Devenu député écologiste du NFP lors des dernières législatives, Benoît Biteau se distingue par ses surprenantes « vérités alternatives ». Portrait d’un des principaux porte-parole de la gauche parlementaire sur les questions agricoles
Arborant fièrement un coquelicot « Stop pesticides » à sa boutonnière, le député écologiste du Nouveau Front populaire (NFP) Benoît Biteau se pose comme l’un des principaux porte-parole de la gauche parlementaire sur les sujets agricoles. Étant, il est vrai, l’un des rares députés issus du monde agricole, il aime à rappeler qu’il a reçu, en 2009, le Trophée national de l’agriculture durable.
Après un BTS agricole et un certificat de spécialisation, Biteau a obtenu son diplôme d’ingénieur des techniques agricoles en 1997, avec en point d’orgue un mémoire de fin d’études sur le thème de la conservation génétique des races mulassières du Poitou. L’année suivante, il est devenu responsable « animation et développement » d’une coopérative agricole, un poste qu’il a quitté rapidement, estimant que la fusion de coopératives est « le symbole de la fuite en avant de l’agriculture intensive » et n’hésitant pas à fustiger les dirigeants coopérateurs de façon assez abrupte : « J’ai le sentiment qu’ils sont lobotomisés, dans un moule destructeur qu’ils ont accepté sans broncher. ».
Après un passage en tant que directeur technique au Parc naturel régional du Marais poitevin, il a repris en 2006 la ferme de son père, avec l’objectif affiché de transformer « une exploitation productiviste […] en ferme agroécologique » afin de « faire la démonstration que la mutation est possible ». Militant hostile à l’agriculture conventionnelle, il affirme ne recourir à aucun pesticide ni engrais. Selon lui, pas de demi-mesure : la seule trajectoire possible pour l’agriculture française est « le 100% bio ».
Et peu lui importe d’avoir à subir l’amère expérience de la crise que traverse cette filière. Avouant son « immense déception » vis-à-vis des consommateurs, il s’est récemment plaint de réussir à grand-peine à vendre sa viande de veau, pourtant de bêtes « de race locale maraîchine, certifiée AB, exclusivement élevées sous la mère, sur des prairies naturelles remarquables et patrimoniales, à seulement 18 euros/kg ». Et de lancer : « Une telle ingratitude pourrait donner envie de tout simplement jeter l’éponge ! »
Selon Benoît Biteau, pas de demi-mesure : la seule trajectoire possible pour l’agriculture française est « le 100% bio »
Propulsé par Ségolène Royal
Parallèlement à ses activités professionnelles, Benoît Biteau mène depuis une quinzaine d’années une carrière politique. Celle-ci n’a pas pris sa source dans le courant de l’écologie politique – auquel son livre publié en 2018 Paysan résistant ! (Fayard) ne faisait d’ailleurs pas la moindre référence – mais au sein du Parti radical de gauche (PRG), où il a fait ses premiers pas en politique.
La présidente de la région Poitou-Charentes Ségolène Royal lui a ensuite ouvert les portes du conseil régional en lui proposant de se présenter sur sa liste pour les élections de 2010 afin, comme l’explique La Charente Libre, de « faire contrepoids aux Verts qui avaient choisi de faire liste à part au premier tour ». Ce qui lui a permis d’accéder en prime au poste de vice-président de la région Poitou-Charentes et à la présidence de la commission ruralité, agriculture, pêche et cultures marines. En 2015, il a été réélu au conseil régional de Nouvelle-Aquitaine, toujours sur la liste du PS et sous l’étiquette PRG.
Mais cela ne suffit pas, et fort de son expérience de conseiller régional, il entend faire valoir ses ambitions nationales. N’obtenant que 1,85 % des voix lors des élections législatives de juin 2017, il décide alors de changer de stratégie, quittant le PRG pour rejoindre Europe Écologie-Les Verts (EÉLV), et il se retrouve ainsi sur la liste écologiste de Yannick Jadot pour les élections européennes de 2019. Il confie à Ré à la Hune : « Pour Yannick, j’étais la personne adéquate pour, non pas succéder ou remplacer José Bové, mais pour prolonger son travail. » Il est élu eurodéputé et décroche la vice-présidence de la commission de l’agriculture du Parlement européen.
En octobre 2021, une antenne « Saujon Val de Seudre Collectif » est créée et animée par Benoît Biteau et sa femme, Stéphanie Muzard, adhérente et militante à EÉLV depuis 2016 et plusieurs fois candidate pour le parti écologiste. Enfin, en 2024, après le score médiocre de la liste écologiste aux européennes, il est « repêché » pour les législatives et devient, grâce au désistement de la députée Modem sortante, le candidat unique face à une candidate RN. Ce qui lui permet de faire son entrée dans l’hémicycle sous la bannière du NFP.
Militant engagé pour le bio
Benoît Biteau affiche aussi un beau parcours militant, tant au sein de la Confédération paysanne, où il s’est particulièrement mobilisé contre tous les projets d’irrigation, que dans diverses structures qui militent pour l’agriculture bio.
Ainsi, de 2015 à 2020, il est parrain de la Fondation Ekibio, une fondation d’entreprise finançant des projets d’ONG écologistes qui a été créée par Didier Perréol, pionnier dans l’importation de quinoa en France. En 2016, sa ferme adhère à Générations Futures, le bras armé du lobby du bio, et en 2018, il devient administrateur du Criigen, l’association anti-OGM créée par Corinne Lepage et Gilles-Éric Séralini. Plus récemment, en février 2021, il rejoint la campagne « Secrets Toxiques » qui, sur la base d’une étude de Gilles-Éric Séralini, prône une remise en cause des systèmes d’évaluation des pesticides, en Europe comme en France.
Enfin, il a témoigné à plusieurs reprises en faveur des Faucheurs Volontaires d’OGM, cautionnant les saccages perpétrés par les commandos anti-OGM, et se revendique membre des Soulèvements de la Terre (SLT), « car je suis convaincu que la désobéissance civile est parfois nécessaire pour faire avancer les grandes causes ». Quant aux violences commises lors des actions organisées par les SLT, Benoît Biteau les condamne et « dénonce l’infiltration de ces groupuscules, par ces casseurs. Bien sûr qu’on condamne leurs agissements. ». Alors que, comme le souligne fort justement la députée écologiste Delphine Batho, « il n’y avait aucun doute sur l’intention des organisateurs d’aller à l’affrontement ». Le comble, c’est qu’en janvier 2024, Biteau déclarait sur BFMTV que si les agriculteurs veulent préserver leur « capital sympathie », « il faut que [leurs] modes opératoires ne choquent pas » la population…
Infox à gogo
Grand habitué des plateaux de télévision, Benoît Biteau apparaît comme une figure du monde des « vérités alternatives », tant ses affirmations diverses sur les questions agricoles, entre autres, sont en décalage criant avec la réalité. Ainsi, en septembre 2020, au moment où les betteraves sont touchées par la jaunisse, le député écologiste assure que certaines cultures de betteraves sont moins attaquées par la maladie au motif qu’elles sont conduites… en bio. Dans l’émission « Dimanche en politique », il prend l’exemple d’un agriculteur bio : « Il arrive à produire de la betterave sans néonicotinoïdes et sans jaunisse, donc pas de pucerons, c’est parce qu’il a recréé un écosystème agricole qui fait que parce qu’il n’utilise pas de pesticides, il n’a pas tué non plus les prédateurs du puceron. » Sauf que, comme le rapportera plus tard Ouest-France, la moitié des surfaces de betteraves en bio ont été perdues à cause de la jaunisse : « Seulement 3 000 tonnes [de sucre bio ont été produites] en 2020 à cause de la jaunisse qui a sévi durement en Champagne et Loiret (20 000 tonnes de betteraves récoltées au lieu de 40 000 tonnes). » Confronté à ce constat, Benoît Biteau n’hésite pas alors à faire machine arrière, en prétendant n’avoir jamais dit que les betteraves bio étaient moins attaquées par la jaunisse…
Même mauvaise foi dans le dossier des OGM. Vent debout contre la proposition législative de la Commission européenne pour alléger les contraintes pour les plantes obtenues avec les nouvelles techniques d’amélioration génétique, il fustige les OGM. Et quand on rappelle que certains OGM, ceux obtenus par mutagenèse et par fusion cellulaire, sont autorisés en agriculture biologique, un fait reconnu même par la Confédération paysanne ou la Fédération nationale d’agriculture biologique, il persiste à dire que « les OGM sont rigoureusement interdits en bio ». Et pourtant le député ne manque jamais une occasion pour dire qu’il est « scientifique » et « généticien de formation » et qu’il a « travaillé sur OGM et clonage ».
Mais c’est la fameuse salade à 27 euros qui illustre parfaitement la façon dont Benoît Biteau peut énoncer une contrevérité manifeste, et persister obstinément dans son erreur.
Biteau raconte des salades à 27 euros
Selon Benoît Biteau, si l’on prend en compte les externalités négatives, l’agriculture conventionnelle coûterait beaucoup plus cher au consommateur que l’agriculture bio. Et d’affirmer que le véritable prix d’une salade conventionnelle ne serait pas de 1 euro mais de 27 euros !
Ce prix exorbitant serait dû au coût du traitement et des investissements nécessaires pour obtenir une eau de qualité. Le député explique ainsi que, pour améliorer la qualité de l’eau, la ville de Munich avait décidé en 1991 de verser des aides pour la conversion au bio, plutôt que d’engager des investissements dans une usine de potabilisation. Ces aides ont occasionné une hausse de 1 centime par mètre cube d’eau, alors que le traitement de l’eau par une usine de potabilisation aurait entraîné une hausse de 17 à 27 centimes. Comme le traitement de l’eau est 17 à 27 fois plus cher que les aides au bio, Biteau en déduit – à tort – que le prix d’une salade conventionnelle est 17 à 27 fois plus élevé que celui d’une salade bio. Et il va jusqu’à ajouter que tous « les produits issus de l’agriculture conventionnelle coûtent 27 fois plus cher ».
La fameuse salade à 27 euros illustre parfaitement la façon dont Benoît Biteau peut énoncer une contrevérité manifeste, et persister obstinément dans son erreur
Si Biteau ne se trompe pas dans les chiffres cités, il se trompe, en revanche, dans sa méthode de calcul, ce qui n’est pas très heureux pour un membre de la commission économique de l’Assemblée nationale… Car, en prenant en compte les données de Biteau sur les externalités négatives liées à l’assainissement de l’eau, la salade conventionnelle à 1 euro coûterait en réalité 1,0026 euro et non 27 euros 1!
Quoique CheckNews, AFP Factuel et même une agroécologiste de l’Institut de l’agriculture et de l’alimentation biologiques aient remis en question ces 27 euros, jugeant cette estimation contestable et « problématique », et que les estimations de la FAO sur le sujet soient nettement inférieures, Benoît Biteau n’en continue pas moins à propager sa vérité alternative. En enchaînant, en guise de réplique à ses contradicteurs, les adages du genre « à la vérité qui dérange, vous avez tendance à préférer l’illusion qui rassure » ou « quand le sage montre la lune, l’idiot regarde le doigt ».
Contre « l’injection “vaccin” OGM »
« Je ne suis ni parano, ni complotiste, ni conspirationniste, ni antivax, je suis généticien spécialiste de ces sujets, c’était mon métier avant de devenir paysan », répondait avec autorité Benoît Biteau, en mars 2021, à une internaute « déçue » de l’opposition de l’élu écologiste à la vaccination anti-Covid. Car, comme l’a révélé A&E (voir l’article : « Le couple Biteau contre “l’horreur nazie” de la vaccination anti-Covid »), Benoit Biteau s’est toujours opposé à ce qu’il appelait une « injection “vaccin” OGM », non sans assurer qu’il n’avait rien contre les vaccins « traditionnels ».
Ainsi, il a diffusé le discours complotiste d’Idriss Aberkane, qu’il affirme « apprécier énormément », et celui de son ami Christian Vélot, à l’époque également membre du Criigen, qui est connu pour ses positions vaccinosceptiques polémiques. Pour Benoît Biteau, le vaccin à ARN messager n’est rien de moins qu’un « vaccin bâti sur la technologie OGM qui modifie ton ADN et ta descendance ».
Mais pour entrer tout à fait dans la quatrième dimension, il faut consulter la page Facebook de sa ferme, l’EARL Val de Seudre Identi’Terre, présentée comme la vitrine de son projet agricole.
Pour Biteau, le vaccin à ARN messager n’est rien de moins qu’un « vaccin bâti sur la technologie OGM qui modifie ton ADN et ta descendance »
À l’initiative de sa femme, Stéphanie Muzard, les messages stigmatisant la campagne de vaccination, comparée notamment à « l’horreur nazie », se sont multipliés, avant d’être finalement, pour la plupart, supprimés. On pouvait lire des textes du type : « Avec des vaccins à l’ARN crispr cas 9 OGM donc empoisonnement des populations avec une technique qui changera l’ADN de vous, de vos enfants, petits-enfants avec mutation génétique sur l’HUMAIN!!!!!! Sans consentement libre et éclairé!!!!! » Et d’ajouter : « Mais en plus, le pseudovaccin et les criminels big pharma lobby nano et tech ont magouillé avec leurs serviteurs macronistes nos lois pour nous défoncer la santé, nos droits fondamentaux et nos vies !!!! À part ça, on n’a pas encore essayé la dictature, DUCON ! (…) il faut éjecter du pays ces députés en marche et ceux qui donnent une majorité et autorisent cette HORREUR NAZIE++++ ! ! ! ! » Y figuraient par exemple des messages provenant de la nébuleuse antivax, comme un entretien de la très controversée Alexandra Henrion-Caude sur la webtélé d’extrême droite TV Libertés, des articles de promotion du film Hold-up, ou encore des « révélations » de maître Di Vizio.
Idem sur la page Facebook du groupe local EÉLV animé par le couple Biteau (désormais en accès privé), où l’on trouvait relayée, en 2022, une pétition demandant la destitution du président Macron, pour « tentative de génocide par obligation d’utilisation de produits non réglementés ».
Interrogé sur ces contenus quelque peu problématiques, Benoît Biteau n’a jamais souhaité répondre. Si ce n’est lors d’un échange sur X en juillet 2024, où le député se défend en se déclarant littéralement victime d’une opération de piratage. « Des lobbyiste[s] ont piraté nos outils de communication pour en maîtriser le contenu & ensuite faire des articles destructeurs. Les preuves sont aujourd’hui aux mains de la justice », écrit-il ainsi. Sérieusement ?
note
1) Avec un prix de base de l’eau à 4 euros le mètre cube, le coût final de l’eau, incluant le coût des externalités selon les montants indiqués par Biteau, serait de 4,27 euros pour l’agriculture conventionnelle. Soit une hausse d’environ 6,5% sur la facture totale d’eau. Or, selon Jean-Claude Guehennec, vice-président de Légumes de France, le coût de l’irrigation pour une salade oscille entre 0,01 et 0,07 euro, en fonction de divers facteurs comme le mode de production ou les conditions climatiques. En prenant un coût moyen de 0,04 euro, il faut donc appliquer une hausse de 6,5 % à cette somme de 0,04 euro pour inclure le surcoût de l’assainissement, résultat : 0,0026 euro. La salade conventionnelle à 1 euro coûterait donc 1,0026 euro en incluant les externalités négatives liées à l’eau.->