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L’écologie politique fête ses quarante ans

Après quarante années d’existence, l’écologie politique ne fait toujours pas recette. Pourtant, elle marque la société contemporaine de son empreinte. Petit rappel historique.

En France, l’écologie a investi pleinement le champ du débat politique en 1974, avec la candidature de l’agronome René Dumont à l’élection présidentielle. Quarante ans plus tard, « qu’elle soit de droite ou de gauche, à commencer par les socialistes, la politique n’a toujours pas digéré l’Écologie », déplore Alain Hervé, l’un des fondateurs des Amis de la Terre, dans le numéro de juillet 2014 de L’Écologiste. « L’obstacle reste l’impossibilité de concevoir une trajectoire sociale qui ne soit pas anthropocentrique. Ou qui ne vise pas la sacro-sainte croissance », explique-t-il.

« Où est passée la critique sociale radicale qui agitait tant la France des années 1960-1970 ? », s’interroge de son côté le mensuel La Décroissance dans son numéro de septembre 2014. Quant à Corinne Lepage, elle constate, dans une tribune publiée le 21 août 2014 dans Libération, que « les principaux succès que les combats écologiques ont pu rencontrer en France ne doivent que bien peu à l’écologie politique ». Selon l’ancienne ministre, l’essentiel des grandes avancées juridiques environnementales « a été voté par des majorités de droite, généralement très allergiques à l’écologie politique ».

Haro sur la société industrielle

La candidature de ce dernier s’inscrivait dans une double dynamique. La première fut initiée dans les années soixante par une multitude de personnalités ou d’associations environnementalistes qui œuvraient principalement pour la protection de la faune et de la flore. Dès son origine, l’agriculture –notamment à travers les pesticides– a été au cœur de la contestation écologiste, avec la publication en 1962 du livre Printemps silencieux de la zoologiste Rachel Carson, qui a abouti dix ans plus tard à l’interdiction du DDT. De nombreuses associations, que l’on peut qualifier de « naturalistes », sont nées à cette époque, comme le World Wildlife Fund (1961), la Fédération française des sociétés de protection de la nature, ancêtre de France Nature Environnement (1968), et l’Association pour la protection du saumon en Bretagne, ancêtre d’Eau et Rivières de Bretagne (1969).

En parallèle, on assiste à cette époque à l’émergence d’une critique radicale de la société industrielle et de la société de consommation, portée notamment par Ivan Illich, André Gorz, Jacques Ellul et Bernard Charbonneau. « L’écologie politique s’affirmait comme héritière de la lutte historique contre le capitalisme industriel, mais autour d’un nouveau paradigme post-productiviste, abandonnant le primat du travail, l’étatisme industrialiste et le culte du progrès technique », souligne l’historien Christophe Bonneuil. Ce dernier omet toutefois de mentionner les deux principaux axes de critique de l’écologie politique : la croissance économique et la croissance démographique, accusées d’être responsables des dégradations environnementales et de l’épuisement des ressources naturelles, dont la finitude constitue un axiome fondamental de l’écologie politique. Devant ce constat, la critique ne peut être que radicale : « C’est notre société industrielle et nataliste qui est polluante et il n’y a pas d’autre alternative que de la détruire ou de crever », écrit à l’époque Pierre Fournier, fondateur du premier journal écologiste, La Gueule Ouverte.

« C’est notre société industrielle et nataliste qui est polluante et il n’y a pas d’autre alternative que de la détruire ou de crever », écrivait Pierre Fournier, le fondateur de La Gueule Ouverte

Créateur de la revue The Ecologist, Teddy Goldsmith constate de son côté que « c’est la croissance actuelle, tant de la population dans son ensemble que de la consommation par tête d’habitant, qui nous impose un changement radical : en détruisant les écosystèmes et en épuisant nos ressources, elle sape les fondements mêmes de notre survie. » Dans Changer ou disparaître, publié en 1972, Goldsmith et son équipe préconisent l’établissement d’une société stable et proposent de redistribuer « la population dans de petites villes et des villages » afin de réduire « au minimum son impact sur l’environnement ».

Écologie et malthusianisme

Croissance zéro, small is beautiful mais aussi malthusianisme : voilà les mots d’ordre des écologistes. Goldsmith estime en effet que « la population maxima pour le monde entier ne peut guère dépasser 3500 millions d’habitants, et que [la charge utile de la Terre] est probablement très inférieure à ce chiffre ».

En 1972, les Amis de la Terre publient la traduction française du livre du néomalthusien Paul Ehrlich, La Bombe P (le « P » renvoyant à « population »). La préface en est rédigée par David Brower, fondateur des Amis de la Terre. « Nous voulons croire que toutes les organisations de protection de la nature à travers le monde – encore obnubilées par des actions limitées de protection, des animaux ici, des sites et des hommes là– vont se rendre compte que tout procède d’une seule et même cause, la prolifération humaine », écrit-il.

C’est donc dans ce contexte que s’inscrit la candidature à l’élection présidentielle de René Dumont, président d’honneur des Amis de la Terre. Pendant sa campagne, l’agronome marque les esprits, notamment grâce à son verre d’eau brandi à la télévision (« avant que nous n’en manquions ») et sa revendication d’un litre d’essence à 5 francs, alors qu’il est à l’époque à 1,5 franc. René Dumont milite pour la croissance zéro de l’automobile, précisant que l’« on vit fort bien sans auto en Chine [de Mao] et en Corée du Nord [de Kim-Il Sung] ». Mais c’est certainement sur la question démographique qu’il tient le discours le plus radical. « Je vais vous parler ce soir du plus grave des dangers qui menace notre avenir, celui de la surpopulation, tant dans le monde qu’en France. […] Il y a déjà trop d’hommes à la surface du monde, il y a déjà trop d’hommes surtout dans le tiers-monde », assène- t-il lors de sa campagne télévisée. Ce discours catastrophiste ne passe pas, et le candidat des écologistes récolte moins de 340000 voix. Il faudra attendre encore dix ans avant que ne soit fondé un parti national écologiste, baptisé Les Verts en écho à son allié naturel, le parti écologiste allemand Die Grünen.

L’écologie vire à gauche

Les dirigeants du nouveau parti construisent un programme qui comprend des réponses pragmatiques aux questions européennes, économiques ou d’immigration, tout en gardant le changement radical de la société comme finalité de leur projet politique. Tout naturellement, la question des alliances politiques s’impose, et en particulier le positionnement des Verts par rapport à la gauche et à l’extrême-gauche, qui partagent leur critique du capitalisme. « Des appels sont lancés en 1985 aux militants du PSU, du MAN et de la gauche alternative pour qu’ils rejoignent les Verts. Mais une bonne partie des écologistes reste farouchement opposée à un positionnement clairement à gauche », explique l’écologiste et historien Pierre Serne.

À la tête du parti en 1986 et candidat à l’élection présidentielle de 1988, Antoine Waechter estime que « l’écologie n’est pas à marier » et refuse le jeu des alliances.« Pour les partisans de la gauche, pour ceux qui ont une culture de gauche, évidemment, le responsable unique est le capitalisme. Pour les écologistes, qui n’ont pas cette culture “mouvement ouvrier” inscrite dans leurs gènes, la langue de bois de la gauche traditionnelle est insuffisante : pour eux, c’est le monde industriel lui-même qui est le responsable, quel que soit son régime économique et politique. Gauche et droite sont également productivistes, et l’écologie, c’est l’antiproductivisme avant tout », relate le Vert Yves Frémion dans son Histoire de la révolution écologiste.

En 1993, les militants Verts décident de changer de stratégie et rejettent le « ni gauche, ni droite » d’Antoine Waechter. Ce dernier claque la porte du parti pour créer le Mouvement écologiste indépendant (MEI). Nouvelle porte-parole du parti, Dominique Voynet ouvre alors les négociations pour des alliances électorales avec la gauche modérée, tandis que le parti aborde davantage les problèmes sociétaux (droit au logement, défense des sans-papiers, etc.), et ce au détriment des questions environnementales. Petit-à-petit, les Verts, qui promettaient pourtant de faire de « la politique autrement », deviennent un parti comme les autres, la défense de l’environnement n’étant plus qu’une composante d’un programme prenant surtout son inspiration dans l’héritage de la contestation sociale de Mai 68. Bien entendu, la critique du « productivisme » reste encore aujourd’hui un élément fédérateur du parti, y compris dans les rangs de ses dirigeants actuels, qui n’ont aucun passé militant dans le domaine de l’environnement. Dans son livre De l’intérieur, voyage au pays de la désillusion, Cécile Duflot déplore ainsi que les socialistes « campent sur des positions désuètes et croient encore au mirage d’un monde productiviste qui retrouvera son âge d’or avec la reprise économique et le retour de la croissance ». « François Hollande n’a jamais été écologiste. L’écologie ne fait pas vraiment partie de son périmètre intellectuel. […] En productiviste classique, il est nourri par l’idée que seule la croissance vaut […]. Il est incapable de penser un modèle redistributif sans croissance », poursuit-elle.

Portée par Europe Écologie-Les Verts (EELV), l’écologie politique n’attire plus grand monde. Le discours modéré de certains de ses dirigeants, comme ceux du sénateur Jean-Vincent Placé ou du député François de Rugy, semble bien éloigné de celui des pères de l’écologie radicale. En outre, ses élus ont des difficultés à dissimuler leurs ambitions personnelles. Un constat que partage Jean-Vincent Placé, qui reconnaît qu’« en donnant une image de chasse aux portefeuilles, aux maroquins, on en a trop fait ».

Et pourtant, l’écologie politique a radicalement modifié la société française ! C’est le triste constat que dresse le sociologue Gérald Bronner dans son dernier ouvrage La planète des hommes, réenchanter le risque. L’auteur s’y demande « quelle mouche a piqué nos contemporains », qui « ne paraissent regarder vers l’avenir que la peur au ventre, cherchant les premiers signes d’une apocalypse écologique. Ils ont le sentiment d’être menacés par les ondes, la radioactivité, par leur assiette même, devant laquelle ils se souhaitent bonne chance plutôt que bon appétit ».

Une curieuse idéologie de la peur

Le sociologue s’interroge également sur cette « curieuse idéologie contemporaine que nous avons appris à fréquenter et à accepter comme une évidence », et qui consiste à aboutir à une forme de détestation de nous-mêmes.

Le sociologue Gérald Bronner s’interroge sur cette « curieuse idéologie contemporaine que nous avons appris à fréquenter et à accepter comme une évidence », et qui consiste à aboutir à une forme de détestation de nous-mêmes.

« Elle peut adopter des formes plus ou moins radicales, mais elle exprime approximativement l’idée que la modernité nous aurait dénaturés, et que les hommes d’aujourd’hui vaudraient moins que ceux d’hier. Ils seraient, au choix, décérébrés par la télévision, obnubilés par une écœurante consommation, dénués de sentiments, détruisant tout ce qu’ils touchent, notamment la nature, et méritant leur fin que certains annoncent prochaine, parfois en se réjouissant », poursuit-il.

Cette nouvelle idéologie, qui « raconte non seulement le sens du monde, fixe les frontières du bien et du mal, mais se hasarde également à décrire la façon dont notre monde pourrait finir », est effectivement l’expression de l’écologie politique, qui a réussi à imposer l’esprit du principe de précaution, tel qu’il a été défini par le philosophe allemand Hans Jonas dans son livre Le principe responsabilité. Axiomatiquement incompatible avec l’idée même de progrès scientifique – car dans l’absolu, toute innovation technologique peut avoir des conséquences irréversibles et imprévisibles –, ce principe conduit l’humanité vers un statu quo. Comme le relève avec raison Gérald Bronner, le souhait de Teddy Goldsmith consistant à imposer une société basée sur l’autosuffisance de petits groupes humains n’est rien d’autre que « la meilleure garantie de l’interruption du développement technologique de l’humanité ».

Or, comme le note le journaliste Stéphane Foucart dans Le Monde du 6 octobre 2014, « l’adhésion au principe de précaution tend, de plus en plus, à devenir un élément important du clivage gauche-droite. L’exaltation du risque comme partie intégrante de la créativité et de l’inventivité, comme source d’enrichissement et de progrès, s’affirme de plus en plus comme une valeur de la droite –au détriment d’une frange de la droite chrétienne volontiers rétive à l’hubris technique et à ses périls. Au contraire, l’aversion pour l’audace technique, pour l’accélération du temps et ses risques, devient, peu à peu, une valeur forte de la gauche, et plus seulement de sa frange écologiste. […] C’est un basculement important. Car le progrès technique et industriel comme moyen d’émancipation de l’homme a longtemps été, en dépit de ses risques, une des valeurs fondamentales de la gauche. » Et de conclure : « La crispation actuelle autour du principe de précaution suggère que nous sommes à l’orée de cette nouvelle société. Le débat droite-gauche ne peut plus être résumé par des divergences de vues sociétales ou économiques : “politique de l’offre contre politique de la demande“. Il faut désormais leur adjoindre une divergence de vues sur la technique : “amour du risque contre éloge de la prudence“. »

Sources :

  • Yves Frémion, Histoire de la révolution écologiste, Éditions Hoëbeke, 2007.
  • Pierre Serne, Des Verts à EELV, 30 ans d’histoire de l’écologie politique, Les Petits Matins, 2014.
  • René Dumont, L’Utopie ou la Mort, Seuil, 1973.
  • René Dumont, https://www.youtube.com/ watch ?v=gCT5FA8_cRA
  • Pierre Fournier, Y’en a plus pour longtemps, Éditions du Square, 1975.
  • The Ecologist, Changer ou disparaître, Fayard, 1972.
  • Paul R. Ehrlich, préface de David Brower, La Bombe P, Fayard/Les Amis de la Terre, 1972.
  • Gérald Bronner, La planète des hommes, Puf, 2014.
  • Cécile Duflot, De l’intérieur, voyage au pays de la désillusion, Fayard, 2014.
  • Stéphane Foucart, L’amour du risque, Le Monde, 6 octobre 2014.
  • La Décroissance, N°112, septembre 2014.
  • L’Écologiste, N°43, Vol.15, Juillet-Août-Sept 2014.
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