Le livre de Sylvie Brunel À qui profite le développement durable ? lance un pavé dans la mare du politiquement correct. « Aujourd’hui, le développement durable est partout, mis à toutes les sauces», note l’auteur, qui est par ailleurs professeur de géographie à Paris-Sorbonne. Cette défenseuse d’un développement équitablement partagé s’insurge contre certaines stratégies géopolitiques qui, « jouant sur la peur et la culpabilité, permettent à l’Occident de conserver sa suprématie et à ses protagonistes de conquérir des parts de marché ».Pour les ONG comme pour les entreprises, « le business environnemental fait recette ». Et surtout, il « a poussé dans les oubliettes le développement tout court ». Les pays riches y trouvent leur compte. Mais « quid des pauvres, au Nord comme au Sud ? », s’interroge l’ancienne militante d’Action contre la Faim, qui prend à témoin le continent africain : « À l’heure où ce continent cherche à échapper au piège de la pauvreté et de la dépendance envers la nature, le reste du monde cherche à l’y maintenir de force. Au nom du paradis perdu, l’Afrique devrait figurer, dans la mondialisation, cet Éden préadamique, immense zoo à ciel ouvert où les riches du monde entier pourraient venir puiser de quoi se régénérer, conservatoire de la faune et de la flore passées, comme si la misère tenait lieu de brevet d’authenticité. »
Sylvie Brunel prend à partie « les néoconvertis du développement durable », adeptes d’un modèle de croyances anglo-saxonnes : « Le développement durable intronise la mondialisation d’une conception du monde directement inspirée de ce que Tocqueville qualifiait dès 1835 de “l’esprit de religion” américain, mélange de puritanisme et de messianisme qui marque toujours la société anglo-saxonne : omniprésence du religieux, croyance en de grands mythes sur la culpabilité de l’homme face à une nature déifiée et idéalisée, valeur de la rédemption et de la pensée magique (“si je commets cet acte salutaire, je sauve la planète, et moi avec”) ».
Les nouveaux prédicateurs
Cette nouvelle religion possède ses propres prédicateurs, « d’autant plus crédibles qu’ils reconnaissent eux-mêmes avoir péché : “J’ai saccagé la planète en me déplaçant en hélicoptère, en violant les espaces vierges, mais aujourd’hui, je me repens et vous incite à en faire de même, pour le salut de tous. […] Comme Tarzan, les grands prédicateurs incarnent à la fois la virilité et la virginité : ils se présentent commes des hommes seuls, mais entourés de disciples, en lutte contre la corruption des moeurs et des esprits ; ils font l’apologie de la vie saine et du triomphe permanent de la volonté ». Ce n’est sûrement pas un hasard si Sylvie Brunel a choisi l’expression « triomphe de la volonté » : elle renvoie au titre du film de propagande nazi réalisé en 1935 par Leni Riefenstahl, et dont la séquence d’ouverture faisait de Hitler un dieu descendu des cieux pour sauver l’humanité. Primé au festival de Venise en 1936, ce film avait reçu le prix d’honneur du meilleur documentaire de l’année en France…
A qui profite le développement durable ?
Sylvie Brunel
Larousse / à vrai dire
Prix : 9,90 € – mai 2008