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Empreinte écologique : un outil au service de la décroissance

L’humanité vit à crédit depuis le mois d’août. Tel est le postulat des adeptes de l’écologie profonde, repris sans critique par l’essentiel des médias. Décryptage d’une arnaque intellectuelle.

 

Depuis plus de dix ans, et toujours aux alentours du mois d’août, l’écolo-sphère ressort le même refrain : « L’humanité vit à crédit. » Cette année, le « Jour du dépassement de la Terre » (en anglais Earth Overshoot Day), date à partir de laquelle l’humanité est supposée avoir consommé l’ensemble des ressources que la planète peut régénérer en une année, est tombé le 2 août. Véritable marronnier, aucun média n’a échappé à cette annonce angoissante digne d’un Philippulus.

La faute à nos modes de consommation

Pour les prophètes de malheur comme Pierre Rabhi, la cause est entendue : la faute incombe à « nos modes de consommation ». « C’est la logique actuelle de l’économie de marché néolibérale, irrationnelle et suicidaire. Radicalement, je dirais : l’être humain se révèle comme le Satan de la Terre et non son ange gardien », note de son côté Leonardo Boff, chef de file de la Théologie de la Libération et prix Nobel alternatif 2001. Fidèle à son habitude, France Nature Environnement en profite quant à elle pour s’acharner sur les « modèles agricoles nuisibles » : « La situation environnementale est grave et l’agriculture doit assumer sa part de responsabilité dans cet échec collectif. (…) Les ressources s’épuisent et rien ne vient s’opposer à cette marche accélérée vers l’autodestruction. »

Développé par l’économiste écologiste Andrew Simms de la New Economics Foundation (NEF), un think tank britannique se situant dans la ligne de pensée d’Ernst Schumacher (auteur de Small is beautifull), le concept du « Jour du dépassement de la Terre » ne souffre quasiment aucune critique.

Au départ, rien de très original dans cette idée qui reprend, en termes contemporains, le postulat de base de l’écologie politique selon lequel la survie de l’humanité dépend d’une quantité fixe de ressources naturelles qui s’épuisent au fil du temps. Interrogé par la journaliste décroissante Marie-Monique Robin, Andrew Simms décrit la dette écologique en ces termes : « Si nous commençons à consommer les ressources de la nature plus vite qu’elle ne peut les régénérer ou à produire plus de déchets que l’environnement ne peut en absorber, comme les émissions de carbone dans le ciel, alors nous contractons une dette écologique. » Ainsi, la croissance économique et l’accroissement démographique constituent une menace pour une planète aux res- sources naturelles limitées.

Dans les années soixante-dix, le Club de Rome, ce groupe de réflexion d’économistes, d’industriels et de fonctionnaires fondé par Aurelio Peccei, a largement contribué à répandre cette critique visant la société de consommation. Dans leur fameux rapport Halte à la croissance ?, un volet entier était consacré à l’environnement, mis en péril par l’insoutenable accroissement démographique allant de pair avec la croissance économique. S’appuyant sur les savantes projections d’une équipe de chercheurs du Massachusetts Institute of Technology (MIT), le Club de Rome affirmait que l’humanité ne disposait que d’une vingtaine d’années de réserves de pétrole et de gaz naturel ; des projections qui n’ont pas résisté à la réalité des faits. Les réserves de pétrole et de gaz connues à l’heure actuelle peuvent encore couvrir les besoins de très nombreuses décennies. Le prétendu « manque de terre cultivable [censé se faire] désespérément sentir avant même l’an 2000 »n’a pas eu lieu. Ni d’ailleurs l’épuisement des réserves de zinc, d’argent, d’or, d’étain et de mercure, que les auteurs du rapport avaient également prévu pour la fin du siècle précédent. Bref, toutes ces prédictions apocalyptiques ont été démenties par les faits.

Un nouvel outil

Baptisé « empreinte écologique », un nouvel outil censé mesurer les limites de la planète a été développé une vingtaine d’années plus tard par un duo composé du Canadien William Rees, professeur de planification urbaine de l’Université de la Colombie-Britannique, et son élève suisse Mathis Wackernagel. Cherchant à sensibiliser au-delà des milieux académiques, Wackernagel et Rees ont publié en 1996 un livre intitulé Our Ecological Footprint : Reducing Human Impact on the Earth, traduit depuis en une dizaine de langues. Mais l’empreinte écologique a surtout été popularisée grâce à l’impulsion du WWF.

En 1998, à l’occasion de la publication de son premier Rapport Planète Vivante, le WWF a présenté son Indice Planète Vivante (IPV), qui mesure la santé de la biodiversité en suivant l’évolution de milliers de populations d’espèces vertébrées. Depuis 2000, Wackernagel participe à l’élaboration des rapports Planète Vivante pour mettre en lumière l’empreinte écologique de la planète et corréler ainsi la baisse de biodiversité avec l’accroissement des activités humaines.

Wackernagel et son épouse, Susan Burns, ont par ailleurs fondé en 2003 une ONG baptisée Global Footprint Network (GFN). Disposant d’un budget annuel consolidé d’environ 3,5 millions de dollars, GFN se charge du perfectionnement de la méthodologie et de la mise à jour des résultats. Il publie ainsi tous les ans un atlas détaillant l’empreinte écologique de chaque pays, fournit les données pour les rapports Planète Vivante du WWF et calcule le fameux « Jour du dépassement ».

Toutefois, l’interdépendance entre GFN et le WWF ne se résume pas à cette simple collaboration. En effet, André Hoffmann, vice-président du WWF International, président-cofondateur de la Fondation Mava – l’un des principaux sponsors de GFN – et vice-président du géant pharmaceutique suisse Roche par ailleurs, fait partie des directeurs du GFN.

L’empreinte écologique constitue avant out un puissant moyen de communication vis-a-vis du grand public et des institutions

Luc Hoffmann, père d’André et co-fondateur du WWF, explique les raisons de cette étroite collaboration, qui tiennent à la nécessité de « remettre dans la tête et dans le cœur des gens l’importance de la nature ». Autrement dit, l’empreinte écologique constitue avant tout un puissant moyen de communication vis-à-vis du grand public et des institutions. « La première vocation de l’empreinte écologique est de frapper les esprits, de prendre conscience que l’on consomme au niveau mondial une fois et demi ce que la planète est capable de “produire” », confirme en effet Natacha Gondran, maître-assistante en management environnemental.

Empreinte écologique : un indicateur peu fiable

Certes, l’empreinte écologique constitue un redoutable outil de communication, mais elle est en réalité aussi peu fiable que les calculs du Club de Rome. Exprimée en hectares globaux, l’empreinte écologique désigne « la surface correspondante de terre productive et d’écosystèmes aquatiques nécessaires pour la production des ressources utilisées et l’assimilation des déchets », note William Rees. Elle constitue donc un indicateur relativement fiable dès lors qu’il s’agit de la production de produits alimentaires, qui mobilisent en effet des surfaces réelles variant selon la productivité du secteur.

En revanche, comme le remarque l’environnementaliste Aurélien Boutaud, coauteur de L’empreinte écologique, cet outil « est plus discutable pour la partie déchets et précisément CO2, qui est le principal déchet pris en compte par cet indicateur ». Rees et Wackernagel établissent une convention « mathématique » consistant à traduire les émissions de CO2 non absorbées par les océans en surfaces de reforestation nécessaires pour éliminer ce surplus. En résulte, pour reprendre les termes d’Aurélien Boutaud, une « empreinte fictive ou fantôme ». « La théorie qui consiste à assimiler l’empreinte écologique des émissions de CO2 à la superficie terrestre requise pour absorber le carbone émis, est considérée par la plupart des promoteurs d’une empreinte écologique durable – dont nous-mêmes – comme difficile à défendre », note pour sa part le malthusien Andrew Ferguson. Le choix de cette « convention » n’est pas anodin ; c’est précisément de cette empreinte « fantôme » que découlent les conclusions selon lesquelles plusieurs planètes sont nécessaires pour couvrir la totalité des besoins en ressources naturelles ! Les émissions de gaz à effet de serre représentent en effet à elles seules « 60% de notre empreinte écologique mondiale ». Sauf que l’utilisation d’autres moyens que la reforestation pour réduire les émissions de CO2 fait apparaître une empreinte écologique tout à fait différente. « Si nous optons pour les éoliennes et les panneaux solaires, il nous faudra seulement 30 m2, voire moins, pour éliminer une tonne de CO2 émis », note le statisticien danois Bjørn Lomborg. C’est 70 fois moins que les 2000 m2 de reforestation nécessaire retenus par le GFN. Dès lors que l’on retient le mode de calcul de Lomborg, une planète suffit donc amplement ! Bien entendu, le développement de l’énergie nucléaire, qui induit des besoins en superficie incomparablement plus faibles, réduirait encore davantage ces empreintes « fantômes ». Autrement dit, le nombre de planètes nécessaires provient davantage d’un théorique calcul de surfaces « imaginaires » que d’une quelconque réalité physique.

l’empreinte écologique désigne un concept statique qui n’accorde aucune place à l’innovation et à l’intelligence de l’homme, facteurs pourtant essentiels dans la gestion des matières premières disponibles sur la planète.

Aucune place à l’innovation

Et ce n’est pas tout : l’empreinte écologique désigne un concept statique qui n’accorde aucune place à l’innovation et à l’intelligence de l’homme, facteurs pourtant essentiels dans la gestion des matières premières disponibles sur la planète. Ainsi, les prétendues limites en eau potable n’ont qu’une réalité bien relative, comme en témoigne l’exemple israélien. Avec seulement cinq usines ultramodernes de désalinisation de l’eau de mer, ressource pourtant considérée comme impropre à la consommation, le pays fournit en eau potable 75% de sa population. Et ce pour un coût énergétique très raisonnable grâce à la technique de l’osmose inverse, un fin système de filtrage qui retient le sel et ne laisse passer que les molécules d’eau.

En outre, les calculs du GFN ne tiennent pas compte de certaines découvertes révolutionnaires. C’est le cas du graphène, un matériau cristallin bidimensionnel obtenu à partir du carbone, dont la résistance à la rupture est deux cents fois supérieure à celle de l’acier pour un poids six fois inférieur. Isolé pour la première fois en 2004, le graphène fait déjà l’objet de plus de 10000 brevets, la plupart dans le domaine de l’électronique. Face à ses usages innombrables, les chercheurs sont aujourd’hui persuadés qu’il servira notamment à produire des écrans incassables. « Avec seulement quelques kilos de ce matériau, vous pouvez remplacer tous les écrans tactiles du monde », assure Vittorio Pellegrini, directeur de l’Institut italien de la technologie sur le graphène.

 

Enfin, contrairement à ce que suggèrent les adeptes de l’empreinte écologique, le capital environnemental lui-même — la biocapacité — peut être augmenté. L’agriculture en constitue un parfait exemple. « L’augmentation du rendement des cultures augmente la biocapacité. Par exemple, la surface de terre utilisée pour les cultures les plus courantes, les céréales, est restée relativement constante depuis 1961 tandis que son rendement par hectare a plus que doublé », concède volontiers le WWF. Or, rien ne permet d’affirmer que cette augmentation soit arrivée à son terme. Les progrès fulgurants en robotique et dans les biotechnologies végétales et animales suggèrent au contraire que le 21ème siècle sera celui d’une nouvelle révolution dans le domaine de la production alimentaire.

À moins que le dogmatisme de l’écologie radicale ne réussisse, avec sa philosophie réactionnaire et conservatrice, à imposer sa vision malthusienne d’une planète aux ressources limitées.

 

 

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