Depuis juin dernier, la grande chaîne de supermarchés britanniques Sainsbury refuse de se faire livrer des carottes bio de la récolte 2006, car elles ne répondent plus aux normes de qualité. L’affaire est d’autant moins banale qu’il s’agit de carottes de Highgrove, l’exploitation bio du Prince Charles, et de celle de Patrick Holden, agriculteur bio et directeur de la Soil Association, la principale organisation de certification des produits bio de Grande-Bretagne. Selon la version de Patrick Holden, Son Altesse Royale et lui-même seraient des victimes malheureuses du système centralisé de distribution des supermarchés. Si leurs carottes ont des problèmes – ce qu’il admet volontiers -, ce serait à cause du transport.
Pendant plus de vingt ans, Patrick Holden a cultivé des carottes bio, qu’il livrait dans des structures locales, près de son exploitation située dans l’ouest de Wales, explique-t-il dans The Guardian du 26 juin 2007. L’emballage retraçait l’histoire de la ferme familiale de Bwlchwernen Fawr. « Mes carottes étaient certes plus chères, mais les gens étaient prêts à payer davantage pour des produits locaux », poursuit-il. À l’époque, le packaging était réalisé dans une entreprise proche de son exploitation, qui appartenait à Organic Farm Foods (OFF). OFF traitait également les produits de Highgrove. Au début des années 2000, son principal client, la chaîne de distribution Waitrose, s’est modernisé. Restructuration oblige, il a exigé une diminution des centres de packaging. Ce qui a signé l’arrêt de mort de OFF. Depuis, M. Holden et le Prince Charles se sont entendus pour livrer ensemble leurs carottes dans un centre situé à plus de 350 km. Là-bas, leurs carottes sont lavées et conditionnées par une machine moderne, afin « qu’elles puissent êtres dispatchées dans les rayons des supermarchés, des semaines après avoir été lavées, tout en gardant un aspect de fraîcheur ». Elles refont alors le chemin inverse pour se retrouver dans les supermarchés locaux, parcourant au total 700 km… Le comble, c’est qu’en fin de course, ces légumes ont une moins bonne « empreinte écologique » que des produits conventionnels !
Pour Tim Lang, professeur de politique nutritive à la City University de Londres, ce cas montre que les structures actuelles de distribution des supermarchés sont incompatibles avec le discours marketing promouvant la production locale : « Les supermarchés sont enfermés dans une logique de packaging dans laquelle ils ont investi des millions d’euros depuis trente ans. Ils devraient réinvestir des sommes colossales pour abandonner les quelques centres de distribution régionaux et recréer des centaines de petites structures sur tout le territoire s’ils veulent vraiment faire du commerce local ».« Les supermarchés prêchent le localisme, mais ce ne sont que des paroles. Leur système va dans le sens opposé, et c’est un véritable désastre », s’insurge Patrick Holden.
Certes, mais tout cela n’a rien à voir avec les carottes recalées de Son Altesse. Selon le quotidien The Independent, les carottes bio du Prince Charles étaient tout simplement pourries ! Elles n’avaient pas résisté aux longs mois de stockage suivant la récolte de septembre. Privées de protection sanitaire, les carottes bio de Highgrove se sont rapidement détériorées, comme l’explique un responsable de Sainsbury.