AccueilApicultureLes non-dits de la crise apicole de 2024

Les non-dits de la crise apicole de 2024


L’année 2024 marque une nouvelle crise apicole en France, prise dans un étau entre des faibles rendements, une augmentation significative du nombre d’apiculteurs et des prix de vente qui sont au plus bas en raison des importations de miel qui ne cessent d’augmenter

Selon une étude publiée à la fin novembre par la Fédération du réseau de développement apicole (Ada) et l’ITSAP-Institut de l’abeille, la production de miel en France en 2024 devrait se situer dans une fourchette de 16 000 à 23 000 tonnes, accusant une baisse de plus d’un tiers par rapport aux deux années précédentes.

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Basée sur la consultation de plus de 675 apiculteurs qui ont répondu aux enquêtes de production du réseau des Ada, cette estimation est néanmoins largement supérieure à celle annoncée le 8 octobre dernier par l’Union nationale de l’apiculture française (Unaf), qui indiquait que l’on pouvait « raisonnablement estimer que la récolte de miel 2024 en France s’élève à environ 12 000 tonnes ». Une différence qui s’explique peut-être, d’une part, par une surreprésentation dans l’estimation du réseau Ada d’apiculteurs « ayant connu une saison plus réussie » qui les incline à une surestimation des tonnages totaux, et d’autre part, part le fait que les apiculteurs interrogés possèdent pour la plupart plus de 150 ruches, les enquêtes des Ada étant principalement menées auprès d’apiculteurs pluriactifs ou professionnels. Pour ceux-ci, la production moyenne par ruche a cependant connu des baisses allant jusqu’à 60 % (Grand-Est, Île-de-France, Bretagne et Bourgogne-Franche- Comté), tandis qu’en quantité, les moyennes se situent de 34 kilos par ruche pour le Centre-Val de Loire à 10 kilos pour la Bretagne. En d’autres termes, une production qui ne permet aucunement de couvrir la consommation de miel des Français, qui avoisine les 50 000 tonnes, et qui connaît, elle aussi, une baisse.

« Les apiculteurs ont même dû apporter à plusieurs reprises des compléments alimentaires, en plus du miel laissé aux abeilles pour leur alimentation, afin que les colonies ne meurent pas de faim », s’alarme l’Unaf

Conditions climatiques défavorables

Sur les raisons de cet effondrement, tous les professionnels s’accordent à les attribuer au premier chef à des conditions climatiques particulièrement défavorables aux abeilles, avec un début de saison constitué de pluies récurrentes, auxquelles ont succédé des périodes de froid, de vent, et de gelées tardives, ne permettant pas aux abeilles de profiter des floraisons pour butiner nectar et pollen.

À cela s’est ajoutée une forte augmentation des parasites et des maladies affectant les colonies d’abeilles. L’incontournable varroa, un acarien destructeur, continue de décimer les ruches, tandis que différents virus présents dans les ruches affaiblissent les butineuses. « Une colonie infestée, c’est 15 % de production en moins, mais c’est surtout plus de mortalité hivernale », déclare ainsi François-Jean Priester, apiculteur à Landas (Nord). « Les apiculteurs ont même dû apporter à plusieurs reprises des compléments alimentaires, en plus du miel laissé aux abeilles pour leur alimentation, afin que les colonies ne meurent pas de faim », s’alarme l’Unaf dans un communiqué de presse. Le syndicat précise que cette situation a entraîné « un surcoût financier considérable pour les exploitations apicoles et un surcroît de travail harassant pour les apicultrices et les apiculteurs ».

Et Christian Pons, président de l’Unaf, alerte : « Les départements les plus impactés par cette chute brutale doivent pouvoir bénéficier d’aides publiques pour empêcher la faillite d’exploitations apicoles fragilisées. »

Une crise apicole structurelle

Mais ces constats inquiétants ne représentent en fait que la partie émergée d’une crise structurelle bien plus profonde. Ainsi, Philippe Lecompte, apiculteur bio et président du Réseau biodiversité pour les abeilles, qui partage le même constat sur les pertes de production de ses ruches, met l’accent sur une considérable augmentation du nombre d’apiculteurs : « Dans le Grand Est, depuis 2015, on a plus que doublé le nombre de ruches (180 000 ruches aujourd’hui contre 80 000 en 2015) avec un nombre d’apiculteurs amateurs qui est passé de 4400 à 8000. »

« Nos amis apiculteurs ukrainiens produisent du miel à 0,80 euro le kilo. Il arrive chez les conditionneurs français à 1,75 euro, alors que le prix de revient du miel français se situe de 3 à 6 euros selon la qualité », note Philippe Lecompte

Ce phénomène, qui s’observe à l’échelle du pays, explique notamment pourquoi la production de miel en 2022 et 2023 a atteint des records historiques avec un tonnage avoisinant les 35 000 tonnes. « Or, le marché français n’est capable d’absorber que 20 000 tonnes de miel français en raison de son prix de revient », indique l’apiculteur, en soulignant que, sur la demande de miel en France – d’environ 50 000 tonnes –, 35 000 tonnes sont importées.

« Nos amis apiculteurs ukrainiens produisent du miel à 0,80 euro le kilo. Il arrive ensuite chez les conditionneurs français à 1,75 euro, y compris le coût de transport qui est de l’ordre de 0,10 euro par kilo, alors que le prix de revient du miel français se situe de 3 à 6 euros selon la qualité », continue l’apiculteur.

Résultat : même avec une année catastrophique en termes de rendement, les apiculteurs se retrouvent avec un stock de plus de 20000 tonnes de miel impossible à commercialiser dans les circuits traditionnels. « Le climat a bon dos, mais ce n’est pas aujourd’hui le seul responsable de la crise que traverse la filière », conclut Philippe Lecompte, qui déplore que rien n’ait été mis en place pour structurer la filière en fonction du marché.

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