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Sortir l’Anses de la tourmente judiciaire

Alors que ses avis sont largement contestés par les associations antipesticides, l’Anses se retrouve régulièrement condamnée par des magistrats qui récusent son expertise scientifique. Une situation intenable à long terme et qui met en cause la crédibilité de l’agence

Après avoir œuvré sans relâche en 2015 pour que soit dévolue à l’Anses la délivrance des autorisations de mise sur le marché des pesticides (AMM), décision qui relevait alors du ministère de l’Agriculture, les associations antipesticides, avec Générations Futures à leur tête, n’ont eu de cesse de contester les avis de l’agence et de remettre en cause son intégrité.

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« L’Anses fait partie du lobby des pesticides », affirmait ainsi dans Reporterre Fabrice Nicolino, auteur, en collaboration avec François Veillerette, le patron de Générations Futures, du livre Pesticides, révélations sur un scandale français. Le journaliste de Charlie Hebdo, estimant que « le mal est à l’intérieur de l’agence, constitutif, consubstantiel », avançait alors que « la seule solution est une dissolution suivie d’une création, avec le concours de la société civile, d’une agence radicalement indépendante ». Des accusations qui reviennent régulièrement dans la presse, comme en témoigne, par exemple, le communiqué émis par Générations Futures le 27 mars 2024, prétendant que l’Anses a « gardé secret depuis 2016 » un rapport sur la génotoxicité du glyphosate.

À l’appui de sa campagne de dénigrement, la nébuleuse antipesticides a lancé contre l’Anses, il y a déjà pas mal d’années, une guerre juridique pointant toujours le même grief : l’agence ne procéderait pas correctement à l’évaluation scientifique des risques.

Cet argument figurait encore récemment au cœur de la plaidoirie de Guillaume Tumerelle, l’avocat du collectif Secrets Toxiques, dans le contentieux porté devant le Conseil d’État pour analyser un arrêté concernant la procédure française sur les AMM. « Il était plus précisément reproché à l’Anses de ne pas procéder à une évaluation des effets cumulés et synergiques du produit commercialisé – qui diffère de la matière active – sur la santé humaine », a expliqué l’avocat, qui a vu ses conclusions rejetées par le Conseil d’État.

Comble de l’absurde, moins d’un mois plus tard, le 28 février 2025, l’Anses a été condamnée par la cour d’appel de Marseille pour avoir évalué deux produits à base de sulfoxaflor, justement… « sans tenir compte de la formulation globale des produits phytopharmaceutiques » !

La nébuleuse antipesticides a lancé contre l’Anses une guerre juridique estimant que l’agence ne procéderait pas correctement à l’évaluation scientifique des risques

Non seulement les magistrats ont ignoré l’avis du Conseil d’État, mais ils ont estimé que la méthodologie d’évaluation de l’Anses « n’a pas permis d’établir de manière suffisamment concrète et précise que l’utilisation des deux produits phytopharmaceutiques dans les conditions prévues n’aurait pas d’effet inacceptable, notamment à long terme, sur les larves d’abeilles, le comportement des abeilles ou la survie et le développement de la colonie ».

— Lire aussi : La procédure française d’AMM des pesticides validée par le Conseil d’État

Le fin mot de l’histoire, c’est que l’Anses est tout simplement tombée dans un piège diabolique !

Une décision qui a été immédiatement saluée par l’Union nationale de l’apiculture française (Unaf) à l’origine du contentieux. « Cette décision remet clairement en cause la méthode d’évaluation théorique et lacunaire de la toxicité, communément admise par l’Anses », insiste le syndicat, tandis que son avocat Bernard Fau prédit que l’arrêt de la cour administrative de Marseille devrait conduire à « un aggiornamento » des méthodes d’évaluation de l’Anses.

Il est donc pour le moins surprenant que ces mêmes associations, qui se montrent si critiques quant à l’évaluation scientifique de l’Anses, persistent à vouloir que l’agence conserve sa mission de délivrance. Ainsi, dans une tribune publiée dans Le Monde le 19 février, François Desriaux et Béatrice Collin, qui siègent au sein du deuxième collège de l’Anses au titre de représentants d’une association de victimes de l’amiante, s’insurgeaient contre la proposition, pourtant bien modérée, portée par le Sénat, de création d’un « conseil d’orientation pour la protection des cultures », estimant que son but serait « clairement de gêner la liberté de manœuvre de l’Anses ». On est pourtant très loin de vouloir retirer à l’Anses son mandat sur la délivrance des AMM, puisqu’ « il ne s’agit en aucune manière de remettre en cause l’indépendance de l’évaluation scientifique de l’Anses », mais bien de définir les usages de protection des cultures considérés comme « prioritaires » pour répondre aux besoins du monde agricole, a expliqué le sénateur Vincent Louault (Horizons). Il est vrai cependant que la nature même des procédures mises en place pour l’évaluation nécessiterait quelques aménagements, parfaitement possibles, afin de la rendre plus souple et plus fluide sans que baissent pour autant les critères sur la protection de la santé des consommateurs et de l’environnement.

Le piège diabolique

Comment donc expliquer ce paradoxe de la part du monde de l’écologie, tout à la fois sévère sur les avis de l’Anses et partisan du statu quo ? Le fin mot de l’histoire, c’est que l’Anses est tout simplement tombée dans un piège diabolique!

Lors de la création de l’ancêtre de l’Anses, l’Afssa (Agence française de sécurité sanitaire des aliments), en 2005, l’État souhaitait se doter d’une agence indépendante, conçue comme un outil d’expertise au service de la Nation. Un organisme qui permette aux responsables politiques d’enregistrer leurs décisions sur une expertise scientifique, mais aussi à l’administration judiciaire, le cas échéant, de saisir l’agence afin d’avoir un éclairage scientifique indépendant. L’Afssa, et ensuite l’Anses, avait ainsi le rôle de « juge de paix scientifique » dans des litiges dont elle n’était jamais partie prenante, contrairement aux différents ministères (de la Santé ou de l’Agriculture) qui pouvaient être mis en cause.

Or, depuis son transfert de compétences opéré en 2015, sa fonction a été radicalement modifiée puisque, désormais, l’Anses est descendue dans l’arène et ne peut plus, par conséquent, se prévaloir de son rôle d’arbitre scientifique.

Depuis son transfert de compétences opéré en 2015, sa fonction a été radicalement modifiée puisque, désormais, l’Anses est descendue dans l’arène et ne peut plus se prévaloir de son rôle d’arbitre scientifique

Dès lors, les contentieux n’opposent plus uniquement associations et ministères, mais mettent face à face des associations militantes et l’Anses, qui de facto a perdu son autorité de compétence. Ce qui a toujours été l’objectif non avoué de la nébuleuse antipesticides, qui fait ainsi d’une pierre deux coups : affronter directement l’Anses pour mieux décrédibiliser son expertise jugée toujours trop laxiste, et priver les magistrats de l’expertise de la seule agence au service de l’État, pourtant indispensable dans des dossiers scientifiques complexes. Et le comble de l’absurde est atteint lorsque des magistrats, qui n’ont pas les compétences scientifiques requises, se prononcent de façon négative sur la qualité scientifique du travail de l’Anses, sachant que l’agence a été fondée précisément pour… éclairer la justice !

Mais ce n’est pas tout. En recevant la charge de délivrer des AMM, l’Anses a été contrainte de sortir de son domaine de compétence, pour inclure dans son travail une partie législative, qui n’était pas de son ressort et dans laquelle elle manifeste visiblement quelques lacunes. Ce qui peut l’exposer à des bévues, comme en témoigne sa condamnation par le tribunal administratif de Lyon, le 11 février 2025, dans l’affaire de l’herbicide Pledge/Rami.

Le 6 décembre 2024, l’agence lui avait retiré l’AMM, alors même que cette spécialité commerciale le conservait dans la zone sud, dont la France fait partie, suite à son renouvellement par l’État membre instructeur, à savoir la Grèce, et cela jusqu’en… 2037 ! Le tribunal administratif de Lyon a ainsi provisoirement rétabli son AMM en France dans un référé déposé par la Fédération nationale des producteurs de fruits, l’association spécialisée de la FNSEA.

Il ressort clairement d’une lecture attentive du jugement que l’erreur de l’Anses est due à sa méconnaissance du droit et non pas à une lacune scientifique. Car les juristes de l’Anses ont interprété de façon erronée l’article 36, paragraphe 3, deuxième alinéa, du règlement européen N°1107/2009 traitant de la mise sur le marché des pesticides. Cet article stipule qu’un État membre – la France, en l’occurrence – peut déroger à l’évaluation de l’État rapporteur – la Grèce, dans le cas du Pledge/Rami – uniquement si deux conditions cumulatives sont remplies : d’une part, que l’État membre ait identifié « un risque inacceptable pour la santé humaine ou animale ou pour l’environnement », et d’autre part, que l’État rapporteur n’ait pas spécifiquement répondu aux observations de l’État membre. Or, dans le cas du Pledge/Rami – mais certainement aussi dans le cas d’autres matières actives –, ces deux conditions n’étaient pas réunies, ce qui a conduit le tribunal à invoquer un « doute sérieux » sur la légalité juridique du refus de renouvellement de l’Anses. Les magistrats ont par ailleurs souligné que la condition d’urgence était remplie vis-à-vis des risques pour la filière et ont insisté sur le fait que cette décision entraînait des distorsions de concurrence. « Il résulte de l’instruction que la fin de la commercialisation des produits Pledge et Rami est de nature à avoir des conséquences importantes pour les exploitants agricoles utilisant ces produits, tant en termes techniques qu’en matière de compétitivité et d’usage de solutions phytosanitaires », a indiqué le tribunal.

Dans ce cas, c’est moins l’expertise scientifique de l’Anses que son interprétation d’un règlement juridique ainsi que les conséquences économiques consécutives à son interdiction qui ont été remises en cause pour motiver le verdict. « Cette affaire, qui représente une véritable claque pour l’Anses, pourrait bien faire jurisprudence pour des affaires à venir », note un expert proche du dossier interrogé par A&E. Il est donc urgent de sortir l’agence de cette tourmente juridique intenable, qui porte un discrédit général sur son travail, en lui retirant son mandat sur la délivrance des AMM pour mieux renforcer sa mission initiale d’expertise scientifique.

« Cette affaire, qui représente une véritable claque pour l’Anses, pourrait bien faire jurisprudence pour des affaires à venir », note un expert proche du dossier

Cette première étape permettrait à l’Anses de retrouver toute sa liberté de conseil, sans craindre de devoir faire face à de multiples et interminables procédures judiciaires, qui, au final, ne font que porter atteinte à sa réputation en discréditant ses expertises.

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