« Je voudrais commencer par présenter mes excuses. Je suis désolé d’avoir contribué au cours des années 90 à la naissance du mouvement anti-OGM, et d’avoir ainsi concouru à diaboliser un outil technologique de première importance et potentiellement très utile pour l’environnement », a déclaré l’écologiste britannique Mark Lynas, lors de sa présentation à l’Oxford Farming Conference (OFC) le 3 janvier dernier [[Lecture to Oxford Farming Conference,
3 January 2013, Mark Lynas, www.marklynas.org/2013/01/lecture- to-oxford-farming-conference-3-january-2013/]]. Homme courageux pour les uns, Judas pour les autres, Mark Lynas a tenu à rendre publique sa volte-face radicale au sujet des biotechnologies. Opération réussie : en moins de quatre jours, sa présentation a été téléchargée plus de 130 000 fois. Depuis, elle «fait le buzz» sur Twitter et les autres réseaux sociaux. « C’est un peu comme si l’équivalent britannique de José Bové décidait de devenir pro-OGM», commente La Tribune, l’un des rares médias français à avoir relayé l’information.
Qui est Mark Lynas ?
Or, Mark Lynas est loin d’être un illustre inconnu dans le monde de l’écologie. Auteur de plusieurs livres, dont Six degrees : Our Future on a Hotter Planet et The God Species : Saving the Planet in the Age of Human, il a rédigé de nombreuses tribunes sur le réchauffement climatique, en particulier dans The Ecologist, The Guardian et The Observer. Paradoxalement, c’est pour renforcer ses propres convictions sur le caractère anthropologique du changement climatique que ce diplômé en histoire et en politique a commencé à s’appuyer sur la littérature scientifique, se familiarisant ainsi avec l’expertise scientifique. « Je me suis retrouvé à argumenter constamment avec des gens qui me semblaient incorrigiblement anti-science, parce qu’ils n’écoutaient pas les climatologues et la réalité scientifique du changement climatique. Alors je leur faisais la leçon sur la valeur du processus d’examen par les pairs, sur l’importance du consensus scientifique et la manière dont seuls les faits qui comptent sont publiés dans les revues scientifiques les plus distinguées», témoigne-t-il.
C’est également grâce à la lecture d’études scientifiques que Mark Lynas a fini par se forger sa propre opinion sur les OGM, découvrant que « chacune de [ses] intimes convictions n’était rien moins que des légendes urbaines écolos » . « J’avais supposé que ça augmentait l’utilisation des produits phyto. Il s’est avéré que le coton et le maïs résistant aux insectes ont besoin de moins d’insecticides. J’avais supposé que les OGM profitaient seulement aux grandes entreprises. Il s’est avéré que des milliards de dollars de bénéfices sont revenus aux agriculteurs, ayant besoin de moins d’intrants. J’avais supposé que la technologie Terminator dérobait aux agriculteurs le droit de garder les semences. Il s’est avéré c’était le cas des hybrides depuis bien longtemps, et que Terminator n’a jamais eu lieu. J’avais supposé que personne ne voulait des OGM. En fait, ce qui s’est passé, c’est que le coton Bt a été piraté en Inde et le soja RoundUp Ready au Brésil, tant les agriculteurs avaient hâte de les utiliser. J’avais supposé que les OGM étaient dangereux. En réalité, la technologie s’est avérée plus sûre et plus précise que la sélection variétale classique utilisant par exemple la mutagenèse », confie l’écologiste.
Nourrir le monde grâce à l’innovation technologique
Mark Lynas est allé encore plus loin dans son introspection. « Dans mon troisième livre, The God Species, je me suis débarrassé de toute l’orthodoxie écologiste d’entrée de jeu, et j’ai essayé de prendre du recul », explique-t-il. C’est ainsi qu’il s’est penché sur le problème de la démographie croissante. Il a découvert deux très bonnes nouvelles: l’augmentation constante du niveau de vie des populations partout dans le monde, et le déclin rapide du taux de mortalité infantile. « C’est l’une des plus belles histoires des actualités de la décennie, et son centre est localisé surtout en Afrique subsaharienne », note Mark Lynas. Or, les 2 milliards d’enfants actuels qui survivront à l’âge adulte auront leurs propres enfants. « Voilà l’origine des 9,5 milliards d’habitants prévus pour 2050 », poursuit-il.
Afin de nourrir cette population grandissante, Mark Lynas estime irresponsable de « s’asseoir en attendant qu’une innovation technologique résolve nos problèmes ». «Nous devons être bien plus proactifs et stratégiques que cela. Nous devons nous assurer que l’innovation technologique bouge bien plus rapidement, et dans la bonne direction, c’est-à-dire vers ceux qui en ont le plus besoin», affirme-t-il. Contrairement à l’auteur de La Bombe P (The Population Bomb), Paul Ehrlich, qui prophétisait la mort par famine de centaines de millions de personnes il y a déjà près d’un demi-siècle, Mark Lynas reconnaît avoir «foi dans le progrès technologique et dans la science». «Lorsqu’en 1968, Paul Ehrlich a publié La Bombe P, il écrivait: “La bataille pour nourrir toute l’humanité est terminée. Dans les années 70, des centaines de millions de gens mourront de faim malgré tous les programmes accélérés lancés aujourd’hui“. Il n’était pas évident que Ehrlich ait tort. En fait, si l’on avait écouté ses conseils, des centaines de millions de gens auraient pu mourir inutilement. Mais finalement, la malnutrition a été considérablement réduite, et l’Inde a atteint l’autosuffisance alimentaire, grâce à Norman Borlaug et sa Révolution Verte. Il est important de rappeler que Borlaug était aussi inquiet qu’Ehrlich face à l’augmentation de la population. Simplement, il pensait qu’essayer quelque chose valait la peine. Il était pragmatique parce qu’il pensait que l’on pouvait faire quelque chose. Mais il était aussi idéaliste parce qu’il pensait que partout, les gens méritaient d’avoir assez à manger. Alors qu’a fait Norman Borlaug? Il s’est tourné vers les sciences et les technologies », explique Mark Lynas.
Sus aux préjugés aveugles !
Les sciences et les technologies : voilà ce que recommande aujourd’hui Mark Lynas, fidèle en cela à une autre grande figure du mouvement écologiste britannique, James Lovelock, l’auteur de l’hypothèse Gaïa. « Le plus grand risque est que nous ne profitions pas de toutes sortes de possibilités d’innovation en raison de ce qui n’est en réalité rien d’autre que des préjugés aveugles », avertit Mark Lynas.
L’écologiste britannique consacre la fin de sa présentation à la « nostalgie romantique » dont souffrent l’Europe en général et la France en particulier. « La France, souvenez-vous, a longtemps refusé d’accepter la pomme de terre car elle provenait des États-Unis. Comme un commentateur l’a dit récemment, l’Europe est sur le point de devenir un musée de l’alimentation. Nous, consommateurs bien nourris, sommes aveuglés par la nostalgie romantique de l’agriculture du passé. Parce que nous avons assez à manger, nous pouvons nous permettre de céder à nos illusions », analyse-t-il.
L’une de ces illusions consiste à croire que l’agriculture biologique peut répondre à la demande alimentaire mondiale, alors que ce type d’agriculture n’est que le fruit d’un « mouvement de rejet », comme le constate Mark Lynas, qui refuse de se « prosterner devant le bio ». « Comme les Amish en Pennsylvanie, qui ont gelé leur technologie au niveau du cheval et de la charrette en 1850, le mouvement bio a gelé sa technologie quelque part autour de 1950», poursuit-il. « Si vous regardez la situation, sans préjugés, une grande partie du débat, à la fois en termes de lutte contre les biotechnologies et en faveur du bio, est simplement basée sur un sophisme naturaliste –la croyance que le naturel est bon et que l’artificiel est mauvais», analyse-t-il avec justesse. L’affaire des graines germées bio à l’origine de 53 décès et de 3 500 cas graves d’insuffisance rénale a pourtant montré toute l’absurdité d’une telle croyance. S’adressant au «lobby anti-OGM, qui s’étend des rangs de l’aristocratie britannique et des célèbres chefs appréciés des gourmets américains jusqu’aux groupes de paysans de l’Inde», l’écologiste britannique conclut : « Vous avez droit à votre opinion. Mais vous devez maintenant savoir qu’elle n’est pas validée par la science. Nous arrivons à un point critique, et pour le bien des personnes et de la planète, il est maintenant temps pour vous de ne plus barrer cette voie et de laisser le reste d’entre nous agir pour nourrir la planète de manière durable.»