Aidée par quelques associations écologistes et par l’argent du Groupe Léa Nature, l’association Terre d’Abeilles, qui est présidée par Béatrice Robrolle-Mary, s’est offert une page de publicité dans Le Monde. Simultanément, elle a entrepris une grande campagne de presse, essentiellement régionale, demandant le retrait de l’autorisation du Cruiser, le nouvel insecticide de Syngenta. Fidèle à une certaine tradition poujadiste, l’ex-candidate du Mouvement pour la France de Philippe de Villiers en a profité pour salir la réputation d’une institution de la République, en l’occurrence l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa).
Cette grossière campagne se résume à :
1) Donner un bilan très partiel de la santé des abeilles
Le premier message de la campagne de Terre d’Abeilles consiste à affirmer que les abeilles ne se sont jamais aussi bien portées que depuis le retrait du Gaucho et du Régent. « Depuis quelques années, les apiculteurs ont constaté un léger mieux. Premier signe de bonne santé, la mortalité des abeilles qui baisse, en Vendée, “mais aussi un peu partout en France” », comme le constate l’apiculteur et militant anti-pesticides Frank Aletru dans Ouest France du 15 janvier 2007. Il y a moins de trois mois, le même Frank Aletru affirmait, toujours dans Ouest France, que « les abeilles mouraient par milliers », et que plus de 7.000 des 12.000 ruches de Vendée (soit 60 %) avaient été « flinguées ».
Plus raisonnable, le Réseau Biodiversité pour les abeilles, initié par l’apiculteur bio Philippe Lecompte, estime que « les premières observations hivernales de terrain sur l’état sanitaire des ruches sont mauvaises. Actuellement, les mortalités vont de 5 à 90 % des ruches ». Pour le réseau, « les causes des surmortalités sont disparates. Elles sont liées à la non maîtrise du Varroa, ce parasite qui affecte le couvain de l’abeille », et à « l’arrivée de Nosema ceranae », actuellement en voie d’extension en France et qui affecte les défenses immunitaires des ruches ».
Ce bilan, plus contrasté que celui dressé par Terre d’Abeilles, explique partiellement l’hétérogénéité des récoltes de miel 2007. Celles-ci ont été désastreuses sur la lavande et le tournesol ; un élément que Terre d’Abeilles se garde bien de commenter. Et pour cause ! Dès le début de l’affaire Gaucho, les pertes de rendement de miellées de tournesol ont été exclusivement attribuées à la présence de cet insecticide. En octobre 1997, l’apiculteur vendéen Philippe Vermandere s’inquiétait ainsi de la chute de sa récolte, estimée « de 90 à 105 kg de miel à la ruche jusqu’à 13 kg ». Or, aujourd’hui, après le retrait du Gaucho et du Régent, les rendements des miellées sur tournesol sont inférieurs à 10 kg par ruche, comme en témoigne l’estimation en provenance de la maison Bernard Michaud, propriétaire de la marque Lune de Miel. En privé, le premier conditionneur de miel de France s’inquiète de « la lente dégringolade de la production de miel en France, [qui] semble ne pas devoir s’arrêter ». Il constate que « la miellée de tournesol, qui donnait entre 8.000 et 10.000 tonnes ces deux dernières années, pourrait avoisiner les 4.000 tonnes cette année ».
2) Assimiler le Cruiser au Gaucho et au Régent TS afin de prouver sa toxicité
En s’appuyant sur la théorie de la responsabilité du Gaucho et le Régent dans les mortalités d’abeilles, Terre d’Abeilles communique un message simple : le Cruiser fait partie de la même famille que les deux insecticides maudits ; il est donc « ultra-toxique pour les abeilles ». Ces propos seraient confirmés par le Pr Luc Belzunces, un chercheur qui avait déjà été actif lors de la campagne contre le Gaucho, et qui révèle aujourd’hui devant les caméras le résultat de ses travaux sur les potentiels effets « sublétaux » du Cruiser, avant même que ceux-ci aient fait l’objet d’une publication dans un journal à comité de lecture. Or, M. Belzunces n’en est pas à son premier coup médiatique. Au début de l’affaire du Gaucho, il avait réalisé une étude très controversée sur l’imidaclopride censée montrer des effets sur les abeilles à partir de 0,1 ppb. Quatre laboratoires internationaux indépendants avaient tenté de confirmer ces résultats, sans succès. Or, Luc Belzunces a toujours refusé de réitérer son expérience.
3) Discréditer l’Afssa
Ce point est d’autant plus important que le directeur de l’Unité de pathologie de l’abeille de l’Afssa, Michel Aubert, vient de déclarer à La France Agricole : « Aujourd’hui, tout un faisceau de preuves conduit à dire que l’imidaclopride a été une fausse piste ». Or, la thèse de la responsabilité du Gaucho constitue la pierre angulaire de l’argumentation des apiculteurs-militants. Si celle-ci s’effondre, c’est tout le dossier qui s’écroule !
En outre, c’est suite à un avis favorable de l’Afssa que le ministre de l’Agriculture a autorisé l’utilisation du Cruiser. La réponse de la présidente de Terre d’Abeilles a été violente et sans retenue : « Les protocoles d’expérimentation [de l’Afssa] sont médiocres et insuffisants et attestent d’une profonde méconnaissance de la biologie de l’abeille et de l’organisation d’une colonie d’abeilles » ! Mme Robrolle-Mary s’est d’ailleurs rendue le 30 janvier dernier au siège de l’Afssa, où « deux experts de son association ont été reçus séparément » !
Cette mise en cause est d’autant plus intolérable qu’elle s’inscrit dans un contexte où les autorités scientifiques de la France sont régulièrement critiquées. Le lourd silence de Mme Pascale Briand, directrice de l’Afssa, sur le dénigrement de son agence est à cet égard consternant.