Entretien avec le Pr Marc Fellous, président de l’Association française des biotechnologies végétales (AFBV). Cette association réunit
des personnes issues de divers horizons, convaincues de l’intérêt des biotechnologies végétales, et s’appuie sur un comité scientifique de douze experts.
Le Pr Fellous a également été président de la Commission du génie biomoléculaire (CGB).
Dans l’émission « Bientôt dans vos assiettes (de gré ou de force) », diffusée le 1er septembre sur Canal+, Paul Moreira évoque des problèmes de diarrhée et de malformations dans un élevage de porcs danois, suggérant que ceux-ci sont liés à l’alimentation, et en particulier au soja transgénique importé d’Argentine. Qu’en pensez-vous ?
Ce n’est pas la première fois que des militants anti-OGM assimilent soucis de santé et consommation d’OGM. Mais jamais, ils n’ont apporté le début d’une preuve. En 2007, l’émission « Envoyé Spécial » de France 2avait ainsi présenté le cas alarmant d’un éleveur allemand, Gottfried Glöckner, qui prétendait que 12 de ses vaches avaient été empoisonnées par du maïs OGM. L’enquête avait ensuite révélé que les décès résultaient d’un empoisonnement par des mycotoxines, aggravé d’une infection de botulisme. À l’époque, même Greenpeace avait dû admettre son erreur. Bien entendu, les accusations actuelles de Paul Moreira ne sont pas plus fondées.
Depuis 1996, plus de 9 milliards d’animaux consomment chaque année des aliments contenant des ingrédients issus d’OGM. Autrement dit, depuis l’introduction des cultures transgéniques, plus d’une centaine de milliards d’animaux ont consommé ce type d’aliments. Et personne n’aurait rien observé, sauf un agriculteur danois ? Allons, soyons sérieux !
Et même si tel était le cas, pensez-vous vraiment que les autorités sanitaires danoises fermeraient les yeux ? Par ailleurs, comment expliquer que les autorités des pays européens, qui tentent par tous les moyens d’empêcher les importations de plantes transgéniques, ne se saisissent pas de ce cas ? Enfin, pourquoi Paul Moreira n’a-t-il pas trouvé d’éleveurs en France qui nourrissent leur bétail avec du soja transgénique résistant au glyphosate et qui observent les mêmes symptômes ? On est dans la pure fiction !
La réalité –celle que M.Moreira ne présente pas dans son reportage– est, au contraire, rassurante. En effet, au début de cette année, l’autorité sanitaire allemande (le German Federal Institute for Risk Assessment) a présenté à l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) un rapport de réévaluation concernant le glyphosate. Ce document conclut que le glyphosate ne présente pas de propriétés cancérogènes ou mutagènes, qu’il n’a pas d’effet toxique sur la fertilité, la reproduction ou le développement embryonnaire et fœtal chez les animaux de laboratoire, et enfin, qu’il ne présente pas de risque pour la santé humaine. Paul Moreira ne peut ignorer l’existence de ce rapport, qui est disponible sur internet. Il a préféré ne jamais l’évoquer dans son reportage. Pourquoi ?
Qu’en est-il alors des cas de malformations observés au sein des populations agricoles pauvres d’Argentine, que Paul Moreira impute aux cultures transgéniques et aux produits chimiques ?
Cette affaire n’est pas nouvelle. Elle fait suite à un article publié en 2007 par un groupe de médecins, et qui fait depuis le buzz sur internet. Qu’il existe des cas de malformations en Amérique du Sud, comme ailleurs, est une triste évidence. Est-ce dû aux plantes transgéniques et au glyphosate, rien ne permet de l’affirmer. De telles assertions ne sont en tout cas étayées par aucune étude scientifique ni épidémiologique validée par la communauté scientifique, que ce soit en Europe, aux États-Unis ou en Amérique du Sud. De surcroît, il n’y a pas à ce jour la moindre preuve d’une éventuelle tératogénicité du glyphosate, dont on connaît le mode d’action. Au passage, dans son enquête, Paul Moreira ne cite aucune étude scientifique à l’appui de ses propos. Pire, il resssort l’étude contestée du Pr Séralini sur les rats, sans mentionner le fait que toutes les agences sanitaires du monde en ont réfuté les conclusions.