Dans sa dernière enquête, l’Office européen de lutte antifraude (Olaf) révèle l’ampleur inédite de la fraude sur les importations de miel en Europe
Sur les 320 lots de miel prélevés dans les grands ports d’Anvers, Hambourg, Barcelone, Le Havre, et à la frontière entre la Pologne et l’Ukraine, pour être testés en laboratoire, l’Office européen de lutte antifraude en a considéré 147 comme frauduleux, soit une moyenne de 46 %, selon une enquête publiée le 23 mars dernier. C’est-à-dire que près d’un miel analysé sur deux était frelaté.
Sur les 95 importateurs ciblés, deux tiers d’entre eux avaient importé au moins une fois un lot de miel suspecté d’être frelaté. Pour la France, 5 ont été déclarés non conformes sur les 9 analysés. Attention, cette constatation ne se vérifie pas dans les grandes surfaces, puisque les échantillons analysés avaient fait objet d’un ciblage préalable.
Ce taux de suspicion de 46 % reste toutefois nettement en hausse par rapport au précédent plan de contrôle coordonné, réalisé en 2015, qui faisait état de 14 % d’échantillons non conformes. Comment expliquer une telle augmentation ?
Les nouvelles méthodes d’analyses font partie des raisons invoquées : « Les anciennes méthodes permettaient de détecter les fraudes uniquement lorsque le miel était dilué avec des sirops de sucre à base d’amidon de maïs ou de canne à sucre », note Philippe Lecompte, apiculteur et président du Réseau biodiversité pour les abeilles. Or, cette fois, le laboratoire qui travaille pour la Commission européenne, le Joint Research Centre (JRC), a amélioré ses méthodes, afin de pouvoir détecter également les fraudes à base de sirop de riz, de blé ou de betterave sucrière. D’où ce résultat trois fois plus élevé. « Cela signifie que jusqu’à présent, les miels frauduleux passaient souvent inaperçus pour les laboratoires officiels au sein des États membres ou pour les laboratoires privés qui testent pour l’industrie, tout simplement parce qu’ils n’utilisaient pas cette méthodologie », indique pour sa part l’association Foodwatch, en déplorant que cette pratique ne soit « toujours pas utilisée par les autorités de contrôles officielles, ni en test de routine par les marques de miel courantes ou les marques distributeurs ».
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« Cette question est essentielle, et elle a d’ailleurs été évoquée lors de la réunion inter laboratoires organisée par notre syndicat en février dernier à Cahors », confirme Joël Schiro, le président du Syndicat des producteurs de miel de France (SPMF), estimant que, même si les progrès dans les résultats d’analyses ont été spectaculaires, « il reste une proportion de miels adultérés qui sont déclarés authentiques (faux négatifs), et à l’inverse, des miels authentiques peuvent être dénoncés adultérés (faux positifs) ». D’où la nécessité de clarifier les méthodes d’analyses, de les généraliser et de les valider juridiquement.
Un business lucratif
Cependant, du côté de certains opérateurs, on semble préférer laisser traîner ce dossier, une nonchalance dont on comprend rapidement la cause.
Car ces fraudes peuvent rapporter gros moyennant un risque de se faire attraper qui reste faible, les pouvoirs publics déployant peu de moyens pour lutter contre ces produits frelatés qui ne présentent pas de risques pour la santé des consommateurs.
« En moyenne, un miel importé en Europe coûte 2,17 euros par kilo alors que les sirops de sucre fabriqués à partir de riz coûtent entre 0,40 et 0,60 euro au kilo », explique Foodwatch, qui révèle que si les apiculteurs et les revendeurs, qui travaillent dans les règles de l’art, sont généralement victimes de ces trafics de miel frauduleux, « il arrive qu’ils soient parfois complices ».
En effet, l’enquête de l’Olaf fait la lumière sur une véritable collusion existant entre certains opérateurs : « Exportateurs, importateurs, mélangeurs et clients (fabricants/vendeurs de miel) se mettent parfois d’accord pour » soit « recourir à des laboratoires accrédités par l’UE afin d’adapter les mélanges de miel et de sucre et éviter qu’ils ne soient détectés par les clients et les autorités officielles avant le début de l’opération », soit « utiliser des additifs et colorants pour imiter d’autres sources botaniques de miel », soit « utiliser des sirops de sucre pour frelater le miel et faire baisser son prix » ou encore « masquer délibérément la véritable origine géographique du miel en falsifiant les informations de traçabilité. »
« Cette information est inédite », s’est félicité Joël Schiro en soulignant que « la Chine et la Turquie étant les principaux pays accusés, il suffit d’aller voir sur les étiquettes des miels pour savoir quels sont les conditionneurs concernés, sachant que ce ne sont probablement pas les deux principaux ». La DGCCRF, le service des fraudes, étant désormais officiellement au courant, il n’y a plus qu’à attendre qu’elle se saisissent sérieusement du dossier.