Promotion oblige, le magazine Sciences et Avenir n’a rien trouvé de mieux pour vendre son numéro d’avril que de proposer gratuitement à ses lecteurs le DVD du reportage de Natacha Calestrémé, déjà diffusé par France 5 et intitulé « La disparition des abeilles : la fin d’un mystère« . Pourtant, la conclusion de l’« enquête » de la réalisatrice est stupéfiante : derrière les mortalités d’abeilles se cacherait un coupable unique : les pesticides. Certes, d’autres causes peuvent être à l’origine des mortalités, admet-elle, mais celles-ci n’ont lieu que parce que les abeilles sont déjà affaiblies par l’effet cocktail des produits phytosanitaires. « Nous nous sommes aperçus qu’il ne fallait pas confondre cause et conséquences. Si les abeilles résistent mal à ces pathologies, c’est d’abord parce que leur organisme est affaibli par les pesticides », clame Natacha Calestrémé dans un entretien accordé au Nouvel Observateur le 26 mars 2009.
Cette thèse somme tout assez simpliste n’est pas à la hauteur des prétentions d’un magazine scientifique… Dommage ! Le lecteur de Science et Avenir aura davantage de plaisir à lire l’excellent article de la revue américaine Scientific American, qui présente dans son édition d’avril 2009 les derniers résultats des travaux en cours à ce sujet. Rédigé par deux chercheurs américains en charge du syndrome d’effondrement des colonies (baptisé Colony Collapse Disorder ou CCD), le Pr Diana Cox-Foster et Dennis vanEngelsdorp, l’article confirme l’existence de multiples causes qui contribuent ensemble à affecter les abeilles.
Leurs travaux, réalisés à grande échelle aux Etats-Unis depuis le printemps 2007 par une équipe de scientifiques interdisciplinaires, révèlent la complexité des causes des mortalités observées dans toutes les régions depuis 2006, sans pouvoir en identifier une seule comme étant le principal responsable. « Même avant le CCD, les ruches avaient souffert d’un nombre de maladies qui avait réduit leur population. Le nombre de ruchers géré en 2006 par les apiculteurs était proche de 2,4 millions, soit la moitié de ce qu’il était en 1949 », indique l’article.
Contrairement au discours apocalyptique largement diffusé dans le film de Mme Calestrémé, les chercheurs estiment que cette épidémie risque de mettre en péril l’activité d’un grand nombre d’apiculteurs dans le monde, mais qu’elle ne débouchera certainement pas sur la disparition totale des abeilles. « Bien que l’ampleur des pertes soit exceptionnelle, le CCD n’entraînera probablement pas l’extinction des abeilles », notent en effet les auteurs.
« L’un d’entre nous a effectué des autopsies sur des échantillons d’abeilles résiduelles des ruchers atteints par le CCD, et a trouvé des symptômes jamais observés auparavant, comme des tissus affectés dans les organes internes des abeilles. Les tests initiaux ont aussi détecté quelques sources de soupçons connues parmi les maladies des abeilles », indique l’article. Toutefois, les causes habituelles de mortalité connues jusqu’ici chez les abeilles et détectées dans ces échantillons testés étaient trop faibles pour expliquer l’ampleur de cette disparition massive et rapide. D’autres analyses moléculaires réalisées ont révélé une présence surprenante, et à des niveaux exceptionnellement élevés, d’infections virales de types déjà répertoriés, mais aucune maladie commune à toutes les victimes n’a pu être identifiée.
« Des échantillons ont été expédiés à notre collègue David Tarpy de l’Université de l’Etat de la Caroline du Nord, qui a mesuré les teneurs en protéine. Le Pr Tarpy n’a pas trouvé de différence notable entre les ruchers affectés et d’autres qui paraissent en bonne santé », poursuit l’article. Il suggère dans sa conclusion que l’état nutritionnel en soi ne peut pas expliquer le CCD.
Les multiples études simultanément menées par de nombreuses équipes d’experts spécialisés dans les abeilles n’ont pu affirmer avec certitude le bien-fondé de la théorie qui porte sur des produits chimiques synthétiques, y compris les acaricides que les apiculteurs utilisent pour lutter contre le varroa, ou les pesticides utilisés pour la protection des cultures dans les champs visités par les butineuses. L’équipe de l’Université de l’Etat de Pennsylvanie, sous la direction de Maryann Frazier, a mis en évidence plus de 170 produits chimiques différents. « Mais tant le niveau que la diversité des produits chimiques concernés ne permettent pas de mettre en évidence le tueur responsable du CCD », indique l’article, qui rappelle que « parfois, des colonies saines avaient un niveau plus élevé de substances chimiques par rapport aux colonies souffrantes ».
En conclusion, les études plus récentes menées sur de plus longues périodes d’observation ont conduit les chercheurs à consensus qui affirme que la perte des abeilles est due à une complexe combinaison de multiples facteurs dont certains sont identifiés et qualifiés d’inattendus.
Bref, une approche scientifique, raisonnable et pertinente… que l’on trouve difficilement dans le film réalisé par Mme Calestrémé.