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Luc Ferry : faire changer la peur de camp

À l’occasion de la restitution des résultats d’une étude réalisée par les filières maïs et semences sur les perspectives d’avenir du maïs, le 28 avril dernier, l’ancien ministre de l’Éducation Luc Ferry est venu enrichir la discussion avec quelques remarques concernant l’innovation en général, et les biotechnologies végétales en particulier. « En France, on laisse passer le train dans beaucoup de domaines. Et pas seulement dans celui du génie génétique. Pourquoi ? Parce que nous vivons depuis environ une cinquantaine d’années avec un nouveau phénomène : la prolifération des peurs. À tort ou à raison, nous avons peur de tout : de l’alcool, du tabac, des côtes de bœuf, des nanotechnologies, du réchauffement climatique, des micro-ondes, de la mondialisation, etc., et chaque année, une peur s’ajoute aux autres », ironise le philosophe.

La passion de la peur

Pour Luc Ferry, cette prolifération des peurs s’accompagne d’un autre phénomène : la déculpabilisation des peurs. « Lorsque j’étais gamin, on m’apprenait à surmonter mes peurs. Devenir une grande personne, c’est être capable de vaincre ses peurs, explique St Exupéry dans Le Petit Prince. Or, l’écologie politique, qui a pris son essor dans les années soixante-dix, repose sur une passion fondamentale : la peur. Tous les grands films éco-catastrophiques, que ce soit ceux de Nicolas Hulot, d’Al Gore, de Yann Arthus-Bertrand ou des autres, sont destinés à alimenter cette passion de la peur. Le rôle de la peur a d’ailleurs été thématisé dans les principaux textes-fondateurs de l’écologie politique, notamment celui du philosophe allemand Hans Jonas. Dans son ouvrage de référence, Le Principe Responsabilité, qui contient un chapitre d’une centaine de pages passionnantes intitulé « Heuristique de la peur », il développe l’idée d’une peur positive : celle qui nous fait découvrir les menaces qui pèsent sur le monde », rappelle Luc Ferry.

Depuis l’écologie politique, la peur n’est donc plus une « passion honteuse et infantile, mais au contraire salutaire, voire salvatrice », note le philosophe, qui constate qu’« elle est même censée nous rendre plus sages ». Luc Ferry voit dans ce changement de paradigme les raisons de l’inscription du principe de précaution dans la constitution française en février 2005.

« La France est d’ailleurs le seul pays qui a pris une telle initiative », déplore l’ancien ministre de Jacques Chirac. Il rappelle que la première application du principe de précaution par le Conseil d’État, à la demande de Greenpeace, concerne justement un maïs transgénique. « Qu’importe que personne n’ait jamais démontré le moindre danger d’un tel maïs pour la santé ou pour l’environnement, puisque selon l’interprétation du principe de précaution par le Conseil d’État, ce n’est pas parce qu’on n’a pas démontré que c’est dangereux qu’on ne peut pas interdire », poursuit-il.

« Les vraies menaces ne viennent pas de l’innovation et de la croissance, mais de la stagnation, de l’immobilisme et de la décroissance », estime Luc Ferry.

Le mythe de la dépossession

Fin observateur du débat sur les OGM, Luc Ferry souligne que « la problématique Frankenstein » revient en permanence. « Pourquoi Frankenstein ? Parce que ce n’est pas simplement une belle histoire, mais un mythe théologique profond, avec des origines très anciennes, qui remonte à Sisyphe et à Asclépios, de la mythologie grecque. Ce mythe raconte comment un médecin fou fabrique une créature en volant des cadavres dans une morgue, et lui donne vie grâce à de l’électricité dérivée du ciel. Or, cette créature va échapper au contrôle de son créateur. C’est donc un mythe de la dépossession. Et c’est un mythe théologique, car il stigmatise l’hybris, c’est-à-dire l’arrogance, l’orgueil et la démesure de l’être humain, qui se prend pour un Dieu en donnant la vie alors que c’est le monopole des Dieux. Les être humains n’ont pas le droit de créer la vie, il ne peuvent que la transmettre. Vous appliquez le mythe de Frankenstein aux plantes transgéniques, et ça marche parfaitement ! », explique Luc Ferry. « Ce qui fait peur avec les OGM, c’est précisément cette dépossession, cette peur d’un monde qui nous échappe. D’où le lien très profond entre mouvement anti-OGM et mouvement contre la mondialisation. Car dans le cadre de la mondialisation, les leviers des pouvoirs politiques nationaux ne valent plus rien. Le sentiment de dépossession démocratique est donc très fort, et se combine avec un sentiment d’impuissance politique. Ce qui explique le vote FN, tout comme le mouvement Nuit Debout. La peur de la dépossession représente l’un des ressorts essentiels des mouvements anti-OGM », poursuit l’ancien ministre.

Face à ce constat, Luc Ferry propose de « faire changer la peur de camp ». « Il faut faire comprendre que les vraies menaces ne viennent pas de l’innovation et de la croissance, mais de la stagnation, de l’immobilisme et de la décroissance. Autrement dit, il faut expliquer pourquoi l’avenir économique et social de l’Europe ne sera assuré que si ce continent retrouve sa place d’explorateur et d’inventeur. Notamment dans la merveilleuse aventure de la découverte de l’infiniment petit, c’est-à-dire du génie génétique. Vaste programme pour ce petit épi jaune, mais aussi rouge, noir ou bleu, qui a toujours été résolument tourné vers le futur. »

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