Un rapport publié par trois ONG tente de convaincre que le coût économique des pesticides serait, pour les consommateurs, de loin supérieur aux bénéfices. Une analyse reprise par plusieurs médias
Avec la volonté clairement affichée d’influencer la présidence française de l’Union européenne sur le dossier des pesticides, les associations CCFD-Terre Solidaire et Pollinis ont publié à la fin novembre 2021 un rapport intitulé Pesticides : un modèle qui nous est cher, réalisé par le Basic (Bureau d’analyse sociétale pour une information citoyenne).
Ces trois structures se proposent d’y « éclairer la dimension économique – encore peu explorée – de ce sujet », en particulier « sur les coûts réels générés par les pesticides et assumés par la société, qu’il s’agisse des soutiens publics perçus par le secteur ou des dépenses publiques liées aux impacts négatifs des pesticides ».
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Par le biais de ce rapport, les opposants aux pesticides entendent surtout brandir un nouvel argument de poids : les pesticides coûtent cher au citoyen. Un postulat qu’ils assurent fondé non pas sur un positionnement idéologique mais sur des faits avérés, en fournissant chiffres à l’appui.
Ainsi, d’après leurs calculs, en France, les dépenses publiques induites par l’utilisation des pesticides (fonctionnement de la réglementation, dépollution de l’eau, soins des maladies du travail…) dépassaient les 372 millions d’euros en 2017. Et de souligner que « cela représente près de deux fois plus que les bénéfices engendrés par ce secteur, qui se sont élevés à 211 millions d’euros en 2017 ». Du côté européen, les trois associations aboutissent aux mêmes conclusions. Dans une infographie, elles posent ainsi sur un plateau de la balance 2,3 milliards d’euros, correspondant au coût estimé des « impacts négatifs » des pesticides (coût carbone, dépollution de l’eau, traitements des maladies professionnelles, coûts de régulation) additionné aux aides publiques allouées au secteur, et dans l’autre plateau de la balance, 0,9 milliard d’euros, montant des bénéfices générés par ce secteur.
Certains médias, comme le quotidien Sud Ouest, la radio France Culture ou le site d’information Actu-Environnement, ont immédiatement repris ces chiffres ainsi que les éléments de langage diffusés par les trois associations, en martelant que « le secteur des pesticides coûte deux fois plus cher aux citoyens qu’il ne rapporte aux firmes qui les fabriquent et les commercialisent ».
Un facteur clé omis
Pour parvenir à leur conclusion, les trois associations ont sciemment omis un facteur clé, à savoir les bénéfices que les produits phytosanitaires apportent directement aux agriculteurs puis, indirectement, aux consommateurs. Seuls les bénéfices des produits phytosanitaires des entreprises du secteur ont été pris en compte dans leurs calculs.
Certains médias, comme le quotidien Sud Ouest, la radio France Culture ou le site d’information Actu-Environnement, ont immédiatement repris les éléments de langage diffusés par les trois associations
Cela relève d’une logique aussi absurde que celle qui consisterait à évaluer les bénéfices d’un vaccin en se limitant aux seuls bénéfices des entreprises pharmaceutiques qui le produisent. Et, pour charger encore la barque, les auteurs du rapport font même mention de dépenses « supplémentaires » de l’ordre de 106 milliards d’euros, qui seraient « en partie » attribuables aux pesticides (soutien public à l’agriculture, traitements des maladies de la population générale, mesures palliatives du traitement de l’eau, mesures de protection de la biodiversité, etc.).
Ils enregistrent également « les coûts sociétaux impossibles à estimer », en l’occurrence « recherche publique, pertes de vies humaines, effets environnementaux et sanitaires de l’incinération des déchets, consommation d’eau en bouteille par peur des résidus de pesticides, atteinte aux services écosystémiques, plans d’action nationaux pour les pollinisateurs, etc. ».
Or, une évaluation de tous les coûts engendrés par le secteur des phytos ne peut être pertinente que dans la mesure où elle prend en compte l’ensemble des bénéfices qu’ils procurent. Car, que ce soit en agriculture dite conventionnelle ou en agriculture biologique – que les auteurs du rapport ont décidé d’ignorer –, l’usage des produits phytosanitaires apporte des bénéfices considérables.
C’est ce qu’a souligné l’UIPP (Union des industries de la protection des plantes) : « Rappelons que ces solutions visent avant tout à protéger les cultures des dégâts causés par les plus de 10 000 bioagresseurs répertoriés en France. L’absence de protection des cultures conduirait à des conséquences majeures. Selon la FAO, 30 à 40% des récoltes seraient perdues. Dans le même temps, la baisse de production alimentaire conduirait immanquablement à une augmentation majeure des prix, réduisant encore l’accès à une alimentation saine et sûre.»
Les industriels du secteur se font plus précis encore : « Sur le strict plan de l’analyse économique, cette étude passe sous silence la valeur de la production agricole non détruite par les dégâts causés par les bioagresseurs. Elle représente pourtant l’élément clé d’analyse des bénéfices qu’apportent les solutions de protection des cultures pour le secteur agricole et pour chaque citoyen. Selon l’Insee, en 2019, les productions végétales françaises représentaient une valeur de 43,7 Mds €. Une perte de 30% des récoltes conduirait à une perte de valeur pour l’agriculture de plus de 13 Mds €… chaque année. » N’en a-t-on d’ailleurs pas eu récemment un exemple suffisamment convaincant, avec l’enveloppe de 80 millions d’euros nécessaire pour indemniser les betteraviers touchés en 2020 par la jaunisse alors que l’utilisation des néonicotinoïdes était interdite ?
L’alternative : la décroissance
Autant de faits que les auteurs du rapport ne peuvent assurément pas ignorer. Cependant, s’inspirant du travail de deux universitaires britanniques, Tim Benton et Rob Bailey, ils considèrent que le fait d’avoir de hauts rendements, notamment par l’usage de variétés de qualité dont le potentiel est préservé en partie grâce aux produits phytosanitaires, serait la source de nombreux impacts négatifs. Ils expliquent ainsi qu’« à mesure que les rendements céréaliers mondiaux ont augmenté, le nombre de personnes en surpoids et obèses a augmenté, et le gaspillage de nourriture a progressé encore plus rapidement », en établissant un lien de causalité pour le moins surprenant entre rendement et obésité. En conséquence de quoi, les auteurs du rapport ont « considéré que les bénéfices nets pour les consommateurs associés à l’utilisation des pesticides synthétiques sont presque impossibles à estimer étant donné les effets antagonistes de l’utilisation des pesticides, en particulier l’“effet rebond” des aliments bon marché en termes de surconsommation de produits alimentaires et les coûts de santé cachés dus aux maladies liées à l’alimentation ». Autrement dit, les pesticides de synthèse contribuent à de meilleurs rendements… ce qui serait, selon eux, problématique !
Or, selon des estimations compilées par l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), d’ici 2050, la production alimentaire devra augmenter de 60 % pour nourrir une population mondiale de 9,3 milliards d’individus. Pour faire face à ce défi alimentaire, les trois associations plaident pour « d’autres modèles agricoles et alimentaires, plus diversifiés et s’appuyant sur l’agroécologie », en se servant de deux « leviers clés » : « La lutte contre les pertes et gaspillages et les changements de régimes alimentaires (vers une réduction des produits issus de l’élevage). » En clair, les auteurs promeuvent l’adoption du programme écologiste de décroissance agricole. Une proposition qui n’est pas très étonnante au regard du pedigree des auteurs du rapport.
Car, si les commanditaires sont bien deux ONG militant contre les pesticides, « l’expertise » du rapport a été confiée au Basic, société coopérative qui a l’avantage de paraître plus neutre. Connu aussi sous le nom de « Bureau Satori », le Basic publie régulièrement des rapports dans lesquels il « analyse les modes de production et de consommation, leurs impacts sociaux et environnementaux, et évalue les coûts sociétaux liés à ces impacts ».
Un bureau d’étude engagé
Ainsi, par exemple, le Basic a publié en février 2021 une Étude des financements publics et privés liés à l’utilisation agricole de pesticides en France pour le compte de la Fondation Nicolas Hulot pour la nature et l’homme. Ou encore, en septembre 2021, une Étude de démarches de durabilité dans le domaine alimentaire à la demande du WWF France et de Greenpeace France. Sur son site, l’objectif est d’ailleurs clairement affiché : « Nourrir les campagnes de plaidoyers des ONG françaises et internationales. » Autrement dit, le Basic s’emploie principalement à fournir des outils de lobbying pour les ONG de la nébuleuse écologiste et altermondialiste. Créé en 2013 par Christophe Alliot et Sylvain Ly, deux anciens de l’ONG Max Havelaar France qui gère le label du commerce équitable Fairtrade/Max Havelaar, le Basic n’a donc rien d’un bureau d’études indépendant et objectif. Dans le cadre de son sociétariat, il entretient « des relations partenariales et collaboratives avec le monde associatif et syndical, le monde universitaire, les médias et le monde professionnel ». Il a en particulier un lien étroit avec la Fondation Charles Léopold Mayer pour le progrès de l’homme (FPH), connue pour ses activités de soutien à de nombreuses ONG de la mouvance écologiste, d’autant plus étroit que le bureau du Basic est situé au siège même de cette fondation. On répertorie en outre, parmi ses associés actionnaires, des représentants de différentes structures financées par la FPH : l’Institut Veblen (260 000 euros en 2019), Alter médias-Bastamag (105 000 euros en 2019), Sciences Citoyennes (155 000 euros en 2018), Banana Link (100 000 euros en 2019), Ingénieurs sans Frontières (60 000 euros en 2019).
Un schéma familier
Le Basic a reçu directement des subventions de la FPH dès sa création et continue à en recevoir (environ 85000 euros entre 2016 et 2019). Il ne survit d’ailleurs pas grâce à ses prestations de services puisque, sur ces six dernières années, il a reçu plus de 840 000 euros de subventions d’exploitation, représentant 45 % de ses recettes. Une fois de plus, on se trouve confronté à un schéma familier.
Déjà, en 1999, sous l’impulsion de la FPH, l’association Inf’OGM avait été créée afin de fournir aux associations militantes des outils de lobbying contre les OGM sous couvert d’une apparence de neutralité. De nouveau, toujours avec le soutien de la FPH, le Basic, sous des allures d’expertise indépendante et neutre, constitue une structure au service des ONG militantes. Une stratégie assurément gagnante puisqu’à chaque fois, certains médias se laissent berner, en reprenant l’essentiel du discours délivré sans y apporter les nuances indispensables.