« L’impact favorable des OGM sur l’utilisation des pesticides contesté », titre Agrapresse dans son édition du 23 novembre 2009, au sujet d’une étude « qui bat en brèche l’idée que les OGM permettraient de réduire les volumes de pesticides utilisés dans les champs ». L’article précise que cette étude, présentée à Bruxelles par Greenpeace et Les Amis de la Terre le 17 novembre 2009, a été réalisée par un certain Charles Benbrook. Cette tendance est due à « l’émergence très rapide chez les mauvaises herbes de résistances au glyphosate, la substance active contenue dans le Roundup, l’herbicide de Monsanto », note l’agence. « Au total, depuis leur apparition, il y a 13 ans, les maïs OGM auraient entraîné une utilisation accrue de quelque 144.000 tonnes de pesticides, une “alerte sérieuse”, selon Greenpeace et Les Amis de la Terre, pour les décideurs européens », conclut l’article, qui n’apporte aucune autre précision. Gaëlle Dupont, journaliste au quotidien Le Monde et auteur d’un article sur le même sujet, joue en revanche cartes sur table, en précisant que ladite étude a été publiée par The Organic Center, « un centre de recherche américain opposé aux biotechnologies ». Elle aurait également pu signaler que parmi les sponsors de l’étude figurent l’Union of Concerned Scientists, le Center for Food Safety, la Cornerstone Campaign, la Rural Advancement Foundation International et… Greenpeace ! Bref, l’essentiel du lobby anti-OGM outre-Atlantique.
La journaliste du Monde souligne qu’en ce qui concerne les insecticides, Charles Benbrook admet une « économie » de 29.000 tonnes depuis 1996 grâce à la technologie du Bt. En revanche, l’étude prétend que « la généralisation du soja RoundUp Ready (RR) aurait abouti à une surconsommation de 173.000 tonnes d’herbicides », c’est-à-dire largement de quoi ternir l’image des biotechnologies végétales. Toutefois, comme le note Gaëlle Dupont, les travaux de Benbrook ont fait l’objet de sévères critiques, « en particulier par le cabinet de conseil britannique PG Economics, spécialisé dans l’analyse de l’impact des biotechnologies ». Une information dont ont également été privés les lecteurs d’Agrapresse.
Gaëlle Dupont relève ainsi « deux écueils » dans l’étude. D’une part, « les données de l’USDA [utilisées par Benbrook] s’arrêtent en 2007 pour le coton, en 2006 pour le soja et en 2005 pour le maïs. Elles ont été complétées par extrapolation par M. Benbrook ». D’autre part, Charles Benbrook « sous-évaluerait les traitements réalisés par les cultivateurs de soja traditionnel, peu nombreux aux Etats-Unis, donc jugés non représentatifs », poursuit Gaëlle Dupont. Selon les chiffres plus précis utilisés par PG Economics, M. Benbrook surestime l’utilisation des herbicides de 28.000 tonnes sur la période étudiée. Mais surtout, l’étude du militant anti-OGM ne fait pas de distinction entre le glyphosate, utilisé avec certains OGM, et les herbicides qu’il remplace (comme le 2,4 D), dont le profil toxicologique est moins favorable. « Le glyphosate est l’une des [matières actives] les moins nocives utilisées actuellement », admet pourtant Charles Benbrook, qui insiste toutefois sur le fait qu’il n’est pas sans risque.
Enfin, l’auteur de l’étude s’en tient au tonnage des herbicides et non à celui des matières actives utilisées. C’est ce qui explique que PG Economics obtienne des résultats très différents. Dans son rapport annuel, rendu public en octobre 2009, le cabinet de conseil estime en effet que « depuis 1997, l’usage des pesticides sur les cultures OGM a été réduit de 359 millions de kg de matière active. Ce qui correspond à une quantité équivalente à une fois et quart le volume total des matières actives de pesticides utilisées dans l’Union européenne en un an ». Selon l’étude britannique – qui contrairement à celle de Benbrook, couvre l’ensemble des surfaces déclarées en cultures OGM, dont celles en Inde et en Chine –, les cultures Bt sont responsables d’une diminution totale de 158 millions de kg de matières actives, tandis que les cultures résistantes aux herbicides sont responsables d’une diminution de 201 millions de kg.
Contrairement à l’étude de Charles Benbrook, celle de PG Economics, certes plus favorable aux biotechnologies, n’a apparemment fait l’objet d’aucun article de la part d’Agrapresse. L’agence n’a pas apporté davantage d’informations sur le singulier parcours de Charles Benbrook. Or, ce dernier, après avoir dirigé entre 1984 et 1991 la division agricole de la National Academy of Sciences, et avoir été conseiller des administrations Carter et Reagan, a décidé de se mettre à son compte en tant que consultant agricole. A ce titre, il a été engagé par The Organic Center, qui lui a confié la mission de promouvoir les bénéfices de l’alimentation et de la production bio « par un ensemble complet d’études scientifiques crédibles et à comité de lecture, qui mettent en évidence la “différence bio” ». Son objectif affiché consiste donc à « contribuer à un accroissement significatif de la production, de la consommation et de la vente de bio », afin d’améliorer le chiffre d’affaires de la petite trentaine de firmes américaines bio, dont les géants Stonyfield ou Whole Foods Market, qui financent son employeur, The Organic Center. Bref, l’étude sur les biotechnologies de Charles Benbrook est à peu près aussi crédible que si l’administration américaine avait confié une étude sur la fiscalité à Al Capone !