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Ce que Nicolas Hulot ne vous dira pas sur sa fondation – 2

Un malthusianisme qui se cache

Ce thème n’est pas nouveau. Déjà, dans les années soixante – alors que Besset se battait contre « l’injustice, l’exploitation, la soumission, [qui] paraissaient insupportables » -, la botaniste américaine Rachel Carsonavait mis en accusation la société moderne et les progrès de la chimie. Son combat, qui a entraîné l’interdiction du DDT, a conduit à ruiner la lutte efficace contre le paludisme, une maladie qui tue un enfant de moins de 5 ans toutes les 15 secondes. Ce qui n’a pas l’air de déranger Jean-Paul Besset, qui soutient que de toute façon, l’homme « ne fabriquera pas une eau potable pour neuf milliards d’habitants ». A aucun moment l’ex journaliste ne formule la moindre critique envers les thèses malthusiennes. Pas plus qu’il ne réfute les propos de René Dumont, cet autre « prophète » dont il a rédigé une biographie. En 1973, Dumont déclarait dans L’Utopie ou la mort : « Il serait possible, surtout quand les méthodes contraceptives et d’avortement précoce auront fait des progrès décisifs, de n’autoriser qu’une natalité compensant exactement la mortalité, donc d’atteindre vite la croissance zéro, si on employait des méthodes autoritaires – que le danger mondial permettrait de justifier ». Il ajoutait : « L’abandon des petites filles dans les familles pauvres chinoises, ou l’avortement systématique au Japon, avant 1869 comme après 1945, peuvent être, à la lumière de nos récentes observations, considérés comme des mesures comportant une certaine sagesse ». Erreur de parcours ? Pas du tout, car à aucun moment René Dumont n’a renié son credo de la surpopulation. En 1986, il écrivait dans Pour l’Afrique, j’accuse : « La plus grave menace pour l’avenir de l’humanité reste l’explosion démographique, la prolifération du plus redoutable prédateur, l’homme, sur une “petite planète”. […] Notre “petite planète” n’est pas capable de supporter longtemps les conséquences d’une surpopulation délirante et de l’activité industrielle incontrôlée de notre société de consommation, qui épuise les ressources rares non renouvelables de cette terre, et qui pollue, défigure et finalement détruit une large part d’un écosystème dont nous faisons partie. » Treize ans plus tard, en 1999, il récidive dans la revue Politis : « Le XXe siècle est un siècle maudit. Il n’y a jamais eu autant de conneries que durant ce siècle. La première étant l’explosion démographique. »

Mais Jean-Paul Besset a d’autres sources d’inspiration. Ainsi, il a parfaitement intégré la pensée du philosophe autrichien Ivan Illich, qui proposait – également dans les années soixante dix – une critique radicale et globale de la société industrielle, de l’école publique et des hôpitaux. Dans Une société sans école, publié en France en 1971, Illich affirme que l’école de la République agit comme un système d’exclusion. « Pour Illich, l’enseignement est aux mains de professionnels et devient une énorme machine, centralisée et automatisée, à fabriquer l’inégalité sociale. L’éducation devient problématique. Elle vise à adapter l’enseignement à un savoir lié aux impératifs économiques. La question centrale est de savoir si l’école vise à développer le pouvoir des individus de tous les âges par leur propre formation (scolaire et extra-scolaire) ou à augmenter la dépendance de chacun à l’égard du savoir utile aux intérêts de la classe dominante. Il faut donc selon lui “déscolariser” l’enseignement, supprimer programmes et enseignants professionnels… Il faut instaurer des “réseaux d’enseignements” où les demandeurs de connaissances se mettraient en rapport avec les personnes
disposées à leur fournir des renseignements »
, explique Bruno Villalba, maître de conférences en sciences politiques. Quelques années plus tard, Illich dénoncera aussi l’institution médicale, « qui rend malade plus qu’elle ne guérit ».

Dans ses ouvrages, le philosophe autrichien fustige également la démesure des outils qui écrasent l’homme. Dans La convivialité (1973), il analyse la transformation de l’outil en appareil asservissant : « Passé un certain seuil, l’outil, de serviteur, devient despote ». Ce qui devient dans la prose de Jean-Paul Besset : « Au lieu de simplifier l’existence, la profusion de l’offre technique la complexifie à l’extrême, renforçant le mouvement général de dépendance et de passivité». En 1966, un autre maître à penser de Jean-Paul Besset, le biologiste américain Barry Commoner, s’était déjà attaqué à la science, l’accusant de posséder des effets destructeurs. Dans Science and Survival, un livre qui préfigure par ses thèses apocalyptiques celui de Besset, il affirme que « malgré le fait que la technologie moderne ait connu des succès éblouissants et que les engins militaires modernes soient dotés d’une puissance sans précédent, ils souffrent d’un même défaut catastrophique. Alors qu’ils nous apportent des quantités abondantes de nourriture ainsi que de grandes usines industrielles, des transports à grande vitesse et des armes militaires dotées d’une puissance sans précédent, ils menacent notre survie même. »

Cette critique de la société technicienne et de la modernité, reprise dans les années soixante et soixante-dix par Illich, Commoner et bien d’autres, a été théorisée dès les années trente par le Français Jacques Ellul. Ce dernier représente un autre point commun entre Bové et Besset, mais aussi Noël Mamère, qui rappelle dans Ma République [[Ma République, Noël Mamère, Seuil, 1999.]] : « Ce sont ces deux hommes [Ellul et Charbonneau] qui ont éveillé et éduqué mon esprit critique et qui m’ont amené à l’écologie dès mes vingt ans ». Adeptes du personnalisme, un courant de pensée qui rejetait déjà dans les années trente les Etats-Unis comme l’Union soviétique en raison de leur productivisme et de leur étatisme, Jacques Ellul et Bernard Charbonneau sont en réalité les précurseurs du mouvement de la Décroissance cher à Besset et Bové. Dans leurs Directives pour un manifeste personnaliste, ils affirmaient qu’« une véritable prise de conscience de ces problèmes implique un changement de vie radical, un renoncement à des facilités, et pourquoi le cacher, un retour à une certaine frugalité. » Une déclaration qui date de 1935, époque où de nombreuses maisons de campagne ne possédaient pas l’eau courante, où l’espérance de vie ne dépassait pas 60 ans et où les doryphores qui ravageaient les champs de patates étaient ramassés à la main par des enfants qui n’allaient pas à l’école ! Illich n’avait pas dix ans. Bové et Besset n’étaient pas nés.

Après le « grand soir », l’apocalypse verte

« Les réactionnaires sont ceux qui restent ligotés à un monde dépassé, devenu largement fictif. Ils refusent le changement d’époque et de logiciel, ils préfèrent les idées mortes », affirme Jean-Paul Besset dans son ouvrage. Curieux propos pour quelqu’un qui, au début du XXIe siècle, reprend à son compte une idéologie réactionnaire et conservatrice théorisée dans les années 1930 et remise au goût du jour il y a plus de trente ans ! Même son « logiciel » ne semble pas avoir évolué, puisqu’au « grand soir » de la révolution trotskiste il substitue l’apocalypse écologiste (ce qu’il appelle « intégrer le principe de catastrophe»). Après avoir décrit les mille et une raisons qui feront disparaître l’homme de la surface de la Terre dans un génocide quasi hollywoodien, Besset avertit : « Plutôt qu’une invitation à abdiquer, la perspective de la catastrophe devrait fournir une chance de ressaisissement. L’humanité ne finira-t-elle pas par s’apercevoir qu’une menace qui pèse aussi lourd sur son avenir implique nécessairement qu’elle s’écarte des conduites à risque ? » Cette humanité, qui n’a pas saisi l’importance du « grand soir », serait-elle enfin sauvée par une soudaine « illumination naturaliste » ? Si c’était le cas, elle finirait par découvrir qu’« après Dieu, le Progrès est mort ». Cette « métamorphose ne suppose pas un exploit surhumain », poursuit Jean-Paul Besset. « Elle consisterait ni plus ni moins à adopter des comportements raisonnables et à réhabiliter un peu de ce sens commun qui, au long de l’histoire, a permis aux hommes de “sentir” jusqu’où ils ne devaient pas aller ». Il suffirait « d’admettre la finitude du mode de développement de nos sociétés, d’introduire des frontières au progrès, de sevrer l’appétit de richesse, de réviser la manière d’être, de renoncer au paradigme de l’opulence infinie ». On croirait lire Ellul. C’est pourtant du Besset !

« L’agriculture ne peut pas nourrir le monde »

Bien entendu, cette métamorphose doit commencer par l’agriculture, car « le progrès de l’humanité est menacé par là où il a commencé : l’agriculture ». Il faut donc arrêter les OGM, vaine promesse d’une réponse technologique, limiter la consommation de viande, dont « la hausse s’avère insoutenable » et mettre fin « à la technique du “hors sol” – couveuses géantes, ateliers d’engraissage, élevages en batterie qui assurent la moitié de la production mondiale de viande -, [qui] se traduit par l’implantation d’immenses hangars concentrationnaires ». D’ailleurs, inutile d’essayer de résoudre la faim dans le monde, puisque « l’agriculture est confrontée à un défi biologique : la capacité physiologique des plantes à absorber encore plus de substances nutritives atteint ses limites ». C’est pourquoi, selon Besset, le militant écologiste américainLester Brown a raison d’affirmer que « le moteur qui a permis de tripler la récolte mondiale de céréales depuis 1950 appartient désormais à l’histoire ».

C’est en effet ce qui risque d’arriver si nos dirigeants politiques se laissent séduire par les sirènes de l’écologie façon Bové et Besset, qui n’ont décidément pas que la moustache et la pipe en commun. Comprendront-ils ce qui se cache vraiment derrière le discours apparemment modéré de Nicolas Hulot et de sa très sympathique fondation – qui ne peut pas être si déraisonnable puisqu’elle bénéficie de l’argent des plus grandes industries françaises ?

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