Jean-Marc Jancovici et The Shift Project, son think tank, souhaitent séduire le monde agricole avec leur rapport Pour une agriculture bas carbone, résiliente et prospère. Toutefois, cette démarche s’inscrit dans une logique décroissante, jugée « inéluctable »
À la fin novembre, The Shift Project, un think tank fondé et présidé par Jean-Marc Jancovici, a rendu publics un rapport Pour une agriculture bas carbone, résiliente et prospère ainsi qu’une « Grande Consultation des Agriculteurs », qui s’inscrivent dans son projet de transformation du système agricole, que le fameux polytechnicien considère indispensable « pour répondre aux contraintes physiques qui le conditionnent ».
« Il est gentil, ce monsieur, comme si on n’y avait pas pensé ! », ironise sur X l’éleveur Vincent Beaulaton, tandis qu’un autre internaute commente : « On a fait une consultation pour conclure que les gens doivent payer leur alimentation plus cher ! » La belle affaire, en effet !
S’agissant des traités tels que le Mercosur, Jancovici n’apporte pas davantage d’idées très novatrices, puisqu’il ne fait que reprendre à son compte les objections contre la concurrence déloyale que subissent les agriculteurs. Ce discours le campe même comme une personnalité pragmatique face aux idéologues de l’écologie politique. Son approche a ainsi le don d’agacer les partisans de la nébuleuse écologiste, comme en témoigne une tribune publiée dans Reporterre au titre révélateur : « Jancovici : une imposture écologique ? », qui l’accuse essentiellement de défendre « le système économique et politique responsable de la crise écologique que nous vivons ».
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Or, la distinction entre le postulat de départ de Jancovici et celui des écologistes radicaux est en réalité aussi mince qu’une feuille de papier à cigarette, puisque tous s’accordent sur le point que la décroissance est inéluctable.
La distinction entre le postulat de départ de Jancovici et celui des écologistes radicaux est aussi mince qu’une feuille de papier à cigarette, puisque tous s’accordent sur le point que la décroissance est inéluctable
« La décroissance est aussi inexorable que le fait que je vieillisse. Et aussi sympathique, ou peu sympathique, selon la façon qu’on va avoir de la gérer », explique le polytechnicien, qui s’inscrit parfaitement, tant sur la forme que le fond, dans la droite ligne du Club de Rome et de son rapport Halte à la croissance ? publié en 1972.
Club de Rome et Malthus
Tout comme le fait aujourd’hui Jean-Marc Jancovici, les auteurs de ce rapport affirmaient à partir d’éléments factuels et scientifiques que la croissance économique et démographique allait conduire la planète à l’effondrement. Néanmoins, le temps leur a donné tort sur l’ensemble de leurs prévisions.
Ce qui n’empêche pas Jancovici de reprendre leurs conclusions, en expliquant ainsi que « la planète n’acceptera pas d’avoir 10 milliards d’habitants sur Terre ad vitam æternam vivant comme aujourd’hui ». Et d’affirmer : « La seule question, c’est comment va se faire la régulation. Ou bien on essaie de la gérer au moins mal nous-mêmes, ou bien ça se fera de manière spontanée par des pandémies, des famines et des conflits. »
De même, il est convaincu de la nécessité de baisser le pouvoir d’achat, arguant que « tous les modèles qui intègrent la physique dans l’économie vous montrent qu’après la croissance, il y aura de la décroissance ».
Si l’aplomb de son discours et son maniement habile de la rhétorique rendent assurément ses propos séduisants, Jancovici commet cependant une erreur de taille en ignorant les ruptures technologiques que la science apporte à l’humanité. On s’étonne d’ailleurs qu’un brillant polytechnicien ne raisonne qu’en procédant à des extrapolations linéaires, quand la réalité de l’évolution du monde est constituée de ruptures non linéaires. Ainsi, dans le domaine énergétique, le pétrole a apporté une rupture radicale, comme pourra le faire demain l’énergie nucléaire, notamment avec les réacteurs de seconde génération de type Astrid, ou plus tard avec la maîtrise de la fusion thermonucléaire.
De même, si la chimie a apporté à l’agriculture sa première grande révolution, les progrès concomitants du numérique, de la robotique et des biotechnologies feront inévitablement naître une série de modèles agricoles pluriels, mais bien à l’opposé de celui que prônent les adeptes de la décroissance. Et surtout des modèles qui seront parfaitement capables de s’affranchir de ces fameuses « contraintes physiques » dans lesquelles Jancovici veut enfermer l’agriculture…