Dans le cadre des Etats généraux de l’alimentation, la filière céréalière a remis son Plan filière, un plan qui appelle également le gouvernement à prendre ses responsabilités. Décryptage avec Solenn Le Boudec, déléguée générale d’Intercéréales.
Que faut-il retenir du plan de transformation remis en décembre au gouvernement ?
La filière céréalière ayant initié une démarche de durabilité dès 2017, le plan de transformation demandé par les pouvoirs publics a surtout permis de préciser cette démarche interne et volontaire. Nous avons ainsi retenu un triple objectif. D’abord créer davantage de valeur tout au long de la chaîne avec un retour indispensable pour les producteurs. Ensuite, préserver l’environnement, ce qui reste une condition nécessaire pour la durabilité de notre métier. Enfin, rester compétitif, sinon rien ne sera possible.
Le plan a été construit avec les acteurs de la seconde transformation et de la filière des huiles et protéines végétales, les enjeux des grandes cultures et leurs solutions étant communes. Il s’articule au final autour de trois axes :
- Accompagner toutes les créations de valeurs, du territoire local à l’international, afin de satis- faire les attentes des clients, qui sont à la fois consommateurs et citoyens, mais aussi français et étrangers.
- Innover pour développer la transition de la filière.
- Développer les solidarités entre les acteurs.
Le président de la République souhaite une montée en gamme des productions françaises avec un meilleur partage de la valeur dans les filières. Comment avez- vous articulé ces demandes ?
Pour partager de la valeur, il faut d’abord avoir les moyens d’en créer ! Cela a donc été le principe directeur de notre Plan filière. Notre réponse a été d’encourager la création de valeur par la segmentation des marchés sur les qualités des céréales ou la valeur environnementale ou locale. Aujourd’hui, près de 17% des céréales destinées aux marchés alimentaires nationaux sont des filières premium contractualisées et cela pourrait doubler relativement rapidement. Par exemple, nous nous engageons à doubler les surfaces de grandes cultures bio en cinq ans, chiffre réaliste au regard des prévisions de croissance en France, mais qu’il conviendra d’ajuster régulièrement afin d’éviter les importations, contraires à l’esprit de la bio.
Ceci étant dit, il faut bien admettre que, dans notre secteur, la fixation des prix ne dépend ni des producteurs ni des acheteurs. Dans la réalité, elle est étroitement corrélée aux prix mondiaux. L’enjeu majeur reste donc l’impératif incontournable de gagner en compétitivité. Or, alors que nos principaux concurrents, notamment les pays de la mer Noire, progressent, la filière française perd en compétitivité à l’exportation. Cela n’est pas le problème des seuls exportateurs, mais bien celui de toute la filière, car si la tendance perdure, la perte de compétitivité à l’exportation se traduira immanquablement par une fragilisation des céréales françaises sur le marché intérieur. En effet, une dégradation de la compétitivité de la production diminuerait l’intérêt économique des céréales françaises pour les transformateurs français et confèrerait simultanément un intérêt économique aux céréales importées.
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Une attente forte de la société française concerne les produits phytos. Pourquoi ne pas avoir pris d’engagement de baisse chiffré ?
L’attente principale et légitime du consommateur consiste à disposer d’un produit sain et de qualité. Sur ce point, la filière céréalière est déjà très performante. Or, nos producteurs doivent faire face à de nouveaux défis : aléas climatiques dont les amplitudes s’accroissent, érosion de la teneur en protéines, apparition de nouveaux bioagresseurs ou encore développement des résistances. L’absence d’engagement chiffré ne signifie pas que la filière n’entend pas les fortes attentes sociétales. D’ailleurs, nous nous engageons sur une trajectoire de diminution très significative sur 15 ans, mais une réduction chiffrée unique à une échéance unique de 5 ans ne saurait être crédible, le sujet étant très complexe.
Ainsi, les solutions que la recherche peut apporter dépendent de chaque culture et bassin de production. En outre, pour obtenir une baisse très significative à moyen-long terme de l’usage des phytos, il est nécessaire d’évoluer dans un environnement stable, avec une stratégie et des investissements dont le coût est estimé à plus de 10 milliards d’euros. Dans un premier temps, il faut optimiser l’utilisation des outils existants et donc mobilisables à court terme. Et à plus long terme, mettre en place une logique de protection intégrée combinant toutes les solutions agronomiques, biologiques, chimiques, génétiques, mécaniques, technologiques, avec une approche par bassin de production.
Pour que des solutions alternatives ou complémentaires aux phytos apparaissent, il faut amplifier la recherche dans la génétique, avec notamment ce que vont pouvoir apporter les New Breeding Techniques, ou encore des solutions biologiques qui sont à ce jour peu fournies.
Cette transformation amorcée marque un véritable tournant dans l’engagement collectif des acteurs. Le président de la République a clairement demandé aux acteurs de se prendre en main. Toutefois, certaines conditions de réussite ne dépendent pas uniquement des seuls acteurs de la filière. L’Etat a également son rôle à jouer en stabilisant le cadre réglementaire, en limitant les distorsions de concurrence ou encore en soutenant nos investissements pour préparer l’avenir.