destruction du McDonald’s de Millau. Ce réseau est structuré autour d’une soixantaine de personnes, regroupées depuis plusieurs années dans ce que Laurence Caramel, journaliste au Monde, appelle « l’épine dorsale de la contestation, le “réseau des réseaux” » : le Forum international sur la globalisation (International Forum on Globalisation). L’IFG a été créé en 1994 à San Francisco par Jerry Mander, ancien publicitaire et ex-président de Public Media Center, reconverti dans la défense de l’environnement. Aujourd’hui, il regroupe une dizaine de salariés, dotés d’un budget d’environ un million de dollars par an. Ce groupe d’intellectuels, constitué sur le modèle des think tanks (cercles de réflexion) anglo-saxons, s’est fixé pour objectif de fournir des analyses aux militants écologistes et aux activistes antimondialistes. Parmi les dix-sept membres de son conseil d’administration, on retrouve la plupart des théoriciens de l’écologie radicale, dont Edouard Goldsmith et la militante anti-OGM Vandana Shiva.

Bien qu’essentiellement dédié à la contestation antilibérale, l’IFG prône une vision du monde tout à fait incompatible avec les technologies de la transgenèse, voire avec une agriculture moderne et productive. Dès janvier 1995, il publiait une déclaration d’intention proposant d’œuvrer pour « des économies soutenables, équitables, démocratiques et écologiques ». Il souhaitait y associer divers activistes, notamment pour influencer les pouvoirs publics. Très rapidement, une part non négligeable de la réflexion de l’IFG s’est portée sur l’agriculture. Dans la Déclaration de Vancouver de 1998, l’IFG a proposé sa propre version de l’agriculture, comportant une mise en garde contre « l’agriculture industrielle » : « Nous pensons que l’industrialisation et la globalisation de la nourriture mettent en péril l’humanité et la nature. […] Cinq décennies de la soi-disante Révolution verte ne sont pas simplement à l’origine de la destruction et de la contamination de l’eau, des sols, de la biodiversité et des communautés humaines, mais elles ont aggravé la famine dans le monde ». Le texte s’en prend à tout ce qui concerne la génétique. A côté du brevetage de la vie, « la propriété industrielle et la manipulation de notre héritage génétique représentent les plus grandes menaces jamais imposées par l’agriculture industrielle ». Pour sortir de cet « enfer moderne », il existe, selon l’IFG, des issues de secours : « Nous savons qu’il existe des alternatives non toxiques et non destructives à l’agriculture industrielle mondialisée, et nous savons que ces alternatives peuvent fournir davantage de nourriture ». Cependant, pour cela, il faut « relocaliser la production » et limiter l’agriculture aux pratiques bio et de préférence non mécanisées. Comme en témoigne la Déclaration de Vancouver, il ne s’agit pas d’adopter une réforme superficielle, mais de rompre avec un système économique – et son paradigme culturel – jugé totalement destructeur. Au cœur de ce programme figure donc la relocalisation de l’économie, c’est-à-dire la « revitalisation des communautés locales ». La vulgarisation de ce concept revient à un proche collaborateur de l’IFG, Jeremy Rifkin, leader populiste américain précurseur dans la lutte contre les OGM, et auteur en 1991 de Biosphere Politics. A New Consciousness for a New Century. Dans cet ouvrage – l’un des tout premiers à contester et la privatisation, et la « marchandisation du monde » -, l’auteur appelle au « rétablissement des communautés, à la resacralisation des liens de parenté et à la restauration de la santé terrestre ». Concrètement, selon lui, il faudrait que les nouvelles politiques déconnectent l’activité économique du marché mondial pour l’ancrer dans le territoire et les écosystèmes régionaux, définis selon le concept de « biorégions » (une biorégion étant un espace reposant sur ses caractéristiques naturelles, et non sur des limites arbitrairement fixées par la société – comme les Etats). A plusieurs égards, Jeremy Rifkin s’inspire du courant de l’écologie profonde, la deep ecology, représentée par une fondation du même nom : la Foundation for Deep Ecology (FDE), elle-même à l’origine de l’IFG.

De l’écologie profonde aux biorégions

La Foundation for Deep Ecology – qui selon ses propres termes « a conçu, hébergé et financé » l’FG -, a été fondée au début des années 90 par Jerry Mander et un certain Douglas Tompkins, richissime homme d’affaires, sous le nom de « Foundation for New Paradigm Thinking » . Reconverti en 1968 à la contre-culture californienne, Douglas Tompkins a lancé une ligne de « vêtements écologiques reposant dans la mesure du possible sur des matières premières non traitées par la chimie ». Son entreprise, Esprit, a cependant été épinglée en 1997 par le collectif Libère tes fringues, pour utilisation d’ateliers clandestins aux Etats-Unis, puis une seconde fois en 1998 par la militante altermondialiste Naomi Klein, pour emploi de main-d’œuvre chinoise sous-payée, travaillant sept jours par semaine de 7h30 à minuit, dans des conditions sociales et hygiéniques déplorables. Les pratiques de Tompkins s’expliquent peut-être par le fait que les adeptes de la deep ecology sont plus soucieux de ce qui peut porter atteinte à l’équilibre de la nature, et qu’il contestent ouvertement tout ce qui s’apparente à de l’anthropocentrisme. La FDE estime de fait qu’il faut remettre en cause plusieurs « paradigmes culturels » de la société occidentale, comme celui qui affirme la supériorité humaine sur les autres formes de vie, et celui qui accepte une foi « aveugle » dans le progrès technologique et scientifique. Ces paradigmes n’étant pas compatibles avec une approche écologique du monde, il faut repenser la société en s’inspirant des valeurs et des savoirs ancestraux et traditionnels, au prix, si nécessaire, de devoir lutter contre l’augmentation de la population. Comme le souligne Peter Berg, l’un des leaders de ce courant de l’écologisme radical, « le biorégionalisme n’est pas une notion neuve : il a été le principe culturel qui a animé 99 % de l’histoire humaine. C’est un mode d’organisation sociale autodéterminé et décentralisé, une culture basée sur l’intégrité et le respect de la nature, et une société qui honore et encourage le développement spirituel de ses membres. » Vision on ne peut plus idyllique d’un passé où l’espérance de vie ne dépassait guère trente ans, où il valait mieux se trouver au sommet de l’échelle sociale et où le rôle de la femme se bornait à mettre des enfants au monde, souvent au détriment de sa propre vie !

La lecture sélective de Jerry Mander

Ce discours est partagé par Jerry Mander, qui de son propre aveu, « soutient depuis plus de deux décennies le courant biorégionaliste, une alternative à la globalisation ». Contrairement à son ami Edouard Goldsmith, guère ménagé en France, Jerry Mander ne fait l’objet dans l’Hexagone que de très rares critiques, alors que son discours est tout aussi sulfureux que celui de son alter ego britannique. Il suffit pour s’en convaincre de relire son livre In the Absence of the Sacred. The Failure of Technology and the Survival of the Indian Nations, publié en 1992. Dans cet ouvrage, Jerry Mander dresse un tableau apocalyptique de la société américaine contemporaine : augmentation des crimes, des suicides et de l’illettrisme. Les ordinateurs, la télévision ou l’énergie nucléaire sont décrits comme autant de formes de militarisation de la société. Les manipulations génétiques, elles, lui permettent de fustiger la légèreté des chercheurs et de la science en général. A la suite de Jacques Ellul, Jerry Mander renvoie dos à dos tous les courants politiques, de la droite à la gauche, du capitalisme au socialisme. Tous sont, selon lui, convaincus de la supériorité de la rationalité technologique occidentale. A l’instar de Peter Berg, Jerry Mander affirme que seules les sociétés primitives se soucient d’assurer la cohésion sociale du groupe. Mais comme le souligne avec pertinence Jean Jacob, « sa lecture sélective omet de rappeler la dimension guerrière, violente et pesante pour les individus [de ces sociétés primitives] (où sont passées les tortures ?) », alors que « la plupart des sociétés dites technologiques, décriées par Jerry Mander, cherchent en effet avant tout à garantir les droits inaliénables de l’homme (comme l’illustrent les préambules de leurs chartes constitutionnelles) ».

L’écoféminisme de Vandana Shiva

C’est à la lumière de ce discours qu’on peut mieux comprendre les positions d’une autre vedette de la lutte contre la mondialisation de l’économie et contre les OGM : Vandana Shiva. Auteur de nombreux ouvrages sur l’agriculture et la sécurité alimentaire, Vandana Shiva est la coordinatrice du programme agricole de l’IFG. Son discours s’inspire principalement de sa réflexion spirituelle sur l’économie, sans jamais tomber dans la caricature lorsqu’elle argumente contre les OGM. Pour Vandana Shiva, c’est le concept même de développement qu’il faut remettre en cause. En effet, celui-ci ignorerait les cultures, les racines et les communautés des hommes. Le libre-échange – qui est la seule forme de capitalisme que la militante indienne semble retenir – n’est pas pour elle un incident de parcours, mais la conséquence d’une philosophie valorisant la conquête et la maîtrise de l’homme sur la nature. Un concept anthropocentrique qui trouve ses racines dans la culture monothéiste occidentale. Dans La biopiraterie ou le pillage de la nature et de la connaissance, Vandana Shiva affirme que c’est « l’abandon des croyances animistes et organicistes liées au cosmos [qui] a sous-tendu la destruction de la nature ». Il en découle une vision du monde n’opérant aucune distinction entre « monde naturel » et « monde social », tous deux assujettis aux mêmes principes. Vandana Shiva plaide ainsi pour la reconnaissance d’un « droit inhérent à la vie » s’appliquant à toutes les formes vivantes, y compris végétales. Ce qui implique qu’il n’y aurait aucune différence fondamentale entre transgenèse et eugénisme ! Dans la mouvance de l’écoféminisme, Vandana Shiva soutient que la « dérive » de la société occidentale est accentuée par son côté paternaliste, la science moderne constituant « une projection occidentale, masculinisante et patriarcale, qui implique nécessairement l’assujettissement à la fois de la nature et des femmes ». L’homme occidental aurait non seulement désexualisé Gaïa, notre « Terre Mère », mais il la contaminerait avec les produits synthétiques de l’industrie chimique. D’où l’urgence de revenir à une forme de spiritualité spécifiquement féminine. « Une perspective écoféministe expose la nécessité d’une nouvelle cosmologie et d’une nouvelle anthropologie qui reconnaissent que la vie dans la nature (qui inclut les êtres humains) est maintenue grâce à la coopération, la sollicitude et l’amour mutuel », déclare-t-elle dans Eco-féminisme, un livre corédigé en 1993 avec la sociologue Maria Mies.

« On ne peut aujourd’hui encore une fois que s’étonner du peu de cas qui est fait, en France, dans divers travaux, de cette dimension passéiste et parfois spirituelle [de cette vision du monde] », remarque Jean Jacob, qui précise que « lorsqu’elle est abordée, cette piste n’est qu’esquissée, [et] guère poursuivie ». Ceci est d’autant plus vrai qu’il ne s’agit pas d’un phénomène exclusivement anglo-saxon, comme en témoigne la présence d’Agnès Bertrand, la secrétaire générale du réseau écologiste européen Ecoropa (auquel ont collaboré le botaniste-écologiste Jean-Marie Pelt et Corinne Lepage) et l’animatrice avec Susan George de l’Observatoire de la mondialisation, parmi les membres de l’IFG. Figure essentielle de la contestation antimondialiste en France, cette amie d’Edouard Goldsmith définit le Forum comme « la tribu mondiale contre la globalisation ». Et lorsque l’IFG se réunit en France, c’est chez elle, à Sauve, dans le Gard, que se déroulent les réunions.

Accés à la seconde partie : de l’altermondialisme à la contestation anti-ogm.

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