Décision très attendue pour le dernier et plus ancien essai en plein champ de plantes transgéniques !
Le 15 avril 2013, le Haut conseil des biotechnologies (HCB) a rendu son double avis concernant la prolongation, pour une durée de cinq ans, d’un essai en champ élaboré par l’INRA d’Orléans sur dix lignées de peupliers génétiquement modifiés. Situé sur la commune de Saint-Cyr-en-Val, près d’Orléans, l’essai occupe une surface d’environ 1 300 m2, ce qui correspond à un rectangle de 30 m sur 40 m, ou tout juste au cinquième d’un terrain de football. Sans surprise, les 40 experts du Comité scientifique (CS) du HCB ont donné leur feu vert à ce projet. Et sans surprise, les 14 membres résiduels de son Comité économique, éthique et social (CEES) – les représentants de plusieurs organisations professionnelles et syndicales ayant en effet démissionné l’an dernier – s’y sont opposés. Pourtant, l’avis est unanime: ce projet ne présente aucun risque sanitaire ni environnemental. «S’agissant de la sécurité de l’expérimentation, la lecture du dossier et de l’avis du CS indique qu’en l’état des connaissances, aucun impact n’a été identifié pour la santé humaine ou pour l’environnement», admet le CEES. L’utilisation de plants exclusivement femelles permet effectivement d’assurer une absence de dissémination des transgènes par le pollen, tandis que la dissémination par graines est maîtrisée grâce à une coupe des tiges au bout de trois ans, la floraison n’apparaissant qu’à la quatrième année. En outre, il ne peut y avoir aucun risque pour la sécurité alimentaire humaine, les peupliers n’ayant pas vocation à finir dans l’assiette des consommateurs… Enfin, cette demande de prolongation concerne le plus ancien essai de plantes transgéniques en champ. En effet, une première autorisation avait été accordée en 1995 par la Commission du génie biomoléculaire, transformée en HCB depuis le Grenelle de l’environnement. Pendant toute cette période, rien n’a été signalé. Cela fait donc presque vingt ans que l’unité « Amélioration, Génétique et Physiologie Forestières» (AGPF) travaille sur un projet que seuls dix militants écologistes radicaux, majoritaires au sein du CEES, estiment « dépourvu de tout intérêt ». Quelle arrogance !
Pour justifier une position qui n’est rien d’autre qu’une opposition de principe à toute forme d’essai en plein champ, ces dix militants anti-OGM (qui représentent notamment Greenpeace, les Amis de la Terre, la Fédération nationale de l’agriculture biologique, la Confédération paysanne et France Nature Environnement) se sont appuyés sur ce qu’Olivier Le Gall, directeur général délégué de l’INRA, a qualifié de maladresse dans la formulation de la demande d’autorisation. «Même quand nos chercheurs font de la recherche fondamentale avec une perspective de finalisation éloignée comme ici, ils sont conditionnés à mettre en avant les applications commerciales dans leur présentation de projets», a-t-il déclaré à A&E. Ce qui explique pourquoi l’intitulé de la demande rattache clairement l’expérimentation à la production de bioénergie. Autrement dit, l’énoncé et la présentation du projet ont été élaborés davantage en fonction des critères liés à son acceptation sociétale – en l’occurrence les énergies alternatives – qu’à son intérêt académique et scientifique. Erreur de casting car, bien entendu, le résultat ne s’est pas fait attendre : l’essentiel de l’argumentaire des 10 militants anti-OGM du CEES porte sur le «manque d’intérêt de produire du bioéthanol à partir de peupliers, qu’ils soient génétiquement modifiés ou non». La Confédération paysanne enfonce le clou en appelant à la «destruction immédiate de ces peupliers OGM qui ne disposent plus d’aucune autorisation depuis le 31 décembre ». «Alors que nous manquons cruellement de terres agricoles, que chaque année, 70 000 hectares d’entre elles disparaissent sous le béton, il n’est pas acceptable que les financements encore disponibles pour la recherche publique soient gaspillés pour des projets aussi scandaleux», s’enflamme Guy Kastler, membre de la Conf’… et représentant du syndicat au sein du CEES. Même discours de la part de l’association anti-OGM Inf’OGM, qui titre sur son site internet : «Des peupliers OGM pour des projets industriels aberrants».
«Il s’agit d’une recherche sur une plante ligneuse modèle. Si les connaissances génériques devaient déboucher sur des applications industrielles, cela se ferait peut-être avec d’autres espèces que le peuplier, et pas nécessairement avec des arbres transgéniques, et peut-être même pas avec des arbres», rétorque Olivier Le Gall. Pour le responsable de l’INRA, ces critiques sont non seulement injustifiées, mais «déconnectées de la réalité». Pour bien saisir le contexte général de cette expérimentation, un petit retour historique s’impose.
Le peuplier : un arbre modèle
Depuis presque vingt ans, l’unité forestière de l’INRA tente de comprendre et d’étudier les propriétés des lignines du bois grâce, entre autres outils, aux peupliers transgéniques. «Constituants majeurs du bois, les lignines ”cimentent” les microfibrilles de cellulose entre elles. Elles ont principalement trois fonctions : rigidifier les parois des fibres du bois qui concourent au soutien mécanique du tronc et des branches ; rendre étanche ses conduits, facilitant ainsi la conduction de la sève brute des racines au houppier ; et apporter une barrière contre les attaques des pathogènes», explique Gilles Pilate, directeur de l’unité AGPF à l’INRA. «La modification des lignines est donc susceptible d’avoir des conséquences sur la croissance et le développement de l’arbre», poursuit l’expert. Or, présente à hauteur de 15 à 36 % du bois selon les espèces, la lignine est recherchée pour son pouvoir calorifique important dans la combustion, ou comme liant dans l’alimentation animale industrielle. En revanche, elle représente un inconvénient pour la fabrication de papier. «Lors de la transformation du bois en pâte à papier, l’élimination de la lignine constitue une opération lourde qui nécessite un apport énergétique important et est source de pollution. On connaît les enzymes-clés du métabolisme de ces lignines et on peut donc envisager l’introduction de gènes afin d’augmenter ou de diminuer l’activité de ces enzymes. Selon les enzymes-cibles, les arbres transformés peuvent avoir un contenu en lignine plus faible ou élaborer une lignine de qualité différente», expliquait Gilles Pilate dès 1998.
C’est précisément sur ce point que les chercheurs se sont focalisés. Et ce n’est pas un hasard s’ils ont choisi le peuplier. Cet arbre un peu à part pousse en effet très vite et fournit une production maximale de biomasse sur de courtes rotations (cinq à sept ans). En outre, sa culture in vitro est facile, et son génome, de taille modeste, est l’un des premiers à avoir été décodé (l’INRA d’Orléans y avait participé en 2006). Le peuplier possède 45 500 gènes codant des protéines, soit presque 50 fois moins que le pin (mais presque 2 fois plus que l’Homo sapiens). Bref, c’est une espèce idéale pour la recherche. Ce qui explique que plusieurs expérimentations ont vu le jour dans le monde, avec pour objectif principal de diminuer le taux de lignine dans le bois, ou de modifier sa composition. Projet ambitieux, car pour pouvoir altérer la synthèse de la lignine, il faut au préalable avoir identifié la quinzaine de gènes qui y sont impliqués. «Pour certaines caractéristiques des arbres, l’observation seule peut permettre de repérer les variétés d’intérêt. C’est le cas par exemple pour la vigueur, la forme de la tige et la phénologie [[La phénologie est l’étude de l’apparition d’événements périodiques déterminés notamment par les variations saisonnières du climat.]]. En revanche, certaines fonctions supposent de connaître les gènes impliqués. C’est le cas pour le contenu en lignine ou en cellulose, ou encore la résistance à certains pathogènes et prédateurs. Dans ces cas, la transgénèse s’avère un outil indispensable pour confirmer le rôle des gènes impliqués», poursuit Gilles Pilate.
«En supprimant la cinnamyl alcool déshydrogénase (CAD), une enzyme-clé de la voie de biosynthèse des lignines, on entraîne la formation d’un polymère de lignines comportant une plus grande quantité de groupements phénoliques libres. Plus fragmenté, il est donc plus facilement attaqué par les agents chimiques lors de l’étape de délignification. De fait, ces modifications ont facilité l’extraction de la lignine par un traitement alcalin doux, et ont donc permis une réduction importante de la quantité de produits alcalins nécessaires à l’extraction des lignines dans le processus de production de la pâte à papier. De ce fait, la cellulose conserve un meilleur degré de polymérisation, ce qui permet d’obtenir un papier de qualité supérieure. De plus, le rendement en pâte est augmenté de 3% environ, ce qui est considérable au vu des énormes quantités de papier produites annuellement. Ainsi, ces peupliers à lignines modifiées, tout en diminuant les coûts de production, permettent d’obtenir, avec un meilleur rendement, un papier de plus grande qualité. C’est la démonstration qu’une application du génie génétique peut être potentiellement bénéfique pour l’industrie papetière, aussi bien du point de vue environnemental qu’économique», explique Gilles Pilate. Bref, rien à dire en ce qui concerne le volet scientifique de ce projet, sinon qu’il a été couronné de succès.
Distinguer innovation et recherche fondamentale
Pourtant, jusqu’à présent, l’industrie papetière ne s’est pas montrée particulièrement intéressée. « Il faut distinguer innovation et recherche fondamentale », explique Olivier Le Gall. « L’innovation implique par définition un partenariat avec un acteur industriel, alors que la recherche fondamentale, qui se fait sur fonds publics, a comme premier objectif de faire avancer la connaissance scientifique. Quoi qu’en pensent les opposants, la prolongation du projet de l’INRA sur les peupliers génétiquement modifiés se situe bien dans ce dernier cadre », affirme le délégué scientifique de l’INRA, qui ajoute: « Évidemment, les connaissances générées sur la relation entre la structure de la lignine et les propriétés du bois peuvent avoir des applications dans différents domaines, et nous ne nous interdirons pas de nouer des partenariats pour les valoriser, mais aujourd’hui nous sommes plus en amont ». Un avis bien entendu partagé par Gilles Pilate, qui rappelle que la prolongation de l’essai permettrait d’analyser le comportement des arbres dans le temps. « Pour l’instant, nous travaillons avec des variétés qui ont été modifiées au siècle dernier », insiste le chercheur. « Quelle que soit la destination finale de la cellulose –pour en faire de l’énergie ou du papier–, arriver à la séparer avec plus de facilité de la lignine permettrait également de valoriser cette dernière molécule, qui peut avoir une très haute valeur ajoutée dans de multiples applications », poursuit-il.
Si le ministre refuse la prolongation d’un essai d’un organisme public, il signe l’arrêt définitif de toute forme de recherche en plein champ sur les plantes transgéniques.
Un enjeu de taille
Reste à savoir si ce message sera entendu par le ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll, dont dépend aujourd’hui le futur du projet. « On imagine les pressions qu’il doit subir de la part des lobbies de l’industrie des PGM », écrit sur son blog Jean-François Dumas, ex-maire-adjoint écologiste de Fontenay-aux-Roses. Le militant anti-OGM n’épargne pas l’INRA : « Pressions aussi d’organismes de recherche comme l’INRA, de ses mandarins et de chercheurs imbus de leur savoir, méprisant le vulgum pecus ignare ». Pas un mot, bien entendu, sur les vraies pressions exercées en coulisses par le lobby anti-OG, ni celles, plus directes et menaçantes, des Faucheurs Volontaires, qui ont clairement fait savoir qu’ils attendaient la première occasion pour passer à l’action, estimant que le « droit de destruction » leur a désormais été accordé par le CEES.
En réalité, le véritable enjeu de cette affaire n’est pas dans ce dernier essai en champ de plantes transgéniques, dont la pertinence s’inscrit très certainement plus dans le long terme que dans une application immédiate : si le ministre refuse la prolongation d’un essai d’un organisme public en s’appuyant sur les seules recommandations d’une poignée de dix opposants notoires aux biotechnologies végétales siégeant au sein du CEES, et au mépris de l’avis du comité scientifique du HCB, il signe l’arrêt définitif de toute forme de recherche en plein champ. Car la constitution même du CEES a été élaborée par la cellule anti-OGM de l’ancien président Sarkozy précisément pour avoir un avis défavorable quel que soit le projet proposé. Ce qui explique la démission de l’ensemble des représentants du monde professionnel, las de jouer à ce ridicule jeu de dupes.