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Gaucho et Poncho sont sur un bateau…

Gaucho et Poncho sont sur un bateau ; Gaucho tombe à l’eau. Que reste-t-il ? Rien. Car dans son élan, Gaucho a fait plonger avec lui Poncho, Régent, Cruiser et autres traitements de semences de nouvelle génération ! « Mais le Gaucho n’est pas du tout coulé », rétorque Jean-Charles Bocquet, directeur général de l’Union des industries de la protection des plantes (UIPP). « Nous attendons la décision concernant son inscription sur l’annexe 1 de la directive européenne, qui est programmée d’ici un an », déclare-t-il. Pour lui, les dossiers du Gaucho et du Poncho (deux produits fabriqués par Bayer CropScience) suivent d’ailleurs chacun leur propre chemin. « Si le Gaucho a été suspendu pour son utilisation sur maïs et tournesol en France, il reste autorisé dans les autres pays européens. C’est également le cas du Poncho », rappelle Jean-Charles Bocquet. Le processus d’examen au niveau communautaire du nouveau produit de Bayer ne devrait cependant pas aboutir avant la fin de l’année 2006. Ce qui fait que le Poncho ne pourrait être utilisé au mieux avant la saison de l’été 2007.

Le problème se pose donc pour l’été 2006. Or, le temps presse et les responsables d’usines de traitements de semences commencent à s’impatienter. « Il nous faut une réponse avant la fin de l’année, pour préparer dans les meilleures conditions les semences de la prochaine saison », avertit Philippe Gracien, porte-parole des professionnels des semences et de la production des plantes. D’où une certaine agitation dans les couloirs ministériels. En effet, les autorités françaises peuvent parfaitement accorder une autorisation de mise sur le marché provisoire (AMM-P) à la clothianidine, la substance active du Poncho. Elles peuvent également attendre la décision européenne concernant le Régent TS de BASF Agro, prévue au plus tard pour le début de l’année 2006.

Lobbying contre lobbying

Depuis septembre 2005, l’ensemble des acteurs concernés par les traitements de semences – firmes, semenciers, filières végétales, instituts technique comme Arvalis ou le CETIOM, et la distribution – ont décidé de communiquer sur le thème de la protection des semences, à travers la publication d’une lettre bimestrielle destinée aux « décideurs politiques ». Cette forme de lobbying sera-t-elle suffisante pour convaincre ? Rien n’est moins sûr, car du côté des apiculteurs, l’heure est toujours au combat.

Dès la fin septembre, la Coordination apicole s’est en effet remobilisée, alors qu’elle était moribonde depuis la mainmise de Me Fau – l’avocat de l’Union nationale de l’apiculture française (Unaf) – sur le dossier Gaucho-Régent. « Suite à l’intervention de M. Dominique Bussereau au Congrès de l’Association générale des producteurs de maïs (AGPM), j’ai bien compris que le ministre allait nous préparer l’autorisation pour le Poncho », nous a confié Philippe Vermandere, l’un des leaders de la Coordination. Devant un parterre de plusieurs centaines de maïsiculteurs en panne de protections phytosanitaires, le ministre de l’Agriculture a effectivement promis de « prendre pour la campagne 2006 une décision en procédure d’urgence après l’avis que rendra le Comité d’homologation en octobre prochain ». Les mots étaient pesés, et tout le monde a bien compris qu’il ne pouvait s’agir que d’une AMM-P pour le Poncho-Maïs, les autres mesures – comme l’accord d’une dérogation pour le Dotan, un insecticide organo-phosphoré à base de chlormephos, utilisé par épandage – ne requérant aucune procédure d’urgence.

Craignant une décision imminente, Philippe Vermandere a rapidement mobilisé la Coordination apicole. « J’ai moi-même proposé dans l’urgence un dossier technique, lors d’une réunion de la Coordination début octobre », poursuit-il. Le mardi 11 octobre, son dossier de cinq pages est adressé à Joël Mathurin, sous-directeur de la Protection des végétaux et président du Comité d’Homologation. Le même jour, les services du ministère de l’Agriculture prennent contact avec l’apiculteur vendéen pour recevoir une délégation de la Coordination. Le rendez-vous est fixé au vendredi suivant. Visiblement, rue de Varenne, il y a urgence. Accompagné de Jean Sabench, apiculteur de la Conférération paysanne et membre de la Coordination apicole, et d’Alain David, de l’Unaf, Philippe Vermandere « monte » à Paris. Pressé de rendre un avis au ministre, Joël Mathurin invite les trois apiculteurs à participer à une réunion avec l’AGPM et Bayer, « pour se mettre à table et arriver à un compromis » ; proposition que les trois représentants de la Coordination rejettent sans l’ombre d’une hésitation. En revanche, Philippe Vermandere fait bien comprendre à son interlocuteur qu’il ne laissera en aucun cas passer une décision favorable au Poncho, qui représente selon lui « une menace sur la santé de l’homme et de l’animal ». Message parfaitement enregistré par Joël Mathurin. Pour le fonctionnaire, la messe est dite. C’est en tout cas ce que croit comprendre Philippe Vermandere. L’apiculteur est conforté dans son point de vue par le récit de son ami Jean Sabench, suite à la rencontre entre une délégation de la Confédération paysanne et Dominique Bussereau, le jeudi 17 novembre 2005. Le ministre aurait alors déclaré qu’il a décidé de « geler le Poncho-Maïs » et de saisir l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) sur la question. Comme cet avis ne pourra être rendu avant plusieurs mois, la prochaine campagne agricole devra donc se passer du Poncho, se félicite Philippe Vermandere.

Tentative de récupération

Ayant eu vent de l’affaire, le Mouvement pour les droits et le respect des générations futures (MDRGF) -la vitrine « association-citoyenne » de François Veillerette – s’est empressé de reprendre à son compte le combat contre le Poncho. Utilisant la feuille argumentaire de Philippe Vermandere, François Veillerette a lancé dès le début novembre une « cyberaction » et rédigé un communiqué, dans lequel il reprend à son compte la théorie villiériste d’un ministère de l’Agriculture à la solde « de la filière agricole ». Au fil d’un semblant d’argumentation technique, le militant anti-pesticides explique que « les normes européennes n’autorisent pas l’usage de produits dont la persistance dans le milieu terrestre excède 90 jours. » Argument parfaitement fallacieux, puisque la Directive européenne 91/414 – qui régit la mise sur le marché des produits phytosanitaires dans le cadre de l’Union – a fixé une valeur-critère de 90 jours maximum uniquement pour déterminer si une substance doit être considérée comme non persistante. Si tel n’est pas le cas – comme pour la clothianidine -, la réglementation européenne exige la réalisation d’études supplémentaires. Cette procédure a été respectée par le fabricant du Poncho. Ceci a d’ailleurs permis à plusieurs pays européens comme l’Autriche, l’Allemagne, la Pologne et la Grande-Bretagne, d’accorder une AMM-P au Poncho-Maïs, en toute conformité avec la législation européenne. Il est vrai que nos voisins gèrent les problèmes apicoles d’une tout autre façon. Ce qu’omet de préciser François Veillerette…

En dehors d’une courte dépêche de l’Agence France Presse (AFP), reprise essentiellement par Eliane Patriarca de Libération, toujours à l’affût des propos du président du MDRGF, la mobilisation de ce dernier n’a pas eu beaucoup d’écho dans les médias. Avec à peine 2000 signatures, la cyberaction du MDRGF n’est pas davantage une réussite. Cette petite agitation permet néanmoins à François Veillerette de claironner que « si [le MDRGF] n’avait pas bougé, la décision [d’autoriser le Poncho sur maïs] serait déjà prise » – et bien entendu, de se féliciter du résultat.

Contacté à ce sujet par la rédaction d’A&E, le ministère de l’Agriculture assure de son côté que rien n’a encore été décidé, dans un sens ou dans l’autre. « A la connaissance de la Direction générale de l’alimentation (DGAL), le ministre n’a pas demandé à ce jour [le 1er décembre 2005] de saisine à l’Afssa sur le Poncho-Maïs », nous a affirmé Catherine Laval, du service Communication du ministère. Ses propos contredisent l’information véhiculée par la Confédération paysanne dans un communiqué de presse daté du 24 novembre.

Cependant, à force de tergiverser, ce sont les maïsiculteurs qui risquent de se retrouver au mieux avec une nouvelle dérogation pour utiliser le Dotan, au pire avec… rien ! Certes, il restera toujours les traitements à base de carbamates ; mais ceux-ci sont déjà inefficaces sur une bonne partie des quelque 400.000 hectares du sud de la France.

Tout ceci ne semble pas gêner la Coordination apicole, qui affirme que « les carbamates ont depuis 25 ans satisfait de très nombreux maïsiculteurs. » Comble de l’absurde, l’agitation de la Coordination et de ses alliés du moment risque fort d’entraîner l’utilisation de produits interdits dans le reste de l’Europe – les autorités communautaires les considérant comme trop nocifs pour l’environnement et bien plus toxiques pour l’homme que le Poncho, le Gaucho ou le Régent.

Dans cette affaire, la santé des agriculteurs français passe visiblement au second plan. Dans ces conditions, il est difficile de comprendre le silence pesant de la FNSEA sur ce dossier.

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