Le statu quo politique provoqué par la dissolution de l’Assemblée nationale plonge le monde agricole dans une période d’incertitude. Aucun changement n’ayant été constaté dans les fermes de France, c’est plutôt le découragement qui règne. Pour le député LR de l’Aisne, des solutions sont sur la table
À l’heure actuelle, le projet de Loi d’orientation agricole (PLOA) est en pause, alors qu’il devait passer devant le Sénat dans le courant de l’été pour être adopté ensuite. Quel sort aura-t-il ?
Julien Dive : Il faut rappeler que le projet de loi d’orientation agricole voté par l’Assemblée nationale était loin de répondre aux attentes exprimées par les agriculteurs lors des manifestations du début 2024. Cependant, si ce texte présenté par le gouvernement n’apportait pas toutes les réponses souhaitées par le monde agricole, il comportait bien quelques avancées ici et là. Notamment grâce aux différents amendements portés par les parlementaires. J’en veux pour preuve la suppression du diagnostic des sols, que je considérais pour ma part comme une porte ouverte à une avalanche de contentieux. On a également introduit un article permettant le droit juridique à l’erreur. Bref, on avait obtenu qu’un certain nombre d’avancées soient adoptées à l’Assemblée nationale quelques jours avant la dis- solution. C’est cette décision du président Macron qui a conduit à l’arrêt des discussions au Sénat.
Théoriquement, rien n’empêcherait le futur gouvernement, s’il le souhaite, de maintenir le texte tel quel et de l’inscrire au débat du Sénat. Il pourrait donc être débattu et modifié par les sénateurs avant de revenir à l’Assemblée nationale, et on aurait ainsi une loi qui pourrait entrer en vigueur très rapidement. Mais ça, c’est en théorie. Car, la configuration de l’Assemblée nationale n’étant plus du tout la même, il n’est pas certain que les éventuelles modifications introduites par le Sénat soient acceptées par la nouvelle Assemblée lors de la deuxième lecture du texte.
Or, comme ce texte est par ailleurs loin d’être satisfaisant pour le monde agricole, je pense qu’il est préférable de repartir d’une page blanche, tout en s’inspirant d’un certain nombre de points inscrits dans le texte, pour proposer une vraie loi d’orientation agricole, dans laquelle des sujets essentiels comme le modèle économique, la question des produits phytosanitaires, le foncier ou encore la fiscalité seront pris en compte.
« Ce texte étant loin d’être satisfaisant pour le monde agricole, je pense qu’il est préférable de repartir d’une page blanche pour proposer une vraie loi d’orientation agricole »
Ce nouveau texte pourrait rapidement être ratifié à l’Assemblée nationale et au Sénat, et être adopté avant la fin de l’année 2024 ou, au plus tard, au début de l’année 2025.
On accoucherait ainsi d’une vraie loi d’orientation et d’un vrai big bang pour l’agriculture. Cela me semble indispensable si l’on souhaite véritablement préserver notre souveraineté alimentaire et, plus encore, rétablir un peu d’équilibre entre les distorsions de concurrence présentes au sein de l’Union européenne.
Ce scénario ne dépend-il pas de l’orientation politique du prochain gouvernement ?
Julien Dive : Bien entendu, mais quelle que soit sa couleur, le prochain gouvernement devra répondre très rapidement à la crise agricole. Il ne faudrait surtout pas s’imaginer que cette crise est réglée, car aucune réponse concrète n’a été apportée aux problèmes structurels soulevés par le monde agricole lors des manifestations du début de l’année. Et lors de mes déplacements récents dans les campagnes, j’ai bien pu observer les attentes des agriculteurs. Certains sont tout simplement à bout.
Certes, il y a eu quelques arrangements réglementaires, avec notamment quelques arrêtés qui ont été modifiés, grâce aux échanges avec les préfets. Mais cela ne répond pas à la crise profonde que traverse notre agriculture et qui s’est encore accentuée avec la terrible moisson de 2024 et la crise sanitaire de la filière ovine. Dans tous les cas de figure, le gouvernement devra donc fournir des réponses.
Il va de soi que l’orientation du gouvernement sera donc essentielle. Et si je regarde le bilan de la politique agricole des précédents gouvernements de gauche, notamment celui de Monsieur Hollande, je ne peux qu’être très sceptique. N’est-ce pas son ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll, qui a privé son propre ministère de sa capacité d’accorder des autorisations de mise sur le marché des produits phytosanitaires ? Le problème d’accès à l’eau, sujet mis sur la table par la profession depuis de nombreuses années, n’a, lui non plus, jamais trouvé de réponse, et aucune retenue d’eau n’a été mise en place pendant les cinq années de son mandat. Et je pourrais vous citer bien d’autres exemples montrant que toutes les mesures qui ont affaibli l’agriculture ont été décidées par des gouvernements de gauche ou de centre gauche.
Que proposez-vous donc pour répondre à la crise structurelle que traverse l’agriculture française ?
Julien Dive : Dès la constitution des groupes politiques de la nouvelle Assemblée nationale, j’ai proposé de relancer le travail collectif qu’on avait fait en amont de la loi agricole, lequel avait abouti à l’élaboration de notre livret blanc comprenant une quarantaine de propositions, rendu public en janvier 2024. Celui-ci présentait à la fois des mesures législatives et des mesures réglementaires, qui étaient le fruit d’un travail mené collectivement, à la suite d’un tour de France réalisé avec certains parlementaires. J’ai donc suggéré à mes collègues de poursuivre ce travail après la dissolution, en estimant qu’on devait proposer à la nouvelle Assemblée nationale et au Sénat un nouveau texte, structuré autour d’un nouveau cadre décliné dans un nombre précis de thématiques.
Il convenait donc, premièrement, d’assurer la notion d’intérêt général majeur, ce qui figurait déjà dans le projet de loi. Deuxièmement, d’apporter des outils afin de répondre efficacement à la multiplication des impacts climatiques. Je pense notamment à l’épargne de précaution et à la question assurantielle. Troisièmement, de répondre à la question de la perte de compétitivité de la Ferme France, avec l’abrogation des surtranspositions, la simplification administrative et l’adaptation de l’entretien aux réalités départementales. En quatrième point, d’investir dans la recherche et de rééquilibrer la prise de décision sur l’usage d’outils phytosanitaires. Puis, de garantir l’installation des nouvelles générations, par exemple par un fonds national de soutien à l’investissement, et de mettre en place la transition agricole avec la gestion de l’eau, une stratégie carbone et l’organisation d’activités auxiliaires. Enfin, de résoudre le problème des négociations commerciales qui sont aujourd’hui au point mort, puisqu’on est revenu au droit commun.
Tous ces sujets doivent être abordés dans un cadre global, qui sera l’architecture de la future loi d’orientation agricole. Voilà ce que nous proposons dans notre projet.
La FNSEA vient de publier une proposition d’un texte clés en main intitulé « loi Entreprendre en agriculture ». Qu’en pensez-vous ?
Julien Dive : La FNSEA fait bien entendu partie des interlocuteurs avec lesquels nous avons beaucoup échangé pour préparer le débat sur le projet de loi agricole. Ces échanges se sont poursuivis cet été, notamment à l’occasion de plusieurs déplacements sur des exploitations qui avaient subi d’importantes pertes. Je retrouve dans cette proposition de la FNSEA beaucoup d’éléments intéressants et qui rejoignent notre propre travail.
L’idée d’avoir une loi intitulée « Entreprendre en agriculture » me convient d’ailleurs très bien. Car, pour moi, en effet, ce qui est prioritaire, c’est d’affirmer l’idée que l’agriculture est et restera toujours une activité économique, une activité primordiale puisqu’elle est nourricière, et qu’il faut la traiter comme telle, en prenant en compte ses spécificités. L’intitulé « Entreprendre en agriculture » permet de rappeler que l’agriculture n’est pas un loisir, mais une activité économique qui nourrit les Français, et nourrit même bien au-delà des Français, puisqu’on est censé être un pays capable d’exporter. Elle constitue ce qui nous permet, d’une part, d’assurer notre autonomie alimentaire et, d’autre part, d’apporter une contribution positive à notre balance commerciale.
« Pour moi, ce qui est prioritaire, c’est d’affirmer l’idée que l’agriculture est et restera toujours une activité économique et qu’il faut la traiter comme telle, en prenant en compte ses spécificités »
Il faut le dire bien haut : les agriculteurs sont des chefs d’entreprise, mais dans un domaine d’activité économique fortement sujette aux aléas climatiques, sanitaires et humains. D’où la nécessité de disposer d’un cadre juridique adapté à la fois sur l’assurance, sur l’accompagnement à l’installation et sur le cadre réglementaire sanitaire. En fin de compte, même si la déclinaison sémantique est un peu différente, l’objectif demeure identique.
De nombreux agriculteurs partagent le sentiment que, depuis les manifestations de début 2024, rien n’a changé. Et que non seulement tout le travail effectué par les syndicats n’a abouti à rien, mais qu’il n’y a rien à attendre du politique tant la situation semble paralysée. Que souhaiteriez-vous leur dire ?
Julien Dive : La crise agricole comporte une part conjoncturelle qui peut trouver une réponse rapide en fonction de la volonté politique, dès lors qu’il s’agit de questions purement réglementaires. Si le ministre de l’Agriculture et le Premier ministre sont volontaires et déterminés, le gouvernement dispose des moyens pour très rapidement améliorer, simplifier et déclencher des réponses adéquates. En tant que député, je compte bien œuvrer afin que des décisions rapides soient mises en place dès la fin de l’année.
Ensuite, dans un second temps, il y a les questions structurelles qui relèvent davantage du cadre législatif. Ce qui prend forcément davantage de temps. Celles-ci auraient pu être réglées dans le courant de l’été avec la loi d’orientation agricole, même si, selon moi, cette dernière ne répondait malheureusement que de manière partielle à la crise. Mais c’était déjà une première étape. Sauf que la dissolution nous a fait perdre un temps précieux, qu’il est maintenant indispensable de rattraper. Cependant, en se dotant d’un gouvernement et d’un ministre de l’Agriculture très proactifs, il est parfaitement possible d’apporter au monde agricole les solutions indispensables, puisque celles-ci sont désormais sur la table…