Avec sa dernière campagne contre les pesticides, Générations Futures tente à nouveau de mettre en cause le travail réglementaire des agences sanitaires en charge de notre santé. Avec des conclusions plus que discutables
« Et si l’exposition aux pesticides était sous-évaluée… », s’interrogeait Le Parisien dans son édition du 23 novembre, tandis que, le même jour, Le Canard Enchaîné titrait « À pleins poumons » un article où il estimait avoir soulevé un lièvre en écrivant que « la manière de calculer le risque [des pesticides] pour les riverains » serait inadéquate. À l’origine de ce tir croisé figure une publication de l’association antipesticides Générations Futures (GF), rendue publique ce même jour.
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Ayant engagé il y a de cela un an Pauline Cervan, une jeune toxicologue qui a travaillé pendant sept ans chez Staphyt, entreprise spécialisée dans la prestation de services dans le domaine des agrosciences et de l’évaluation des risques, GF s’est désormais dotée d’une expertise aux allures plus professionnelles. Dans ses dernières publications, rédigées avec beaucoup de pédagogie, les informations factuelles côtoient les intox en tous genres. D’où l’absolue nécessité de bien vérifier les propos affirmés dans ces textes avant de les reprendre à son compte. Ce que n’ont manifestement pas fait les deux journaux cités, qui se sont empressés de publier les conclusions de GF, sans prendre la peine d’en vérifier les fondements. Et c’est fort dommage, car ce sujet, important et complexe, aurait vraiment mérité mieux qu’une simple reprise des sempiternels éléments de langage de GF.
On connaît le refrain par cœur : afin de mettre en cause l’usage des pesticides, l’association de François Veillerette s’acharne à faire croire que les autorités en charge de la protection des citoyens – l’Anses pour la France, et l’Efsa pour l’Union européenne – ne font pas correctement leur travail. Même si la ficelle semble un peu grosse, GF peut toujours compter sur le manque de professionnalisme de certains journalistes, ou sur le soutien de ceux qui sont acquis à sa cause, pour propager ses affirmations erronées. On ne sait pas dans quelle catégorie ranger Frédéric Mouchon, l’auteur de l’article du Parisien, mais on est certain, en revanche, qu’il a omis une série d’informations, pourtant faciles à obtenir, qui auraient mis en évidence l’entourloupe de GF. Un simple appel téléphonique à Phyteis, par exemple, aurait permis de nuancer les propos de l’association antipesticides.
Des failles et des trous ?
Selon l’association, il y aurait en effet des « failles » dans le dossier d’évaluation des risques conçu par l’Efsa et des « trous dans la raquette » de celui de l’Anses.
Lesquels ? « Une voie importante d’exposition oubliée est la voie orale, avec la possibilité de consommer des fruits et des légumes du jardin contaminés par la dérive (celle des pesticides pulvérisés par les tracteurs) », explique Frédéric Mouchon en citant ledit rapport. Tout comme ne serait pas pris en compte « un scénario non négligeable : l’inhalation de poussières contaminées ». Or, les « concentrations en poussières contaminées sont quatre fois plus élevées dans des maisons situées à proximité de champs que dans des maisons plus éloignées », assure François Veillerette.
Enfin, et « plus graves », les risques encourus par les enfants exposés aux pesticides seraient, eux aussi, sous-évalués. « On calcule l’exposition acceptable d’une personne en fonction de son poids. Plus celui-ci est important, plus on divise la quantité de substances reçues par kilo. Le poids de référence pour protéger tout le monde à partir de 14 ans est de 60 kilos. Or, c’est sous-estimer l’exposition pour tous les adolescents car à 14 ans, 80% des filles et 76% des garçons ne pèsent pas ce poids-là. Même des adultes ne l’atteignent jamais. Pour les enfants, le poids considéré comme protecteur est 10 kilos, ce qui exclut les bébés jusqu’à 1 an », relate Pauline Cervan dans un entretien accordé à Libération. Les évaluations seraient donc « incertaines », souligne la toxicologue de GF, qui compte ainsi « faire comprendre au gouvernement et à l’Anses qu’avec l’approche qu’ils utilisent, ils ignorent toutes les failles présentées ».
L’exposé semble d’une telle évidence qu’on ne peut que se demander comment tous les toxicologues travaillant pour les agences sanitaires ont pu ignorer ces aspects. Comment donc expliquer une telle incompétence générale ? À moins qu’il ne faille invoquer le poids des puissantes industries de l’agrochimie ? Voire la corruption de ces experts, tous à la solde du capitalisme ? Tout cela est bien entendu ridicule, et la réalité est nettement moins spectaculaire…
Au sujet des modèles
Dans les faits, le cadre réglementaire européen relatif aux produits phytosanitaires est l’un des plus solides au monde. Ainsi, pour être autorisé, un produit phytosanitaire doit répondre à un crash-test concernant la question des riverains, lui-même constitué de la somme de plusieurs scénarios. Ce que reconnaît GF, qui explique que « 4 scénarios d’exposition pour les adultes et 5 pour les enfants sont envisagés dans le modèle ». L’association précise que l’exposition par voie respiratoire après application est d’une durée de 24 heures, que l’exposition cutanée est de 2 heures et qu’elle est de 15 minutes pour l’entrée dans un champ traité.
Certes, cela ne semble pas être très convaincant pour mesurer un risque sanitaire. Avec cette formulation, on penserait à la rigueur à l’évaluation d’un risque ponctuel, mais en aucun cas d’un risque chronique. Un cadre un peu trop léger au goût du Canard, qui en conclut que « les distances de sécurité obtenues de haute lutte pour que les agriculteurs ne vaporisent pas des pesticides trop près des habitations, sont un brin bidon ».
Les omissions de Générations Futures
Sauf que, comme à son habitude, GF a omis de préciser l’essentiel : ces données sont calculées pour une exposition qui aurait lieu tous les jours de la vie de la personne. À savoir : pour le premier scénario, l’exposition à un jet de pulvérisateur, il s’agirait d’une personne, en short et tee-shirt, placée à environ 5 à 10 mètres du pulvérisateur et qui prendrait le vent en pleine figure pendant 2 heures sans discontinuer, tous les jours de sa vie. Une précision qui change tout !
Pour le contact prolongé avec des végétaux traités, par exemple une pelouse fraîchement recouverte d’une dérive d’un flux de pulvérisation à partir d’un champ mitoyen, le scénario retenu est celui d’une personne en contact, certes durant 2 heures, mais chaque jour et tout au long de sa vie. Et pour les enfants, on ajoute un scénario supplémentaire, celui d’une exposition orale avec des gestes quotidiens de la main à la bouche, ainsi que d’objets contaminés via une dérive de traitement et portés à la bouche pendant toute leur enfance.
Enfin, le scénario concernant l’exposition respiratoire est calculé avec une exposition permanente (24 heures et tous les jours) et l’inhalation de doses 1 000 fois plus élevées que les concentrations retrouvées dans les contrôles français de l’air en zone agricole en période de traitement.
De même, le fait que l’Efsa ait choisi d’exprimer l’exposition dite « interne », c’est-à-dire après passage de la substance dans le sang par absorption cutanée et après inhalation, en prenant comme poids de référence 60 kilos en moyenne pour les adultes et 10 kilos pour les adolescents, reste très largement conservateur, étant donné que le calcul concerne une exposition moyenne calculée sur la durée totale de la vie. L’interrogation de GF n’est donc pas justifiée.
Bref, quand l’association affirme que « les conditions météorologiques considérées dans le modèle sous-estiment les expositions réelles », c’est précisément le contraire qui correspond à la réalité, dans la mesure où il est difficile d’envisager des cas d’exposition pires que ceux retenus par le modèle choisi par les agences sanitaires.
On peut donc être rassuré : les modèles de l’Anses et de l’Efsa n’ont pas été élaborés à la légère, sur un coin de table, par des toxicologues incompétents. Bien au contraire ! Et la couverture, finalement assez faible, qui a accompagné la publication de cette dernière pseudo-étude signe peut-être la fin de ce genre de propagandes ridicules, dont les grosses ficelles commencent à être connues par le monde des médias…