AccueilApicultureEtude préliminaire sur les mortalités d'abeilles en Belgique

Etude préliminaire sur les mortalités d’abeilles en Belgique

Comme en France, de nombreux apiculteurs belges constatent que leurs abeilles ont le bourdon. Depuis plusieurs années, certains d’entre eux tirent la sonnette d’alarme. Ce qui a conduit l’ancien ministre de l’Agriculture de la région wallonne, José Happart (PS), à commanditer en 2004 une étude multifactorielle, réalisée par une équipe de chercheurs de la Faculté universitaire des sciences agronomiques de Gembloux. Les travaux, qui portent sur le bilan sanitaire de 1.275 ruches wallonnes, ont été confiés au professeur Eric Haubruge, de l’unité d’Entomologie fonctionnelle et évolutive. Un rapport intermédiaire a été rendu public fin septembre 2005.
Explications par Bach Kim Nguyen , chargé de recherches.

Pouvez-vous dresser un état des lieux de l’agriculture et de l’apiculture en Belgique ?

Dans le contexte qui nous importe ici, c’est-à-dire le contexte apicole, les principales différences entre l’agriculture en Belgique et en France se situent essentiellement au niveau de la taille des superficies agricoles utilisées, de la dimension des parcelles de cultures, de l’absence de tournesol et de la surface des cultures traitées au Gaucho.

En 2003, parmi les exploitations recensées en Belgique, les classes de superficies comptant moins de 50 ha représentent en effet près de 68 % du total des exploitations. Les exploitations de plus de 50 ha représentent environ 516.000 ha, soit plus ou moins 68 % de la superficie, pour 32 % des exploitations. En revanche en France, en l’an 2000, les exploitations de moins de 50 ha représentent 70% des exploitations, mais n’équivalent qu’à 23% de la superficie agricole utilisée totale. On a donc environ 21.449.000 ha de superficie agricole utilisée pour les exploitations de plus de 50 ha. Par conséquent, la superficie dévolue à l’agriculture en France est nettement supérieure à celle de la Belgique.

On soulignera également que les parcelles de cultures belges sont de manière générale plus réduites que celles observées en France, ce qui permet d’assurer une plus grande biodiversité végétale aux abeilles. Toutefois, de nombreuses parcelles de cultures non mellifères de faible dimension ne sont pas plus favorables à l’abeille que de grandes parcelles monoculturales.

En ce qui concerne le tournesol, il est rare, voire absent en Belgique, ce qui réduit nettement l’utilisation de Régent TS, et donc de sa matière active principale, le fipronil.

Quant au Gaucho, dont la matière active est l’imidaclopride, il n’est utilisé en Belgique que sur 3% des cultures de maïs et sur 80% des cultures de betteraves.

L’apiculture belge regroupe environ 8.500 apiculteurs, dont approximativement 3.500 en Wallonie. Cette région ne compte pas d’apiculteurs professionnels, seulement des amateurs ou semi-professionnels possédant en général moins de 250 ruches. On recense de nombreuses associations apicoles (fédérations, sections…), souvent en concurrence et sans réelle organisation nationale. En Wallonie, il existe un centre de recherche et d’information (CARI), qui ne fait pas de recherche proprement dite, mais qui contribue entre autres à évaluer la qualité organoleptique et l’origine des miels.

Pourquoi une étude sur la surmortalité des abeilles ?

Depuis 1998-1999, les apiculteurs wallons ont constaté des problèmes de surmortalité au sein de leur(s) rucher(s), c’est-à-dire un taux de mortalité des ruches supérieur à 10%. En outre, d’autres symptômes que les apiculteurs qualifient d’ « affaiblissements » ont été avancés, mais ceux-ci nécessitent encore d’être correctement définis.

En 1998-1999, la varroase devait être prise au sérieux. Dans les revues apicoles belges de cette époque, on retrouve de nombreux articles allant dans ce sens. Y figuraient des passages très interpellants comme « La varroase va nous mener la vie très dure », « Les scientifiques se retrouvent aujourd’hui dans la même situation qu’au début des années 80, quand l’infestation est apparue en France.

Comment affronter cette crise ? », « Dans les zones les plus
touchées, on risque bien de constater des pertes importantes de ruches qui pourraient atteindre 50% dans certains ruchers », « Lorsque l’on atteint plus de 30% d’effondrement de colonies dans un périmètre, on risque d’aboutir à une disparition totale du cheptel », etc. Ensuite, depuis la campagne médiatique en France, des apiculteurs se sont posé la question du rôle des pesticides dans leurs problèmes de surmortalité – en particulier du Gaucho -, laissant souvent et malheureusement de côté d’autres causes potentielles, notamment la varroase.

La situation devenant difficile pour les apiculteurs, le sujet a été abordé au Parlement wallon, qui a décidé de subventionner une étude multifactorielle. Celle-ci a débuté en juillet 2004 et doit durer deux ans.

Pourquoi vous a-t-on confié cette mission ?

Tout d’abord, nous ne sommes pas seuls. L’étude est une collaboration entre le service d’Entomologie fonctionnelle et évolutive de la Faculté universitaire des sciences agronomiques de Gembloux, dirigé par le Professeur Eric Haubruge, et le Centre d’Analyse des Résidus en Traces – Laboratoire de spectrométrie de masse (CART-LSM) de l’Université libre de Liège, dirigé par le Professeur Edwin De Pauw.

Ces deux unités de recherche ont été désignées car leurs secteurs de travail s’étalent du domaine fondamental au domaine appliqué, et leur spécialité entomologique et analytique couvre l’ensemble des notions scientifiques nécessaires à la réalisation de cette étude. Elles ont également été choisies car ce sont des laboratoires neutres capables de travailler en toute objectivité et sans préjugé.

Le Professeur Eric Haubruge et son Unité de recherche n’ont jamais été sous contrat avec des firmes phytopharmaceutiques. De plus, nous sommes financièrement indépendants. La Région wallonne, à travers la Division générale de l’Agriculture, est la seule commanditaire de cette étude.

Quelle a été votre méthodologie ?

Dans un premier temps, nous avons analysé les données disponibles. Plus précisément, nous avons pris connaissance du contexte et évalué la partialité et la validité de ce qui avait déjà été effectué jusque-là. Nous avons donc consulté les études qui avaient été réalisées. Cependant, nous avons trouvé beaucoup trop d’avis divergents quant à la cause des mortalités. En outre, nous avons observé que les méthodologies des études étaient trop différentes pour permettre d’établir des comparaisons significatives. A mon avis, c’est devenu un sujet trop passionnel. Il semble que plutôt que de rechercher une cause, les études visent à confirmer une hypothèse de départ.

Heureusement, en Belgique, la situation est moins passionnelle qu’en France, et nous n’avons pas eu de difficulté pour établir un dialogue avec l’ensemble des protagonistes (apiculteurs et agriculteurs). Nous privilégions les faits et tenons compte du fait que d’autres facteurs peuvent avoir influé sur les résultats disponibles (passionnels, économiques, etc.)

Ensemble, nous avons décidé de dégager tous les facteurs de risques liés à la surmortalité des abeilles en Wallonie, afin de proposer à terme un cahier des charges pour favoriser le maintien et le développement des pollinisateurs et permettre une meilleure production apicole. Cette démarche doit être réfléchie de façon à ne léser aucun des acteurs (filière apicole, filières agricoles). Elle nécessite une harmonisation des relations entre les mondes apicole et agricole.

Nous sommes donc partis à la recherche de tout ce qui perturbe l’abeille, et non de ce qui perturbe l’apiculteur. C’est-à-dire que dès le départ, c’est tout l’environnement de l’abeille qui fait l’objet de l’étude, d’où la démarche d’étude multifactorielle. Toutes les pistes possibles sont prises en compte (les pesticides agricoles, apicoles, ou appliqués par le particulier, la pollution locale, les conditions climatiques, la disponibilité en eau et en ressources nutritives, les pathologies, la génétique des reines, les erreurs de manipulation, le manque de connaissances agricoles ou apicoles, les combinaisons ou synergies…). Tout ceci a permis de dégager quatre thématiques : pesticides, pathologies, polluants organiques persistants, environnement dans le sens large du terme (températures et ressources nutritives).

Ainsi, nous avons voulu éviter de trop nous fier aux témoignages (souvent subjectifs), et nous avons préféré aller à la recherche des faits. A titre d’exemple, nous avons constaté que dans une assemblée, l’ensemble des participants expliquent qu’ils ont observé les mêmes symptômes dans leur rucher, alors que lorsque nous les avons rencontrés individuellement, leurs avis étaient différents ; ce qui fut confirmé par la visite des ruchers. La difficulté d’identification des symptômes représente un des principaux problèmes auxquels nous avons été confrontés. Qui a vu quoi exactement ? Quand on parle de désorientation, de quoi s’agit-il précisément, et comment peut-on la mesurer ? Il y a aussi des raccourcis trop rapides entre un fait et une cause.

C’est le même problème pour les dépérissements. Au départ, selon les témoignages, on pensait que le taux de surmortalité se situait autour de 30%, alors qu’en cherchant l’information chez un échantillon très représentatif des apiculteurs, on retrouve plutôt entre 16 et 17% de mortalité, dont 80% au début du printemps. L’apiculteur constate des mortalités, mais sait-il toujours en identifier les causes ? Comme nous l’avons déjà expliqué, il existe en effet un grand nombre de facteurs susceptibles d’influer sur la vitalité de l’abeille domestique. Ainsi, une des difficultés rencontrées est que peu d’apiculteurs effectuent un suivi hivernal. Les ruches n’étant généralement pas ouvertes d’octobre à février, c’est-à-dire pendant plus de cinq mois, et compte tenu de l’évolution des symptômes dans le temps, on se retrouve à la sortie de l’hiver avec des ruches qui présentent des symptômes uniformes, alors que la cause n’est pas forcément la même dans chaque situation. De plus, en sortie d’hiver, l’apiculteur rencontre les plus grandes difficultés pour dire si ses ruches ont péri en novembre ou en janvier.

Environ 85 apiculteurs – soit 1.275 colonies – ont accepté de participer à notre réseau de surveillance. Avec eux, nous avons entrepris d’effectuer des observations et des collectes de données mensuelles, avec échantillonnages et analyses bimensuels. Les analyses servent à identifier les pathologies et les pesticides. Cinquante-six pesticides sont analysés (herbicides, fongicides, insecticides et acaricides), dont bien entendu l’imidaclopride et le fipronil (bien que celui-ci soit peu utilisé en Belgique). Nous nous déplaçons nous-mêmes pour constater sur place ce qui se passe et nous entretenons un dialogue constant avec les apiculteurs.

Qu’avez-vous observé en premier lieu ?

Le premier problème, qui n’est pas nécessairement la cause principale des mortalités, sont les pratiques apicoles trop aléatoires. L’apiculture évolue et les formations sont parfois figées. En outre, l’information circule très mal parmi les apiculteurs, qui sont principalement des amateurs. De plus, face à certaines pathologies difficiles à diagnostiquer, comme les viroses et les bactérioses, mais aussi face à la varroase, pour laquelle un grand nombre de produits se heurtent à des phénomènes de résistance, l’apiculteur est démuni.

Il est important de lui venir en aide et de lui fournir des solutions efficaces et non empiriques. Suite à nos visites et à nos enquêtes, nous pouvons souligner un certain nombre de points. Par exemple, on entend très régulièrement : « J’ai mis trois cuillères à soupe » de tel produit pour traiter le varroa. Or, ces produits disposent rarement d’une autorisation de mise sur le marché pour un usage apicole en Belgique. D’autre part, ces systèmes de dosage ne permettent pas une efficacité optimale du pesticide. Pire, le sous-dosage risque d’engendrer des phénomènes de résistance.

D’autres interrogations peuvent également être posées : à quelle date précise les traitements anti-varroa doivent-ils être réalisés ? Dans le cas de Varroa destructor, est-il préférable de traiter pour éliminer une quantité importante d’acariens, lorsque les abeilles d’hiver sont toutes parasitées, ou vaut-il mieux traiter plus tôt, avant que le varroa n’ait eu le temps de proliférer, quitte à éliminer peu d’acariens ? Comment reconnaître un des dix-huit virus présents chez l’abeille ? Connaît-on les symptômes inhérents à ces virus ? Qu’en est-il du « Bee Parasitic Mite syndrome » (BPMS) ?

Ces interrogations peuvent paraître déplaisantes pour certains apiculteurs. Cependant, notre étude se doit d’être objective et rien ne doit être laissé de côté. Bien entendu, il ne s’agit pas d’expliquer la surmortalité par l’unique problème des pratiques. Mais il ne serait pas correct de faire comme si cette question n’existait pas.

Quels sont les résultats de votre étude ?

Nous n’avons actuellement que des résultats partiels. Nous avons décidé de les rendre publics car les différents acteurs voulaient en prendre connaissance. Toutefois, la mise au point de la détection et de la quantification des pesticides nécessitant une année, les résultats des analyses ne sont pas encore disponibles. Les parties « Pesticides » et « Environnement » sont donc encore en cours de traitement, et nous n’aurons de résultats définitifs que dans un an. Je m’abstiens donc de tout commentaire à ce sujet pour l’instant. Il faudra également étudier la synergie des différentes causes. En revanche, nous avons déjà des résultats significatifs concernant les pathologies.

Qu’avez-vous trouvé sur les pathologies ?

Une des quatre sections de notre étude était consacrée aux maladies et aux parasitoses. Nous les avons regroupées sous le terme « pathologies ». Nous avons constaté qu’elles sont nombreuses au sein de nos ruchers.

On retrouve notamment des bactéries (Paenibacillus larvae larvae, melissococcus pluton), des acariens (Varroa destructor), des mycoses (Ascosphera apis, Aspergillus flavus), des protozoaires (Nosema apis), des insectes (Galleria mellonella, Achroia grisella) et des virus. A l’heure actuelle, nous nous sommes plus attardés sur la loque américaine (Paenibacillus larvae larvae), considérée comme la maladie la plus dommageable au couvain, et sur la varroase (Varroa destructor), que nous avons malheureusement retrouvée dans toutes les ruches visitées. Ayant diagnostiqué des cas cliniques de loque américaine en Wallonie, nous avons décidé d’effectuer la détection de spores de loque dans les miels wallons et d’évaluer l’éventuelle corrélation avec les phénomènes de surmortalité. Sur la base de méthodes microscopique et moléculaire, nous avons retrouvé des spores de loque américaine dans 20 % des miels échantillonnés. Toutefois, il n’existe pas de lien statistiquement significatif entre la présence de spores de loque dans les échantillons prélevés et les phénomènes de surmortalité répertoriés.

En ce qui concerne la varroase, nos visites de terrain nous ont permis de constater son omniprésence en région wallonne, ce qui s’explique entre autres par le fait que des problèmes de résistance au fluvalinate sont survenus entre 1996 et 1998. Nous avons donc étudié l’impact de ce fléau sur les abeilles. Nous avons répertorié huit produits utilisés en Wallonie, alors que seuls trois sont agréés pour un à quatre traitements par an.

Enfin, nous avons constaté que les traitements sont appliqués à des dates très différentes, pouvant s’étaler de mi-juillet à mi-novembre, ce qui n’est pas sans conséquence. L’analyse statistique nous a permis de mettre en évidence que le traitement employé contre la varroase – et donc implicitement la varroase elle-même – avait un lien significatif avec les problèmes de surmortalité que rencontrent les abeilles en région wallonne. Ainsi, lors de non traitement des colonies, on atteint des niveaux de mortalité qui dépassent les 50%, alors qu’avec l’utilisation de produits agréés à base d’amitraze avant la date du premier septembre, le taux de mortalité descend à 6,5% environ. Toutefois, à l’heure actuelle, il est encore impossible de déterminer si la varroase est responsable de 3 ou 98% des problèmes, et donc dans quelles proportions elle est impliquée.

Quelle conclusion tirez-vous de l’étude ?

Pour l’instant, aucune. Comme je vous l’ai dit, l’étude est encore en cours. Ce n’est pas parce que nous avons établi un lien certain entre une pathologie particulière et la mortalité des abeilles que cette pathologie constituerait la seule cause. A ce stade de nos travaux, rien ne permet d’innocenter ou d’incriminer les pesticides quels qu’ils soient, et le Gaucho en particulier. D’autres pistes sont également en cours d’examen, comme le volet environnemental de l’étude. Je vous livre un état intermédiaire de nos recherches, avec les éléments dont nous disposons déjà.

Ce qui est certain, c’est qu’en Belgique, les pathologies sont impliquées dans le problème des surmortalités. Tout en poursuivant les analyses, notamment des pesticides, nous allons déjà pouvoir apporter quelques propositions aux apiculteurs sur les méthodes à employer pour mieux gérer les pathologies et donc limiter l’impact de ce facteur. Pour cela, il conviendra de les informer de nos résultats et de la nécessité de mieux connaître les maladies dans toutes leurs composantes (biologique, épidémiologique), et de leur proposer des traitements en adéquation.

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