Lors de la séance du mercredi 19 mai 2010, l’Académie d’agriculture a remis un rapport de 100 pages sur l’agriculture biologique. Intitulé Regards croisés d’un groupe de travail de l’Académie d’Agriculture, ce projet a été piloté par Bernard Le Buanec. Entretien.
Pourquoi l’Académie d’agriculture s’intéresse-t-elle à l’agriculture biologique ?
Le Grenelle de l’environnement a envoyé un message très favorable à l’agriculture biologique en préconisant « un repas bio par semaine dans la restauration collective » et en prévoyant d’augmenter les surfaces certifiées AB en France pour atteindre 6 % de la surface agricole utile en 2012 et 20 % en 2020. De plus, la consommation en produits bio augmentant, il est nécessaire de faire appel à des importations essentiellement en fruits et légumes et produits transformés. D’après l’Agence Bio, l’année 2008 a été une année charnière car, après quelques années de stagnation, les surfaces en AB ont recommencé à augmenter de façon significative (+ 4,8 % par rapport à 2007) et la consommation a bondi de 25 %. La demande des consommateurs est donc croissante et de nombreux sondages ont été effectués pour en connaître les raisons. Le dernier baromètre de consommation et de perception des produits biologiques en France de l’Agence Bio donne les motivations d’achat suivantes : préserver la santé 95 %, préserver l’environnement 94 %, qualité et goût des produits 87 %, raisons éthiques 72 %.
Devant cette évolution, il a semblé intéressant à certains membres de l’Académie d’agriculture d’établir un groupe de travail sur l’AB pour vérifier que les motivations d’achat étaient bien conformes à la réalité. Sept des dix sections de l’Académie ont déclaré être intéressées et le groupe de travail s’est réuni treize fois de septembre 2008 à avril 2010, a auditionné plusieurs spécialistes de l’AB et a visité deux exploitations agricoles.
De très nombreux consommateurs privilégient l’achat de produits bio, persuadés que ces produits sont meilleurs pour la santé (plus riches en éléments nutritionnels et sans pesticides). Est-ce que cette opinion est partagée par le rapport de l’Académie ?
Le rapport de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) « Evaluation nutritionnelle et sanitaire des aliments issus de l’agriculture biologique » de 2003 concluait qu’« en l’état actuel des connaissances et devant la variabilité des résultats des études examinées, il ne peut être conclu à l’existence de différence remarquable, au regard des apports de référence disponibles (Apports nutritionnels conseillés), des teneurs en nutriments entre les aliments issus de l’agriculture biologique et ceux issus de l’agriculture conventionnelle. Concernant les polyphénols, les études montrent un potentiel intéressant de l’agriculture biologique à prendre en compte dans le cadre de réflexions plus générales sur cette catégorie de microconstituants ». Depuis la publication de ce rapport, de nombreuses nouvelles études ont été publiées et le groupe en a analysé une centaine. Nos résultats confirment les conclusions du rapport Afssa 2003, en précisant que, dans l’état actuel de nos connaissances, la consommation d’aliments issus de l’AB ne montre pas d’effet bénéfique sur la santé. En toute logique, les résidus de pesticides de synthèse sont moins présents dans les produits issus de l’AB, mais il faut cependant noter que 96 % des produits issus de l’AC ont des résidus inférieurs à la limite maximum de résidus (LMR) autorisée par la réglementation, cette LMR étant elle-même définie de telle sorte que l’exposition maximale du consommateur soit au moins 100 fois plus faible que la dose sans effet (DSE) du produit considéré. En revanche, les résidus des produits de traitement autorisés en AB, dont l’innocuité n’est pas garantie, ne sont eux en général pas recherchés dans les enquêtes. L’aspect le plus important pour la santé reste la diversité et l’équilibre du régime alimentaire, l’impact d’un ou de quelques repas « bio » par semaine demeurant insignifiant.
L’objectif du Grenelle de l’environnement d’obtenir 6 % de la SAU en AB d’ici 2012 et 20 % en 2020 est-il réaliste ? Et est-il souhaitable ?
A la lumière des informations actuellement disponibles, ces objectifs ne semblent pas réalistes aux membres du groupe. La question est de savoir s’ils sont souhaitables. Si l’on prend en compte les aspects alimentaires et nutritionnels, il ne me semble pas que de tels objectifs soient souhaitables car cela provoquerait une augmentation du prix des aliments sans avantage démontré pour la santé humaine. En ce qui concerne l’environnement, les avantages de l’AB, quand ils existent, relèvent pour la plupart du niveau de la parcelle voire, au mieux du territoire de l’exploitation ou de ses abords immédiats. Un passage à 20 % de la surface agricole utile ne modifierait qu’à la marge les problèmes environnementaux, tout en provoquant une diminution sensible des rendements, 50 % en céréaliculture et parfois plus en arboriculture. Une approche pourrait être la localisation de l’AB dans certaines zones sensibles prédéfinies.
Quelles sont les premières conclusions que vous tirez de ce travail ?
C’est que l’agriculture biologique reste un sujet extrêmement complexe, en particulier dans le domaine de l’impact sur l’environnement, où il faut être très prudent avant de tirer des conclusions. Il faut en particulier tenir compte de l’effet sur l’environnement par unité de quantité produite et non par hectare de surface cultivée, ce qui souvent change complètement les résultats. L’AB peut être considérée comme pionnière et moteur de démarches en faveur de la durabilité. Elle peut servir de laboratoire pour la recherche agronomique et l’innovation en agriculture. Il faut donc profiter de la demande sociétale et du soutien du gouvernement pour intensifier la recherche sur la diminution d’intrants, le développement de variétés encore mieux adaptées aux stress biotiques et abiotiques, le maintien de la fertilité des sols et le respect de la biodiversité tant au niveau de la parcelle que du territoire. Cette recherche devrait permettre d’améliorer les performances de l’AB et surtout de développer une « agriculture intégrée » de bonne productivité et durable, agriculture intégrée qui a déjà fait ses preuves dans certaines situations et apporte les principaux avantages de l’AB sans ses trop fortes contraintes. Ce type d’agriculture intégrée se situe entre deux extrêmes inacceptables à long terme, l’agriculture intensive avec fertilisation mal raisonnée et traitements systématiques et l’AB avec ses refus a priori de technologies efficaces pour la fertilisation, la défense des cultures et l’amélioration des plantes dont les risques potentiels sont de mieux en mieux gérés.