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Bio:fini le temps des messages euphoriques !

À l’Agence Bio, le moral est plutôt en berne. Force est de constater qu’aucun des objectifs fixés par le plan « Agriculture biologique : horizon 2012 » n’a été atteint. Entre 2006 et 2011, la SAU conduite en bio a progressé d’à peine 1,56 % (de 2% à 3,56%). Autrement dit, sur les 29 millions d’hectares occupés par l’agriculture française, seuls 700000 ont été certifiés bio, soit 2,4 %. Certes, d’ici à la fin 2013, 200000 hectares en cours de conversion viendront s’y ajouter, portant les surfaces certifiées bio à 3,1%. Mais on reste encore très loin des 6 % fixés par le Grenelle de l’environnement et ratifiés par les ministres de l’Agriculture successifs, Michel Barnier, Bruno Le Maire et Stéphane Le Foll.

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Échecs en série

Même du côté de la restauration collective, l’échec est patent. Lors d’un point-presse tenu le 9 avril dernier, le nouveau président de l’Agence Bio, Étienne Gangneron, a déploré la faible mobilisation de la restauration collective, « qui arrive à 2% de produits bio dans ses menus au lieu des 20 % souhaités par le Grenelle de l’environnement ». « Nous sommes très, très mauvais », conclut donc le nouveau président. Un discours de vérité qui tranche avec celui tenu jusqu’à présent par l’Agence Bio. Sa directrice, Élisabeth Mercier, avait en effet préféré communiquer sur le fait que «près d’un établissement sur deux déclare proposer des produits biologiques à ses convives, alors qu’ils n’étaient que 4 % avant 2006 ». Une façon élégante d’orienter l’attention des médias sur des données plutôt flatteuses.

Réalisé par la Fédération nationale de l’agriculture biologique en partenariat avec le ministère de l’Agriculture et l’Agence Bio, un site (www.restaurationbio.org) a été mis en ligne afin de recueillir les expériences des collectivités locales ayant franchi le pas du bio. Signe de son intérêt très limité, il recense à ce jour un total de… 57 projets ! Sachant qu’il existe plus de 36 000 communes en France, on mesure à quel point la « sauce bio » ne prend pas.

Et ce n’est pas tout. Les pourcentages à deux chiffres d’agriculteurs candidats au bio, annoncés année après année par l’Agence Bio, ont disparu. « Nous avons incontestablement atteint un palier. Dans certaines régions, on n’a eu aucun dossier de conversion depuis le début de l’année 2013 », se désole Étienne Gangneron. Cette stagnation, entamée à partir 2012, s’explique par de nombreux facteurs. Notamment par les prix, devenus bien moins attractifs pour les agriculteurs. C’est particulièrement vrai pour les céréales, mais aussi pour le vin et la viande. « Non seulement il n’y a pas de prime pour les animaux bio, mais parfois, je dois les vendre moins cher [que les animaux «conventionnels»] », affirme Étienne Gangneron, lui-même à la tête d’une exploitation de 170 hectares et de 45 vaches charolaises, située dans le Cher.

Afin d’améliorer la compétitivité du bio, trop dépendant du coût du travail et de ses faibles rendements, le président de l’Agence Bio souhaite actionner plusieurs leviers. Il veut ainsi améliorer la structuration des filières, avec une lutte plus professionnelle contre le gaspillage, en particulier contre les pertes de production au niveau de la culture et du stockage. Et surtout, il veut développer la recherche. « En blé, nous fonctionnons principalement avec une seule variété, le Renan, qui a été développée il y a plus de 25 ans. Il est indispensable que les semenciers privés et que l’Inra nous apportent d’autres solutions », déclare Étienne Gangneron. Le président est également convaincu qu’un véritable travail reste à faire concernant les systèmes de cultures combinées afin d’optimiser les intercultures. Conseiller en maraîchage bio à la Chambre d’agriculture d’Angers, Christophe Cardet estime pour sa part que les connaissances sur les ravageurs ne sont pas suffisantes. « On fait de la biovigilance pour suivre l’expansion des prédateurs, mais il faut aller plus loin, comme étudier davantage leur mode de fonctionnement, afin de mieux pouvoir limiter leurs effets sur les cultures », affirme-t-il.

Un marché déprimé

Pour Étienne Gangneron, le futur du bio dépend cependant en premier lieu de l’intérêt que lui porte le consommateur. « Si le marché du bio ne continue pas à progresser, on va avoir un problème », s’inquiète-t-il. Des craintes partagées par le comité bio de l’Interprofession des fruits et légumes frais (Interfel), qui constate un ralentissement de la consommation bio pour 2012. Lors d’une conférence de presse tenue le 20 mars dernier, son président, Henri de Pazzis, a noté que l’année 2012 avait été marquée par une « déconsommation». « Ce fut une année flottante pour tous les produits bio en général, et un peu plus encore pour les fruits et légumes », a-t-il déclaré. Pourtant, ces derniers se placent au deuxième rang des produits bio les plus consommés. Certes, le bio n’a pas perdu ses fidèles. Mais la majorité des consommateurs bio sont de plus en plus exigeants en ce qui concerne la sécurité sanitaire et la qualité des produits. Or, l’affaire des graines germées bio, à l’origine du plus sévère accident sanitaire qui ait touché l’Union européenne depuis plusieurs dizaines d’années, reste encore dans toutes les mémoires. À cette occasion, le consommateur a découvert une filière aussi mondialisée que les autres, avec notamment des concombres bio cultivés en Espagne et vendus à Hambourg et à Brest. Et il a pris conscience des risques sanitaires sévères liés aux contaminants naturels. Difficile en effet d’ignorer 52 décès…

Bio ou pas bio, les oeufs ?

On comprend mieux pourquoi la filière, à fleur de peau, met tout en œuvre pour éteindre le moindre incendie que pourrait déclencher un incident sanitaire. Ainsi, celui de la farine de sarrasin bio contaminée par du datura, qui a envoyé une trentaine de personnes aux services des urgences des hôpitaux de la région Provences-Alpes-Côte d’Azur entre le 21 septembre et le 10 octobre 2012, n’a été que très peu couvert par la presse nationale. De même que l’affaire des œufs bio vendus par la société Paniers d’œufs, installée à Upie, près de Valence. Son ancien gérant, Érick Valla, a été condamné le 4 avril 2013 pour « tromperie sur l’origine d’une marchandise ». Entre juin 2008 et avril 2010, Paniers d’œufs a en effet vendu la bagatelle de 11 millions d’œufs bio (soit presque 2 millions de boîtes de 6) en provenance d’Italie et commercialisés sous l’appellation « œufs français ». L’escroquerie a été dévoilée le 18 mars 2010 lors d’un contrôle inopiné effectué par la Direction départementale de la consommation et de la répression des fraudes. Non seulement les inspecteurs ont découvert, par hasard, cinq palettes d’œufs bio d’Italie, mais lors de la vérification, ils ont surpris un salarié en train de manipuler les fichiers informatiques afin de corriger la provenance des produits. Érick Valla a reconnu « le mauvais marquage », tout en insistant sur « la qualité bio des œufs italiens ». Il a justifié cette pratique frauduleuse en invoquant « la pénurie d’œufs bio français » ainsi que « la pression mise par la grande distribution sur le niveau d’approvisionnement ». Bref, l’ancien patron de Paniers d’œufs a préféré tromper le consommateur plutôt que de perdre son marché.

Un marquage défaillant

Or, ces œufs, qui transitaient par une société intermédiaire allemande, Moos, étaient « non marqués », a-t-on appris lors du procès. Ce qu’a confirmé à A&E l’avocat d’Érick Valla, Me Nicolas Poizat : « Le marquage a été réalisé par le conditionneur, c’est- à-dire par Paniers d’œufs ». Pour sa part, Me Charlotte Carrère, l’avocate de l’UFC-Que choisir, qui s’est portée partie civile dans cette affaire, a souligné « l’ampleur et la gravité de l’infraction », estimant qu’« outre la tromperie, il existe un gros risque sanitaire, car ces œufs italiens non codés ne pouvaient être suivis par une traçabilité ». Sans marquage, comment en effet garantir que ces œufs soient bien italiens, voire qu’ils soient bio ? « L’enquête menée par les services des fraudes a confirmé que le prix payé par Paniers d’œufs était conforme au prix d’œufs bio. C’est pourquoi le tribunal n’a pas insisté sur ce point », rétorque Me Nicolas Poizat. Certes. Mais cela n’exclut en rien que Paniers d’œufs ait été trompé sur la nature de ses achats !

D’une fraude bio à l’autre

La question est d’autant plus pertinente que la découverte d’une autre fraude aux œufs bio, qui touche cette fois-ci l’Allemagne et les Pays- Bas, a été rendue publique par les autorités sanitaires allemandes en février 2013. Comme l’a rapporté la presse outre-Rhin, « plusieurs dizaines d’exploitations agricoles allemandes sont soupçonnées d’avoir vendu des œufs sous l’appellation bio ou de plein air alors qu’elles ne respec- taient pas le cahier des charges ». Selon le porte-parole du ministère de Basse-Saxe, Holger Eichele, une enquête portant sur 200 exploitations (les trois-quarts situées dans le nord de l’Allemagne, le reste aux Pays- Bas) a été diligentée depuis 2011. « Les éleveurs n’auraient notamment pas respecté la limite fixée pour le nombre de poules par mètre carré, que ce soit en plein air ou dans des cages », a indiqué Holger Eichele. Cette fraude systématique à grande échelle ne se résume pas à quelques poules sur une surface limitée. Selon les premiers éléments de l’enquête disponibles, des élevages de poules néerlandais sont soupçonnés d’avoir fourni des poules pondeuses aux Allemands « en utilisant un double système de comptabilité et de fausses factures ». Ainsi, les élevages de volailles allemands ont déclaré moins de poulets dans leurs exploitations qu’ils n’en avaient en réalité. « Ce système aurait permis aux élevages de volailles allemands d’étiqueter des œufs comme bio, pour avoir ainsi des prix de vente plus élevés », note Food Safety News, une agence de presse internationale consacrée à la sécurité alimentaire.

« L’enquête pourrait déboucher sur des poursuites pour fraude en bande organisée, passible de dix ans de prison », a prévenu Holger Eichele. Ces quelques cas suffisent à montrer toutes les limites de la certification d’agences comme Écocert, dont les contrôles se révèlent incapables de repérer une fraude un tant soit peu sophistiquée. Cette question est pourtant essentielle. Car la moindre perte de confiance des consommateurs dans le professionnalisme de la filière bio pourrait bien lui être fatale.

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