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Une note confidentielle des autorités françaises

Grâce à une indiscrétion, A&E s’est procuré un document confidentiel émanant du ministère de l’Agriculture. Validé par le bureau du Premier ministre, ce document révèle quelques surprises sur la stratégie du gouvernement Bayrou

Adressée en janvier dernier à la Commission européenne, une note des autorités françaises est censée clarifier les « priorités stratégiques de la France » dans le domaine agricole. Sans surprise, on y retrouve les nouveaux éléments de langage consensuels que sont le « renforcement de la souveraineté alimentaire européenne », « l’établissement des conditions d’une véritable concurrence loyale », « la consolidation et la simplification de la politique agricole commune », « l’accès à l’innovation » ainsi que « la valorisation des modes de production et de transformation durables ».

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Bref, exit toute référence à l’agro-écologie, au Green Deal et à sa déclinaison Farm to Fork, et adieu aux impératifs de diminution chiffrée des engrais, des pesticides ou encore de réduction du cheptel bovin ou ovin ! En ce qui concerne l’agriculture biologique, il « convient de poursuivre les soutien », indique sobrement le texte, qui insiste plutôt sur le « renforcement de l’autonomie stratégique de l’agriculture » et la « réduction des dépendances stratégiques » des intrants essentiels (énergie, produits phytosanitaires, engrais) ou encore des protéines végétales pour l’alimentation humaine et animale. Le tout étant néanmoins assujetti au cadre directeur de « répondre aux objectifs d’adaptation au défi du changement climatique et aux attentes sociétales ».

Si cette note reflète clairement un changement radical de posture par rapport aux gouvernements précédents, aujourd’hui beaucoup mieux adaptée aux demandes du secteur agricole, elle pèche cependant par un manque flagrant de propositions innovantes.

Un manque de propositions innovantes

Face à la concurrence internationale, les auteurs préconisent essentiellement la mise en place de barrières commerciales par le biais de clauses de sauvegarde, de mesures de rétorsion, de « mesures miroirs ciblées », ou encore par « l’abaissement systématique du seuil de détection des LMR de substances actives non approuvées au sein de l’UE ». Toute une série d’instruments de défense commerciale classiques – y compris les barrières tarifaires – qui doivent s’accompagner du « renforcement du dispositif européen de contrôle sanitaire et phytosanitaire aux frontières de l’UE » et de la mise en place d’une « veille réglementaire » qui s’appuie sur le réseau diplomatique de l’UE et des États membres.

Sur la question du renforcement de la compétitivité de l’agriculture, afin justement de faire face à la concurrence internationale, la note ne propose rien, sinon un accompagnement de « la transformation des filières agro-alimentaires et des systèmes alimentaires vers plus de résilience et de durabilité », avec, certes, « l’utilisation de solutions innovantes (comme les nouvelles techniques génomiques (NGT) ou le biocontrôle [dont la France souhaite faciliter l’accès aux agriculteurs par une révision des procédures d’autorisation]) et, de manière générale, l’agriculture de précision ». Autrement dit, rien qui permettra à l’UE de gagner en compétitivité. Et sans réflexion sur les causes de la désindustrialisation de l’UE, on se demande comment les auteurs comptent, comme ils disent le souhaiter, réactiver le redémarrage des unités de production européenne d’engrais, récemment mises à l’arrêt, ou le développement d’une industrie d’engrais décarbonés au sein de l’UE, afin d’assurer la substitution des importations russes.

Si cette note reflète clairement un changement radical de posture, elle pèche cependant par un manque flagrant de propositions innovantes

De même, ce n’est certainement pas en faisant adopter par l’UE l’interdiction de la production à des fins d’exportation de produits phytosanitaires interdits en Europe, qu’on va encourager l’industrie chimique à investir dans des usines et qu’on pourra « renforcer l’autonomie stratégique de l’agriculture ».

Au sujet de l’Anses

Mais la proposition la plus cocasse de cette note gouvernementale est indéniablement la refonte du système de délivrance des autorisations de mise sur le marché (AMM) des produits phytosanitaires.

« L’objectif d’adopter des règles harmonisées s’agissant des usages, des cibles de réduction, des règles d’utilisation, des alternatives à faibles risques à offrir aux agriculteurs et des autorisations de mise sur le marché (AMM), demeure une priorité des autorités françaises », lit-on ainsi dans cette note, qui suggère que « pour garantir une gestion uniforme et équitable des produits phytopharmaceutiques dans l’UE, la délivrance des AMM pourrait se faire au niveau européen ». En d’autres termes, et indépendamment de la pertinence d’une telle mesure, qui est loin d’être absurde, on découvre par là que, dès janvier 2025, c’est-à-dire au moment où certains faisaient mine de s’émouvoir de la proposition du sénateur Duplomb sur l’instauration d’un principe de priorisation dans le travail de l’Anses, le gouvernement avait déjà dans ses cartons une proposition bien plus radicale visant à transférer totalement le mandat de l’Anses vers une autorité européenne !

Enfin, pour comble de ridicule, toujours sur le dossier des produits phytosanitaires, la France se dit « prête à partager avec les institutions européennes l’expérience et les leçons qu’elle tire du déploiement, au niveau national, du Parsada (Plan d’action stratégique pour l’anticipation du potentiel retrait des substances actives et le développement de techniques alternatives pour la protection des cultures) ». Une « expérience » qui n’a pourtant jusqu’à présent pas vraiment permis d’apporter de réponses aux nombreuses filières en perte de compétitivité, et encore moins à celles coincées dans des impasses techniques en raison de décisions d’interdiction de moyens de protection des cultures.

En fin de compte, s’il reste difficile de mesurer l’impact réel d’une telle note de service, son principal objectif est clair : présenter à la Commission les lignes rouges de ce qui est acceptable pour la France. À savoir préserver le secteur agricole de façon à assurer la nécessaire souveraineté stratégique, tout en refusant que des accords commerciaux se fassent à n’importe quel prix, et, in fine, préserver un budget suffisant dédié à l’agriculture.

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