AccueilApicultureLe déclin des abeilles une nouvelle fois « en voie d’élucidation »

Le déclin des abeilles une nouvelle fois « en voie d’élucidation »

Deux ans après Natacha Calestrémé, qui annonçait déjà « la fin d’un mystère» dans son documentaire sur la disparition des abeilles, c’est au tour de Stéphane Foucart de clamer que «le déclin massif des abeilles est en voie d’élucidation». Le journaliste au Monde s’appuie sur une récente étude [[Exposure to sublethal doses of fipronil and thiacloprid highly increases mortality of honeybees previously infected by Nosema ceranae, Delbac F. and al., PLoS One, june 2011.]] réalisée par un groupe de chercheurs français dirigé par Frédéric Delbac, qui aurait mis en évidence l’effet délétère de l’association de deux insecticides (le fipronil et le thiaclopride) avec un parasite (Nosema ceranae). «Selon des travaux publiés dans la dernière édition de la revue PLoS One, c’est une synergie entre ces deux facteurs qui est sans doute à l’origine du déclin de l’insecte social », avance Stéphane Foucart.̀

À l’en croire, les chercheurs français auraient donc fait une découverte essentielle. Or, ces travaux ne présentent rien de nouveau, si ce n’est le choix des insecticides. En effet, dès 2009, Luc Belzunces et Yves Le Conte avaient déjà publié une étude qui suggérait un effet cocktail provoqué par l’association Nosema ceranae-imidaclopride. À l’époque, leurs travaux étaient plutôt passés inaperçus. Et pour cause ! Ils mettaient notamment en évidence le caractère létal – et non opportuniste– de Nosema ceranae, à un moment où l’essentiel des syndicats apicoles français ne reconnaissaient pas le danger de ce redoutable pathogène.

Nosema ceranae : un parasite hautement pathogène

C’est d’ailleurs toujours ce qu’affirme Stéphane Foucart – certes plus spécialiste des questions climatiques que des hyménoptères. Pour lui, Nosema ceranae est «un parasite intestinal très courant» qui, à lui seul, ne provoque que des mortalités limitées. Curieux! En tout cas si l’on en croit les conclusions de l’étude de Frédéric Delbac et al., qui relève dans le lot d’abeilles vierges d’insecticides mais préalablement infectées par NC une mortalité de 47% après seulement 20 jours. Ce qui représente près d’une abeille sur deux ! Même Luc Belzunces et Yves Le Conte n’avaient pas observé un tel taux («seulement» 30% de mortalités chez les abeilles
non exposées aux pesticides).

En revanche, l’équipe de Frédéric Delbac admet que les deux insecticides ne provoquent à eux seuls aucune mortalité. «Comparé aux groupes témoins d’abeilles non infectés par NC et non exposés aux insecticides, le groupe d’abeilles soumis à l’exposition du fipronil et du thiaclopride ne montre aucune différence du taux de mortalité durant la durée de l’expérimentation», peut-on lire dans l’étude. Autrement dit, l’usage correct du fipronil et du thiaclopride en présence d’abeilles saines ne de- vrait causer aucun problème. Un point qui aurait mérité d’être davantage développé par Stéphane Foucart et par les syndicats apicoles…

Des effets différents

Il en va de même de la partie de l’étude qui porte sur les surprenantes différences d’effets de ces deux insecticides sur les abeilles. «L’analyse statistique révèle que l’exposition au fipronil réduit de façon considérable la production de spores chez les abeilles infectées, alors que l’exposition au thiaclopride l’accroît», constatent ainsi les auteurs. Et ces différences sont de taille: les spores diminuent de 33 % avec le fipronil, alors qu’elles augmentent de 40% avec le thiaclopride! En clair, l’exposition au fipronil ralentit la progression de Nosema ceranae, tandis que l’exposition au thiaclopride l’accélère… Les auteurs n’apportent toutefois aucune explication sur ces effets «antagonistes».

Peut-on les attribuer au fait que ces deux produits appartiennent à des familles chimiques différentes? Pas vraiment, puisque ce phénomène de réduction des spores suite à l’exposition à un insecticide a lui aussi déjà été mis en évidence, mais avec un insecticide de la même famille que le thiaclopride, l’imidaclopride. Les chercheurs avaient alors suggéré que cet insecticide apportait un effet inhibiteur sur la germination des spores. Effet qui ne serait donc pas lié à la structure chimique de l’insecticide, puisque le thiaclopride et l’imidaclopride ont le même mode d’action, même s’ils appartiennent à deux sous-familles distinctes ayant chacune un spectre d’action différent.

Curieusement, Stéphane Foucart n’a rien retenu de tout cela. «Le fait
singulier est plutôt que chacune des deux molécules – appartenant pourtant à deux familles chimiques très différentes – provoque des effets comparables lorsqu’elle est associée au parasite »,
rapporte le journaliste. Pour lui, c’est surtout le haut taux de mortalité constaté (entre 71 et 82% selon l’insecticide associé à NC) qui prime. Il appelle par conséquent à « un réexamen des autorisations des molécules phytosanitaires», au moment même où le Cruiser vient d’obtenir une autorisation pour usage sur colza.

mort

Il y a cependant peu de risques que les autorités sanitaires procèdent à un tel réexamen. D’une part parce que cette étude n’apporte rien de fondamentalement nouveau. En effet, de nombreuses études ont déjà été publiées sur les effets synergiques de plusieurs facteurs sur les abeilles. Et pas seulement entre pathogènes et pesticides, mais aussi entre NC et virus (voir A&E N°86, nov. 2010). L’étude de l’équipe Delbac ne fait donc que confirmer le caractère multifactoriel des mortalités d’abeilles. D’autre part, parce qu’il s’agit ici d’une étude effectuée en laboratoire, et non en conditions réelles. C’est-à-dire avec des conditions de stress différentes. En outre, les abeilles n’ont pas été «exposées» à des insecticides, mais forcées d’absorber un sirop contenant soit du fipronil, soit du thiaclopride.

Comme le rappelle le coordinateur de la recherche américaine sur les abeilles, l’entomologiste américain Jeff Pettis, toute expérimentation en laboratoire nécessite une confirmation sur le terrain. C’est précisément parce qu’il a pu vérifier que des effets observés en laboratoire « n’étaient pas présents dans les essais en plein champ » qu’il a été conduit à exprimer ses doutes sur le rôle des néonicotinoïdes dans le syndrome de disparition des abeilles. Reste enfin à savoir comment les travaux français seront analysés par les chercheurs du laboratoire de l’Anses-Sophia-Antipolis, récemment baptisé par la Commission européenne Laboratoire de référence de l’Union européenne pour la santé des abeilles…

Pour aller plus loin :
Derniers articles :

Dans la même rubrique

Les non-dits de la crise apicole de 2024

L’année 2024 marque une nouvelle crise apicole en France, prise dans un étau entre des faibles rendements, une augmentation significative du nombre d’apiculteurs et...

Recevez notre newsletter pour ne pas manquer nos infos, analyses et décryptages