Lors d’une conférence organisée par le conseil général d’Auvergne le 9 décembre 2008, l’ancien président de l’Union nationale de l’apiculture française (Unaf), Jean-Marie Sirvens, a confirmé que les maladies des abeilles représentaient bien un problème structurel de l’apiculture. « Depuis cette année, notre syndicat soutient un programme de recherche sur Nosema à l’université de Clermont-Ferrand », a-t-il indiqué. Or, ce redoutable protozoaire n’est pas le seul fléau à ravager l’apiculture. Installé en France depuis plusieurs décennies, le varroa est considéré comme « l’ennemi numéro 1 de l’abeille » dans le rapport du député Martial Saddier. S’y ajoutent les problèmes récurrents des loques (européenne et américaine) et d’une petite vingtaine de virus déjà identifiés chez l’abeille mellifère (virus du Cachemire, virus des ailes déformées, virus de la paralysie chronique, iapv, etc.).
Cet état sanitaire déplorable soulève une question de fond : comment, en effet, une telle filière a-t-elle pu en arriver là ? Et surtout, cette situation n’est-elle pas l’expression d’un échec total, celui d’un réseau de vétérinaires qui existe depuis près d’un demi-siècle et dont la mission est de garantir le contrôle sanitaire des ruchers ? Dès octobre 1961, les pouvoirs publics ont en effet confié la surveillance apicole à un réseau piloté par la Fédération nationale sanitaire apicole (fnsa). Une initiative qui revient à deux vétérinaires : le Dr Pillon, inspecteur en chef au ministère de l’Agriculture, et le Dr Rousseau, directeur du Laboratoire de pathologie des abeilles de Nice (l’ancêtre du laboratoire de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments – l’Afssa –, à Sophia-Antipolis). « M. Rousseau était très impliqué dans la santé de l’abeille à travers son laboratoire de Nice, dont la direction lui avait été confiée en 1950 », relate Raymond Borneck, ancien président de l’institut technique apicole (Itapi). La combinaison du laboratoire de Nice et de cette première fédération sanitaire apicole a formé un
réseau national au service du ministère. C’est d’ailleurs « sur demande pressante du ministère » que la fnsa est devenue six ans plus tard la Fédération nationale des organisations sanitaires apicoles départementales (Fnosad), par fusion avec l’Union nationale des associations sanitaires apicoles départementales (Unasad), une fédération concurrente créée en 1965 par le syndicat apicole Unaf. Pour les pouvoirs publics, il s’agissait alors d’étendre leur rayon d’action à travers une seule structure, indépendante des syndicats apicoles. Le conseil technique de la Fnosad a été confié aux Dr Pillon et Rousseau. Grâce aux financements du ministère de l’Agriculture, la nouvelle fédération a organisé pendant plusieurs années des cours techniques de trois semaines destinés à former un réseau d’agents sanitaires apicoles. C’est à ce moment qu’est née la revue La santé de l’abeille, dont l’objectif clairement affiché était de vulgariser « les derniers progrès de la science apicole dans le domaine si particulier et pourtant si vaste de la lutte contre les maladies des abeilles ». Rapidement, son tirage est passé de 1 000 à 2 500 exemplaires – ce qui reste toutefois assez faible au regard du nombre d’apiculteurs, amateurs et professionnels confondus. Dans le numéro du deuxième trimestre 1967, André Regard, vice-président de la Fnosad, rappelait : « Bien des catastrophes ont atteint des apiculteurs insuffisamment avertis, qui ont assisté impuissants et désespérés à la disparition de leur cheptel ». Durant les années soixante-dix, la Fnosad n’a cessé de mettre en garde les apiculteurs contre la négligence d’une partie de la profession face aux foyers d’infections. « Ainsi risquent de subsister dans de nombreux endroits les îlots incontrôlés où règne bien souvent une totale anarchie », avertissait André Regard en janvier 1970. Il ajoutait : « Les maladies s’enracinent et, au gré de quelques déplacements incontrôlés ou de transhumants clandestins, les colonies essaiment, risquant de venir contaminer des zones expurgées ». Le vice-président s’insurgeait également contre ceux qui n’osaient pas déclarer les maladies de leurs ruches, « à croire que les maladies des abeilles sont des maladies honteuses! ». Il ne croyait pas si bien dire. À peine dix ans plus tard, l’apiculture française subissait l’une de ses plus graves crises sanitaires : l’épidémie naissante de varroase, dont le réseau de vétérinaires de la Fnosad et le laboratoire de Nice n’avaient fait que suivre impuissamment la progression. S’il faut reconnaître que les techniques de l’époque ne permettaient pas de combattre facilement cette épidémie, il n’était pas impossible de freiner considérablement la progression du pathogène.
Or, aucune des méthodes rudimentaires utilisées en sécurité animale n’a été utilisée, que ce soit l’interdiction ou le contrôle des importations de reines, l’arrêt provisoire de la transhumance, le contrôle sanitaire régulier et obligatoire des ruches, la sélection de souches plus rustiques – certes moins productives – d’abeilles et surtout la mise en place d’une prophylaxie à partir de plusieurs matières actives. Les quelques mesures préconisées par André Regard se sont résumées à l’éradication des foyers contaminés. Du côté des syndicats apicoles, on recommandait plutôt la suppression… de la Fnosad ! En 1983, André Regard constatait ainsi avec beaucoup d’amertume : « Certains dirigeants apicoles conseillent de supprimer le Groupement de défense sanitaire apicole départemental et de le remplacer par une section sanitaire au sein d’un syndicat ». Preuve, s’il en faut, que déjà à cette époque le monde apicole n’était pas très solidaire !
Certes, il existait un autre grand laboratoire apicole, situé à Bures-sur-Yvette. La direction en avait échappé au Dr Rousseau alors même que ce dernier s’était beaucoup investi dans sa création, dans les années cinquante. « L’administration avait préféré mettre à sa tête le célèbre entomologiste Rémy Chauvin », rappelle Raymond Borneck. « Entre les deux laboratoires, il y avait aussi une approche différente. Celle de Rémy Chauvin et de son équipe de chercheurs était plutôt axée sur la recherche fondamentale. C’est pour cela que l’Inra a beaucoup insisté pour obtenir la nomination de M. Chauvin », précise-t-il. Cependant, au moment de l’introduction du varroa, le laboratoire de Bures ne s’est pas montré plus efficace que celui de Nice. En outre, le départ à la retraite, en 1984, de l’équipe constituée au lendemain de la Seconde guerre mondiale, a renforcé l’orientation du laboratoire vers la recherche théorique, notamment vers la neurophysiologie, au détriment des problèmes de pathologies. Pourtant, dans le numéro de juillet-août 1986 de La santé de l’abeille, Jean-Paul Faucon, déjà responsable du service Pathologie et hygiène du laboratoire de Nice, constatait : « Ces dernières années, la pathologie apicole a pris une place prépondérante dans les préoccupations des apiculteurs, particulièrement en raison de l’apparition et de l’extension de la varroase ». Il évoquait déjà la « maladie de la disparition », alors qu’aucun traitement de semences par enrobage d’imidaclopride, de fipronil ou d’un autre insecticide de cette lignée, n’existait encore.
« Une première solution à la varoise a été trouvée par la firme chimique Sandoz, qui a racheté une molécule très prometteuse à un laboratoire américain. L’Itapi a fait des essais sur les abeilles pour montrer que cette molécule, qui tue les varroas, est très peu toxique pour l’abeille. Nous avons ainsi réalisé qu’un médicament à base de fluvalinate, un acaricide issu du pyrèthre, pourrait apporter une solution prophylactique », se souvient Raymond Borneck. C’est ainsi qu’est né l’Apistan, au début des années
quatre-vingts. Cet acaricide a donné un bref répit à l’apiculture. Grâce à lui, les apiculteurs pensaient pouvoir maîtriser la maladie. L’ère était donc au soulagement, aux récoltes fastes et surtout… au relâchement de la vigilance ! « À cette époque, les organisations sanitaires étaient avant tout préoccupées par la vente des lanières pour lutter contre le varroa. C’était l’effet fluvalinate, le truc magique qui a presque fait croire que l’apiculture n’avait plus de problèmes de maladies », commente Guy Dronet, ancien président du groupement sanitaire apicole de la Meuse. Au bout de quelques années, l’Apistan a commencé à montrer ses faiblesses. D’autant plus qu’il n’était pas toujours appliqué avec rigueur et que, comme on le savait déjà alors, une monothérapie entraîne plus rapidement des résistances. Jean-Paul Faucon avait beau participer aux assemblées générales départementales, avertissant contre les résistances du varroa à l’Apistan, l’époque était plutôt à la mise en cause des pesticides, surtout depuis le début de l’affaire Gaucho en 1994. Durant ces années, les syndicats apicoles affirmaient haut et fort « maîtriser parfaitement la maladie ». Or, le manque d’attention porté au varroa a permis à cet acarien de s’installer définitivement. Plus grave, il a ouvert une voie royale à d’autres pathogènes. En effet, en entraînant un affaiblissement du système immunitaire des abeilles [[Yang, X. & Cox-Foster, D. 2005. Impact of an ectoparasite on the immunity and pathology of an invertebrate : evidence for host immunosuppression and viral amplification. Proc. Natl. Acad. Sci. USA 102 : 7470 – 7475. ]], le varroa a sans aucun doute permis à une variante de la nosémose jusqu’alors absente en Europe, Nosema ceranae, de s’installer. Inconnu et difficilement détectable, le protozoaire Nosema ceranae s’est multiplié au cours d’une épidémie silencieuse qui a duré plusieurs années. En 2006, le chercheur espagnol Mariano Higes a mis en évidence sa présence chez l’abeille européenne, Apis Mellifera [[Nosema ceranae, a new microsporidian parasite in honeybees in Europe. J. Invertebr. Pathol., 2006]]. La réaction des syndicaux apicoles a été immédiate. Pour eux, cette découverte était une invention des firmes chimiques visant à nier le rôle des pesticides. Du côté des vétérinaires, on restait d’autant plus sceptique que ces travaux mettaient de nouveau l’accent sur l’échec de la veille sanitaire. Pourtant, Nosema cerdane était bien présent en France, comme l’ont démontré Jean-Paul Faucon et son équipe [[Presence of Nosema cerdane in French honey bee colonies. Journal of Apicultural Research, M.-P. Chauzat, M. Higes, R. Martin-Hernandez, A. Meana, N. Cougoule, and J.-P. Faucon. 2007.]].
Aux États-Unis, les chercheurs sont même parvenus à prouver son existence sur le territoire américain depuis 1996 ! Impossible d’en dire autant en ce qui concerne la France, où personne n’a eu le réflexe de conserver des échantillons d’abeilles mortes alors que d’inexplicables mortalités avaient été mises en évidence depuis le début des années quatre-vingt-dix. Une fois encore, le réseau des vétérinaires de la Fnosad s’est montré dépassé par l’ampleur du problème.
Nosema ceranae
En juin 2007, sous la plume de Jean- Marie Barbançon, un vétérinaire reconverti à l’apiculture et membre de l’équipe de formateurs de la Fnosad, La santé de l’abeille publie un étrange article : Nosema ceranae est-il forcément pathogène?. M. Barbançon y affirme qu’« aucune démonstration de son implication dans une maladie de notre abeille n’est apportée par les “découvreurs” ». Le nouveau vice-président de la Fnosad ignore visiblement que depuis mars 2007, la revue Apidologie (une référence dans le monde de l’apiculture) a reçu une publication signée des trois plus grands spécialistes de la nosémose, Robert J. Paxton, Julia Klee et Ingemar Fries, intitulée Nosema ceranae a infecté Apis mellifera en Europe depuis au minimum 1998, et est probablement bien plus virulent que Nosema apis. Dans le numéro suivant, la rédaction de La santé de l’abeille rectifie le tir en publiant un nouvel article, dans lequel on peut lire : « Il ressort de ces études et des rapports du terrain que Nosema cerdane est beaucoup plus virulent pour Apis mellifera que Nosema apis : il envahit plus rapidement le ventricule, ce qui entraîne une mortalité plus rapide des abeilles infectées». Mariano Higes vient en effet de démontrer, expériences in vivo à l’appui, la très grande pathogénicité du protozoaire[[ Experimental infection of Apis mellifera honeybees with Nosema ceranae (Microsporidia), JIP, 2006, & How natural infection by Nosema ceranae causes honeybee colony collapse, EMI, 2008. ]]! Mais rien n’y fait. En mars 2008, lors de l’assemblée générale de la Fnosad, Jean-Marie Barbançon n’hésite pas à expliquer que si les abeilles ne se portent pas bien, c’est qu’elles « vivent dans l’environnement, lequel contient nombre de pesticides». « Affaiblies, stressées, elles sont d’autant plus sensibles aux pathogènes de toutes sortes », explique le vétérinaire à la retraite, qui souhaite visiblement continuer à braquer les projecteurs sur les pesticides, alors qu’il devient évident pour tout le monde que le cheptel apicole n’a jamais été autant contaminé par de multiples pathogènes. Aujourd’hui, tous les chercheurs s’accordent par exemple à décrire la gravité des dommages causés par le varroa. « [Avec cet acarien,] on observe chez les nymphes, les ouvrières et les mâles, une diminution du volume de l’hémolymphe, de sa concentration en protéines et en sucres, une réduction de la taille et de la masse corporelle (de 6 à 22 % chez les ouvrières), de la longévité (de 34 à 68 % chez les ouvrières) et du nombre de spermatozoïdes produits par les mâles (de 24 à 50 % !). De tels chiffres sont effrayants. Ils s’accompagnent de troubles comportementaux dans les colonies, comme la diminution des vols et de leur durée », explique Michel Aubert, ancien directeur de recherches à l’Afssa, en charge du laboratoire de Sophia-Antipolis. Entre des faits graves systématiquement avérés et des suppositions non vérifiées, il aurait été bon de garder le sens de la mesure ! Le discours de Jean-Marie Barbançon est repris par un autre vétérinaire, Marc-Édouard Colin. Invité en octobre 2007 à l’université d’automne de l’Unau, ce dernier explique que même infectées par la nosémose, les colonies sont « saines et ne présentent aucun symptôme ». « Comme dans le cas espagnol, il ressort que l’infection par Nosema cerdane est beaucoup plus répandue que celle occasionnée par Nosema apis. Et cela sans que des catastrophes soient signalées dans les ruchers », ajoute-t-il. « Il est loisible de se demander si Nosema cerdane est réellement pathogène dans les conditions de terrain », conclut le vétérinaire, pour qui il n’y a « pas lieu de paniquer par rapport à ce parasite ». Pour les virus, même discours. En collaboration avec Laurent Gauthier, du laboratoire de Pathovigilance et de développement apicole de Supagro Montpellier, Marc Édouard Colin a publié une étude visant à démontrer que le virus des ailes déformées (dwv), très présent chez Apis mellifera, est « peu pathogène pour l’abeille domestique et pour Varroa destructor » [[Polymerase chain reaction detection of deformed wing virus (DWV) in Apis mellifera and Varroa destructor, Apidologie, 2005.]] . Répondant à une étude américaine qui met en relation un nouveau virus, l’IAPV, avec le syndrome de mortalité des abeilles, Laurent Gauthier déclare que « les virus peuvent aussi être une conséquence, plutôt qu’une cause ». « La question est de savoir s’il existe des facteurs de déséquilibre favorisant la prolifération de ces pathogènes », poursuit-il, faisant clairement allusion à des problèmes environnementaux. Ensemble, les auteurs ont conduit une enquête sur trente cinq ruchers, répartis sur toute la France. Ils les ont tous trouvés infectés par plusieurs virus. Ce qui ne les a pas empêchés de les déclarer bien portants ! Or, peuvent-ils ignorer les recherches réalisées à l’étranger ? Peuvent-ils méconnaître que le varroa et les virus qu’il favorise se passent bien de l’ultime concours des pesticides pour détruire les ruchers ? Qu’importe, selon eux, ni la présence de Nosema cerdane, ni celle de certains virus, ne doit inquiéter les apiculteurs.
De curieux traitements
N’est-il pas étrange de constater qu’un réseau de surveillance des pathologies des abeilles confié à des vétérinaires semble prendre autant à la légère les différentes pathologies présentes dans le cheptel apicole ? Et que lorsqu’il s’agit de proposer des traitements, ce ne soient pas les solutions les plus efficaces qui sont conseillées ? Ainsi, par principe, l’usage des antibiotiques est largement déconseillé. Même lorsqu’il s’agit de combattre la loque américaine, une maladie classée comme très contagieuse. Pourtant, suite à un protocole de traitement proposé par l’Afssa, la Direction générale de l’alimentions (dgal) autorise depuis le 7 janvier 2005 un traitement à base d’antibiotique pour les ruchers atteints de loque. Une décision dont la pertinence est contestée par Jean-Marie Barbançon, qui conseille comme alternative aux antibiotiques « une poudre jaune, le soufre, pour asphyxier [les colonies malades [[Le Bulletin du GDSA-29Invité en octobre, N°12, 3ème trimestre 2005.]] ] ». De même en ce qui concerne Nosema ceranae. Le protozoaire peut être combattu avec un antibiotique produit à partir d’Aspergillus fumigatus (la fumagilline), autorisé aux États-Unis mais interdit dans toute l’Europe. Seule l’Espagne a accordé une dérogation pour son utilisation. La Fnosad, elle, n’a jamais été très mobilisée sur ce dossier. Comme s’il fallait à tout prix éviter un traitement à base de molécules de synthèse. D’ailleurs, pour lutter contre le varroa, Jean-Marie Barbançon préconise d’utiliser un produit « naturel », un acide organique d’origine végétale : l’acide oxalique. Dans le N°666 d’Abeilles et Fleurs, la revue de l’Unaf, il publie un « mode d’emploi » de quatre pages destiné aux amateurs, alors que « quelques grammes [d’acide oxalique] pourraient tuer une personne adulte » ! Bien entendu, ce produit ne dispose d’aucune AMM. Il est donc interdit d’usage pour les apiculteurs conventionnels. Seuls les apiculteurs bio peuvent l’utiliser, sur prescription d’un vétérinaire. Ce qui n’empêche pas Jean-Marie Barbançon de décrire toutes les étapes permettant à n’importe quel apiculteur de procéder lui-même à sa préparation… tout en admettant que ce traitement n’est pas anodin pour les abeilles et qu’il présente une efficacité très relative !
Est-ce cette évidente impuissance face aux maladies qui a poussé la Fnosad à privilégier le combat contre les pesticides ? La question mérite d’être posée. En effet, à l’image des principaux syndicats, la fédération a contribué à affecter l’essentiel des crédits à la toxicologie, privant ainsi la recherche sur les pathologies de moyens substantiels. Certes, quelques budgets ont bien été accordés à la recherche sur la varoise, mais sans qu’aucun résultat concret ne s’ensuive. Du côté de l’Afssa, Michel Aubert a poursuivi entre 2002 et 2008 la modernisation de l’unité Abeille entreprise par son prédécesseur, Michel Pépin. S’appuyant sur l’expérience de Jean-Paul Faucon, il a acquis de nouveaux matériels scientifiques pour les analyses chimiques et virologiques, renforcé l’équipe et recherché des contrats et des collaborations internationales. Toutefois, la qualité d’un service d’épidémiologie ne dépend pas uniquement de celle de son matériel – bien qu’il s’agisse là d’une condition indispensable. Encore faut-il que cette équipe dispose d’un relais opérationnel sur le terrain. Or, le courage qu’a eu l’unité Abeille d’insister sur le rôle des maladies en pleine crise Gaucho-Régent a créé une rupture entre le laboratoire de Sophia-Antipolis et une partie du monde apicole, dont profitent
les dirigeants actuels de la Fnosad, trop heureux de reprendre un pouvoir qui leur avait échappé. D’autant plus qu’en février 2008, Michel Aubert – qui s’était sans doute trop exposé dans les médias [[On ne peut s’empêcher de constater que le limogeage de Michel Aubert a suivi de quelques
mois la publication par La France agricole d’une interview dans laquelle il déclarait que « le Gaucho avait été une fausse piste »]]. – a été remercié par sa direction avant même d’avoir pu terminer la réorganisation de l’unité Abeille.
Un système en échec
Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que « le système sanitaire apicole [soit] en échec depuis de nombreuses années », comme l’admet lui-même M. Barbançon dans son éditorial de juillet 2008. « Absence quasi généralisée de diagnostic établi dans la plupart des troubles signalés. Voilà des années que les apiculteurs français sont transformés en gestionnaires de l’à-peu-près », poursuit-il. Un constat que partage totalement Guy Dronet. « Bien que l’Europe ait apporté sa part de financement, le réseau d’agents sanitaires apicoles formé par la Fnosad n’a jamais vraiment été à la hauteur. Certains agents sont même incapables de diagnostiquer les maladies les plus élémentaires. Tout cela n’est pas sérieux », s’insurge-t-il. Aujourd’hui, pour sortir de la crise sanitaire, l’apiculture française a besoin d’un réseau de surveillance capable de faire remonter une véritable information sur l’état sanitaire des ruchers. C’est-à-dire d’obtenir des prélèvements aléatoires et suffisamment représentatifs des différentes pratiques (de montagne, de plaine, d’apiculture professionnelle ou non), et pas seulement des échantillons d’abeilles mortes en provenance de quelques ruches. D’autre part, il est impératif que cette information soit confrontée aux résultats de la recherche génomique sur les différents types d’abeilles et sur les pathogènes. En effet, sans la création d’un grand pôle technique multidisciplinaire conjuguant génomique, parasitologie, virologie, nutrition, neurobiologie, pharmacologie, toxicologie et immunologie, regroupant une cinquantaine de personnes et disposant du fruit des dernières révolutions technologiques, l’avenir de l’apiculture française sera en péril, tout comme celui de la pollinisation.