Pour la deuxième fois dans l’affaire de la vache folle, l’Etat français a été condamné pour avoir utilisé le principe de précaution de façon abusive, en imposant des mesures disproportionnées et inutiles.
La première condamnation date de 2003. A cette époque, le collectif ESB Vérité avait obtenu gain de cause : deux ans plus tôt, il avait saisi le Conseil d’Etat sur le caractère inadapté des mesures imposées par la France sur l’abattage systématique de troupeaux de bovins dans lesquels un simple cas de vache contaminée par le prion (l’agent pathogène de l’encéphalopathie spongiforme bovine ou ESB) avait été détecté. « Ces mesures ne reflétaient pas l’état des connaissances scientifiques de l’époque. Nous avons donc saisi le Conseil d’Etat pour excès d’application du principe de précaution », explique son président Paul Vieille, éleveur bio de Vendée. S’accrochant à l’idée que le prion pouvait se transmettre comme un virus – et voulant surtout montrer qu’elle lavait plus blanc que blanc -, la France avait maintenu l’abattage systématique jusqu’en 2002. Sous la menace d’une condamnation du Conseil d’Etat, elle avait finalement changé son fusil d’épaule.
Six ans plus tard, c’est au tour d’un négociant de Rungis (Val-de-Marne) d’obtenir justice. Le 11 juillet 2007, la cour administrative d’appel de Paris a en effet condamné l’Etat français à lui verser une somme de plus d’1.300.000 euros en réparation du préjudice subi suite à l’interdiction de commercialiser du ris de veau (thymus) entre le 10 novembre 2000 et le 1er octobre 2002. Selon les termes exacts de l’arrêté de la cour, la France aurait agi « en violation des règles communautaires ». En réalité, l’affaire est plus grave dans la mesure où, une fois encore, la France a abusé du principe de précaution, faisant fi des connaissances scientifiques de l’époque. « Dès le début des années 1990, la communauté scientifique avait de très fortes présomptions sur le fait que les bovins ne diffusaient pas le prion dans le thymus et dans le reste de l’organisme », rappelle le Dr Jean-Louis Thillier, consultant scientifique européen. « Cependant, pour vérifier cette hypothèse, on a réalisé des tests sur des souris, génétiquement très éloignées de l’homme, mais qui ont l’avantage d’avoir un temps d’incubation très court. Afin de compenser ce grand franchissement de la barrière d’espèce (bovin-souris), on leur a injecté directement dans le cerveau des tissus d’un bovin atteint. Or, pouvant manquer de sensibilité, ces tests ne permettaient pas de détecter le degré zéro de contamination. Mais les progrès de la biotechnologie ont été fulgurants, au point d’arriver pratiquement à détecter celui-ci. Chez le bovin atteint d’ESB, on a confirmé l’absence de diffusion du prion-poison dans le système lymphatique et le sang, contrairement au mouton ou à la chèvre, où les agents pathogènes des encéphalopathies spongiformes diffusent partout dans l’organisme. En 2001, la question était donc tranchée, ce qui a permis au Conseil scientifique de la Communauté européenne de confirmer dans un règlement communautaire (entré en vigueur le 1er juillet 2001) que le thymus ne faisait pas partie des matériaux à risques. » Le bien-fondé légal de ce règlement n’a pas été contesté par la France, qui n’avait donc aucune raison de ne pas l’appliquer. D’autant plus que l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) précise bien dans son avis du 6 novembre 2001 « qu’aucune infectiosité ou aucune accumulation de protéine pathologique, au niveau de cet organe [le thymus], n’a été démontrée en conditions naturelles chez les bovins ». En clair, le ris de veau est parfaitement sain, y compris chez un bovin atteint d’ESB !
Paradoxalement, à cause de cet abus du principe de précaution, non seulement les citoyens français ont été privés collectivement de consommer du ris de veau pendant deux ans, mais de plus, ils vont devoir maintenant payer collectivement – à travers les condamnations de l’Etat – une somme qui risque fort de s’élever à quelque 11 millions d’euros ! En effet, selon l’avocat du négociant, Me Pierre Abegg, la cour administrative d’appel de Paris a déjà rendu trois arrêts similaires condamnant l’Etat à indemniser trois autres négociants de Rungis, pour des montants compris entre 148.000 et 812.000 euros. Et quarante-sept autres procédures de ce type sont en cours devant plusieurs juridictions administratives françaises…
Comme quoi le principe de précaution peut être aussi inutile que coûteux !