AccueilEcologie politiqueVandana Shiva : le vrai visage d’une icône écoféministe

Vandana Shiva : le vrai visage d’une icône écoféministe

Le front marqué d’un imposant bindi et toujours drapée d’un sari aux couleurs vives, Vandana Shiva est l’icône mondiale de la lutte contre les OGM et les pesticides. Adulée par les écologistes et certains médias complaisants, l’influente activiste écoféministe prend cependant des positions radicales et conspirationnistes, dont certaines flirtent avec la frange la plus fanatique de la nébuleuse trumpiste

Régulièrement invitée par les médias français, la militante indienne Vandana Shiva incarne sans conteste la figure mondiale majeure d’opposition à l’agriculture conventionnelle, principalement pour la croisade qu’elle mène sans relâche contre les OGM et les pesticides.

En 2016 et 2017, elle a évidemment pris part à l’organisation du simulacre de Tribunal international Monsanto à La Haye, une initiative de la réalisatrice décroissante Marie-Monique Robin. Vandana Shiva œuvre depuis plus de quarante ans, notamment au travers de son association Navdanya, pour « défendre la souveraineté alimentaire et semencière et les petits agriculteurs », ainsi que pour promouvoir l’agriculture biologique.

Plus récemment, elle a aussi participé au lancement de l’association Regeneration International, qui propose de « régénérer notre planète et nos sociétés dégénérées  » en promouvant une agriculture régénératrice – une forme radicale d’agroécologie –, en collaboration avec son ami André Leu, qui a présidé de 2011 à 2017 l’Ifoam (la Fédération internationale des mouvements de la bio), la plus importante structure internationale de lobbying du biobusiness, dont est membre Navdanya.

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Lauréate en 1993 du « prix Nobel alternatif », docteure honoris causa de plusieurs universités (dont Paris X) et auteure de nombreux ouvrages, la charismatique militante écoféministe a séduit les médias français par un discours bien rodé. « Déesse écolo » et « star de l’altermondialisme » pour Le Nouvel Obs, « gardienne de la Terre » pour Libération, ou encore « diva verte » pour Le Monde et « grande prêtresse de l’écologie » pour France Culture, Vandana Shiva livre son combat en bénéficiant d’une complaisance pour le moins curieuse, au regard de ses positions extrêmes et de ses idées conspirationnistes flirtant avec la frange la plus fanatique de la nébuleuse trumpiste.

Haro sur la « révolution verte masculiniste »

Dans un passé pas si lointain, en Asie, et tout particulièrement en Inde, sévissaient de fréquentes famines, qui entraînaient la mort de très nombreux habitants. Pour mettre un terme à ces tragédies, l’agronome américain Norman Borlaug a conçu, dans les décennies 1950-60, une « révolution verte », combinant de nouvelles variétés à haut rendement et l’utilisation d’intrants, de l’irrigation et d’engins mécanisés. Cette modernisation des pratiques agricoles en Inde a permis une remarquable progression des rendements – qui ont triplé pour le blé et doublé pour le riz – à partir du milieu des années 1960, faisant reculer le spectre de la faim. La production céréalière y est ainsi passée de 50 millions de tonnes en 1950 à 330 millions en 2022.

Alors que, de l’aveu même de Vandana Shiva, cette révolution verte a permis à l’Inde « d’atteindre l’autosuffisance alimentaire et de devenir une puissance agricole au niveau mondial », la militante n’en dénonce pas moins la « violence », estimant que les conséquences de ces progrès agricoles ont, en réalité, été désastreux. « La révolution verte ou l’agriculture chimique a entraîné une augmentation de l’apparition de mauvaises herbes, d’insectes nuisibles et de maladies », déplore ainsi Vandana Shiva, qui dresse un constat catastrophique : « La terre a tout simplement commencé à mourir. […] En développant une agriculture intensive, nous avons fait entrer des poisons dans notre sol et dans notre alimentation. »

Pour lutter contre certains ravageurs, Vandana Shiva estime qu’« il n’existe pas de meilleur outillage que la pince à épiler et le seau » !

Technophobe, Vandana Shiva privilégie systématiquement les méthodes dites « traditionnelles », comme elle l’explique dans un livre coécrit avec André Leu et Jacques Caplat, l’actuel président d’Ifoam France. Ainsi, pour lutter contre certains ravageurs, elle estime qu’« il n’existe pas de meilleur outillage que la pince à épiler et le seau » ! De même : « Sur les plantes infestées, ramasser à la main les insectes (sphinx du tabac, escargots…) est un moyen de contrôle relativement efficace. » Avec la certitude que « le caractère répétitif de ce genre de solution n’est qu’un moindre mal dont les paysanneries du monde se sont longtemps accommodées, surtout lorsque l’opération est réalisée à plusieurs dans un contexte permettant les échanges verbaux, les discussions et les plaisanteries ». Sans commentaire !

L’esprit « masculiniste occidental » 

Vandana Shiva ne se contente pas de dire que la « révolution verte » a constitué un mauvais choix agronomique, voire politique. Elle reproche de surcroît à la science moderne de véhiculer « l’esprit masculiniste occidental ». « Le courant dominant de la science moderne, le paradigme réductionniste ou mécanique, est une réponse particulière d’un groupe particulier de personnes. Il s’agit d’un projet spécifique de l’homme occidental qui a vu le jour au cours des XVIe et XVIIe siècles sous la forme de la révolution scientifique tant acclamée », explique-t-elle, avant de conclure que « le système scientifique dominant est apparu comme […] un projet masculin et patriarcal qui impliquait nécessairement l’assujettissement de la nature et des femmes ».

Ainsi, poursuit Vandana Shiva, « ce que l’on a appelé l’agriculture scientifique et la révolution verte est en réalité un modèle agricole occidental patriarcal et antinature, qui transfère le contrôle des systèmes alimentaires des femmes et des paysans vers les multinationales de l’agroalimentaire et qui perturbe les processus naturels ». Et d’ajouter : « La stratégie de sélection masculiniste de la révolution verte consistait à éliminer le principe féminin en détruisant le caractère autoreproducteur et la diversité génétique des semences. » Une dialectique écoféministe reprise notamment par la députée Sandrine Rousseau, qui déclare que la lecture du livre Éco-féminisme, coécrit en 1999 par Vandana Shiva et la sociologue Maria Mies, « a fait basculer [sa] pensée »…

OGM-pesticides : tordre la réalité

Pour démontrer que l’agriculture moderne est un désastre, Vandana Shiva n’hésite pas à tordre la réalité, comme elle le fait, par exemple, sur la question des OGM. C’est ainsi qu’elle dénonce depuis plusieurs années une « épidémie de suicides » chez les paysans indiens, dont elle attribue la cause à l’introduction du coton Bt, un OGM commercialisé par Monsanto. « 270 000 agriculteurs indiens se sont suicidés depuis que Monsanto est entré sur le marché indien des semences. C’est un génocide [sic] », affirmait-elle en 2014.

Toutefois, les données factuelles, qui s’appuient sur diverses enquêtes et études, démentent catégoriquement l’idée selon laquelle il y aurait eu une explosion de cas de suicides de paysans en Inde avec l’arrivée du coton OGM en 2002. Comme l’explique Ian Plewis, professeur de statistiques sociales à l’université de Manchester au Royaume-Uni, dans un article publié en 2014 : « Les données disponibles indiquent que la culture d’OGM n’entraîne pas de taux de suicide plus élevés. Dans six des neuf États producteurs de coton, le taux de suicide des hommes ne travaillant pas dans des exploitations agricoles était plus élevé que celui des agriculteurs. » Il précise que « l’affirmation selon laquelle les suicides d’agriculteurs ont augmenté depuis qu’ils cultivent des OGM peut se vérifier, mais seulement au Pendjab », avant d’ajouter : « Et ceux qui fondent leur opposition aux OGM sur cette affirmation doivent également admettre que le contraire est vrai dans le Maharashtra, où les taux de suicide des agriculteurs ont diminué depuis l’avènement des OGM, tout comme dans l’ensemble de l’Inde. » Dans un article publié en 2013 dans Nature, la journaliste scientifique Natasha Gilbert arrivait à la même conclusion : « Contrairement au mythe populaire, l’introduction en 2002 du coton Bt génétiquement modifié n’est pas associée à une hausse des taux de suicide chez les agriculteurs indiens. »

« Le système scientifique dominant est apparu comme […] un projet masculin et patriarcal qui impliquait nécessairement l’assujettissement de la nature
et des femmes », explique Vandana Shiva

Vandana Shiva véhicule le même type d’infox sur des questions touchant à la santé. Comme le rapporte le journaliste américain Michael Specter dans un article publié dans The New Yorker en 2014, Vandana Shiva met en cause les OGM et le glyphosate pour expliquer la recrudescence de l’autisme et d’autres maladies : « Si vous regardez le graphique de la croissance des OGM, de la croissance de l’application du glyphosate et de l’autisme, il y a littéralement une correspondance de un à un. Et vous pourriez faire ce graphique pour l’insuffisance rénale, vous pourriez faire ce graphique pour le diabète, vous pourriez faire ce graphique même pour la maladie d’Alzheimer. »

L’un des fondements de la pensée repose sur la dénonciation d’un prétendu « cartel du poison » qu’elle accuse de rien de moins que de commettre un « génécide »

Une fois de plus, Vandana Shiva prétend s’appuyer sur des faits, mais les graphiques qu’elle produit sont empruntés à un article publié en 2013 par l’Américaine Stephanie Seneff, dont les propos ont subi un cinglant démenti de la part des spécialistes. Ainsi, deux membres de l’association Criigen, pourtant bien connue pour son hostilité envers les OGM et les pesticides, ont rédigé une critique dévastatrice des travaux de Seneff, expliquant que « cette représentation erronée de la toxicité du glyphosate trompe le public, la communauté scientifique et les organismes de réglementation ». Arguments à l’appui, ils démontrent que les corrélations entre la progression de l’autisme (ou d’autres maladies) et l’utilisation du glyphosate (et des OGM) relèvent tout simplement… de la supercherie.

La conspiration du « cartel du poison »

L’un des fondements de la pensée de Vandana Shiva repose sur la dénonciation d’un prétendu « cartel du poison », à savoir un « petit groupe de compagnies qui a inventé les produits chimiques », accusées par la militante de rien de moins que de commettre un « génocide ». Dans sa vision paranoïaque du monde, elle affirme que ces entreprises auraient « inventé les produits chimiques toxiques qui poussent nos insectes, nos papillons et nos abeilles à l’extinction […] et nous donnent le cancer et l’insuffisance rénale » pour ensuite tirer « des bénéfices des maladies qu’ils propagent car elles vendent aussi des médicaments anticancéreux ».

Vandana Shiva n’hésite pas à relayer les comptes X de la frange la plus extrémiste et complotiste de la nébuleuse trumpiste, celle qui croit par exemple que de l’adrénochrome est prélevé sur des enfants dans le cadre de rituels sataniques

Des propos totalement lunaires que Robert F. Kennedy Jr (RFK), le ministre de la Santé de l’administration Trump, aurait parfaitement pu tenir, ces deux personnalités de la communauté antivax partageant une même vision conspirationniste du monde. En octobre 2023, alors que RFK était candidat à l’élection présidentielle, Vandana Shiva lui avait d’ailleurs apporté son soutien, estimant que « Bobby » n’était pas « seulement en train d’essayer de créer l’unité en Amérique » mais « l’unité pour l’humanité. » Durant le seul mois de décembre 2024, elle a ainsi retweeté une dizaine de vidéos de RFK, principalement sur les vaccins.

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La militante écologiste n’hésite pas non plus à relayer les comptes X de la frange la plus extrémiste et complotiste de la nébuleuse trumpiste, celle qui croit par exemple que de l’adrénochrome est prélevé sur des enfants dans le cadre de rituels sataniques pour obtenir la « drogue des Illuminati ».

Ainsi, en dépit du fait qu’ils défendent tous un « masculinisme occidental », Vandana Shiva trouve digne d’intérêt de diffuser des messages émanant de comptes X tels que « TRUMP ARMY », « Wide Awake Media », « illuminatibot » ou « IlluminatiCoin », dès lors qu’ils confortent son credo sur le « cartel du poison ». Curieuse démarche pour une figure qui s’affiche comme l’idole de l’écoféminisme progressiste…

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