A&E : Vous appelez à une grande manifestation le 5 décembre. Qu’attendez-vous du ministre de l’Agriculture ?
Christophe Barrailh : Telle qu’elle est envisagée aujourd’hui, la réforme de la PAC à la française va avoir de sévères incidences économiques pour la Ferme Landes. Suite aux déclarations consécutives au cadrage européen du mois de juin et au discours du Président Hollande à Cournon, nous avons d’ores et déjà établi un nombre de scénarios qui font apparaître, pour notre département, une baisse des aides en masse et en valeur absolue de l’ordre de 12,5 millions d’euros. Ces pertes sont liées à un phénomène très simple : l’harmonisation des aides au niveau national à l’aide du principe de convergence. Le département des Landes est constitué principalement de petites structures d’exploitation, dont la superficie moyenne se situe autour de 35 ha, et qui bénéficient aujourd’hui de soutiens élevés à l’hectare. Cela résulte d’un combat historique porté par mes prédécesseurs dans les années 90. Ces derniers ont défendu l’idée d’une agriculture capable de créer de la valeur ajoutée grâce à des structures d’exploitation moyennes, souvent adossées à des filières de transformation animale sous signe de qualité. D’où une répartition équilibrée entre les filières végétales et animales, avec une particularité : alors que l’élevage en France est plutôt constitué de ruminants, 70% des élevages landais sont des granivores (canards, poulets). C’est ce qu’on appelle le « schéma landais », qui permet une transformation régionale du maïs dans des produits à haute valeur ajoutée (foie gras du Sud-Ouest ou volaille de St Sever).
Ce modèle de petites exploitations qui créent une valeur ajoutée n’est-il pas précisément le modèle défendu par Stéphane Le Foll ?
Certes, mais le diable se cache dans les détails ! Le ministre annonce une réforme équitable et en faveur de l’élevage. Or, quand on raisonne en montant de droit à paiement unique (DPU) à l’hectare et qu’on a des DPU supérieurs à la moyenne, on ne peut que perdre. C’est ce qui nous arrive, puisque le soutien moyen par exploitation est de l’ordre de 17.000 euros, alors que la moyenne nationale est à 22.000 euros. Le montant élevé des soutiens à l’hectare était précisément la contrepartie de la taille plus que raisonnable de nos petites exploitations. C’est ce qui nous fait craindre une diminution du nombre d’agriculteurs dans le département des Landes avec, en revanche, un agrandissement des exploitations. Est-ce vraiment ce que souhaite monsieur Le Foll ?
Ensuite, le ministre explique qu’il va soutenir l’élevage. Mais il faudrait compléter sa phrase avec une petite précision : il s’agit de l’élevage herbivore et extensif. Ce qui n’est pas du tout notre modèle. Nous apparaissons donc comme les laissés-pour-compte de cette réforme.
Stéphane Le Foll propose toutefois d’apporter un soutien aux petites structures grâce à la bonification des 50 premiers hectares. Sur ce point au moins, vous ne pouvez que le soutenir ?
Certes, sur le papier, il n’y a rien à dire. Mais la réalité est bien différente. Dans le département des Landes, deux formes d’exploitations agricoles cohabitent : d’une part des structures d’exploitation largement inférieures à 50 ha, avec le plus souvent des agriculteurs pluriactifs qui ont fait le choix de travailler à l’extérieur et qui produisent de la matière première (en l’occurrence du maïs). Ceux-là vont en effet bénéficier d’une surdotation.
D’autre part, il y a les agriculteurs qui ont fait le choix de se regrouper, soit en Gaec, soit sous forme sociétaire. Ils possèdent souvent un atelier d’élevage, ou bien ils se sont diversifiés dans des cultures spécialisées comme la production de semences ou celle des légumes en plein champ (haricots verts, petits pois, carottes, pommes de terre, etc.). Du simple fait de leur structure administrative, ils ne bénéficieront que très partiellement de l’accompagnement défendu par Stéphane Le Foll. Or, non seulement ils sont très nombreux sur le territoire landais, mais ils sont ceux qui apportent la plus grande valeur ajoutée à l’économie locale.
Au final, les aides vont donc aller en priorité aux pluriactifs, et non pas à ceux qui se sont organisés pour apporter une valeur ajoutée grâce à la qualité de leur production.
Vous contestez également les mesures de verdissement ?
Oui, car à ces difficultés économiques s’ajoute une aberration agronomique. Le maïs est cultivé depuis des décennies dans le département sans que cela ne pose de problème de perte de matière organique ni de qualité de sol. Il existe des systèmes de monoculture du maïs durables, et surtout, qui ont permis de conforter des petites structures agricoles. La mesure qui consiste à obliger la diversité des cultures est totalement inadaptée à nos territoires. Soyons clairs, les grandes exploitations exclusivement maïsicoles de plusieurs centaines d’hectares n’existent pas dans notre département. En effet, elles ont toutes diversifié leur assolement en cultivant également des légumes de plein champ. C’est donc un non-sujet. Pire, c’est un fantasme !
En revanche, ce qui existe, ce sont des petites exploitations comme dans la zone du Sud Adour ou du Béarn. Elles s’inscrivent dans un paysage vallonné avec des haies, des arbres, des vignes, des cultures de kiwi, bref un paysage divers et varié dont la biodiversité n’est plus à démontrer. Chaque département français est différent. C’est pourquoi mettre en œuvre une mesure nationale sans prendre en compte les spécificités agronomiques et environnementales locales n’a aucun sens. Ainsi, le département des Landes totalise une surface de 900.000 ha, dont seuls 145.000 sont consacrés aux différentes cultures de maïs (maïs grain, mais conso, maïs semences). Pour comparaison, la forêt des Landes couvre un million d’hectares sur trois départements (Landes, Gironde et un peu le Lot-et-Garonne). Et elle est constituée à 95% d’une seule espèce, le pin maritime ! Prétendre vouloir améliorer la biodiversité en nous obligeant à cultiver autre chose que du maïs n’est donc pas très raisonnable.
En réalité, l’unique objectif de cette mesure est de réduire les surfaces cultivées en maïs en Europe. Car lorsqu’on parle d’assolement et de diversité des cultures, cela ne pose aucun problème majeur pour les grandes plaines céréalières. En effet, on est déjà sur des systèmes de rotations (blé, colza, orge). Ce qui est d’autant plus aisé qu’une même céréale d’automne et de printemps a bien été reconnue dans le règlement européen comme étant deux cultures différentes. En clair, les grandes exploitations du bassin parisien ou du nord de la France qui ont leur assolement construit sur des céréales à paille seront dans leur grande majorité « verdissement-compatibles ».
En revanche, cette contrainte de diversité des cultures est principalement déstabilisante pour nos petites exploitations landaises, dont le socle économique repose précisément sur le maïs. Or, cette culture constitue un élément indispensable dans un système que l’on ne peut considérer que comme écologiquement irréprochable. En effet, ce maïs, cultivé sur l’exploitation, sert à l’alimentation des poulets, des canards, des vaches ou des cochons présents sur la ferme. Ces animaux sont ensuite « transformés » et vendus souvent sous signe de qualité. Enfin, les effluents de ces animaux servent à fertiliser les sols de ces mêmes exploitations. Nous sommes donc sur un cycle parfaitement vertueux, agronomiquement durable, cohérent et qui privilégie l’autonomie alimentaire. Et voilà qu’on nous ordonne d’abandonner le maïs !
Vous sortez d’un rendez-vous au ministère de l’Agriculture. Qu’avez-vous proposé ?
Tout d’abord, nous avons démontré au ministère que l’ensemble de la diversité des pratiques agricoles des Landes est aussi durable que les systèmes qui impliquent des rotations de cultures.
Ensuite, nous avons proposé que la France se saisisse de la possibilité qu’offre le règlement communautaire aux Etats-membres pour faire valoir une mesure équivalente à l’obligation de la diversité des cultures. Nous pensons que le mulching peut répondre à cet impératif. Cette technique, qui consiste à recouvrir le sol avec des résidus des récoltes broyées, protège le sol contre les phénomènes érosifs, permet de limiter les pertes d’eau et de fixer les éléments nutritifs en surface afin que la culture suivante puisse en profiter. Ensuite, sur le plan sanitaire, le mulching évite le transfert de maladies d’une année sur l’autre. Etant bien maîtrisé par de très nombreux agriculteurs, il possède un dernier avantage non négligeable : il ne nécessite aucun investissement supplémentaire. Enfin, même dans une année exceptionnelle comme celle-ci, où il est impossible d’implanter une autre culture car les récoltes de maïs sont trop tardives, le mulching reste techniquement possible. Sur le plan environnemental, nous défendons donc l’idée que le mulching peut représenter une équivalence à l’obligation de la diversité des cultures sans pénaliser économiquement des structures déjà fortement impactées par les autres contraintes.
Avez-vous été entendu ?
Il me semble que oui. Mais je reste surpris qu’il faille se mobiliser à ce point pour que des mesures de bons sens soient prises en compte alors qu’on est dans la dernière ligne droite de la réforme. Le ministre va annoncer la déclinaison de la réforme de la PAC dans moins d’un mois. Or, notre proposition n’a à ce jour pas encore été validée par la Commission européenne. J’imagine que lors de la négociation à 27, notre ministre a tout d’abord voulu défendre le budget – avec plus ou moins de succès d’ailleurs –, et qu’il a ensuite souhaité marquer son mandat par une mesure symbolique, en l’occurrence la prime aux 50 premiers hectares, qu’il a arrachée au niveau européen. Le maïs aurait-il été une monnaie d’échange, notamment avec le lobby des écologistes ? La question mérite d’être posée, car l’obligation de la diversité des cultures cible exclusivement le maïs, même lorsqu’il est intégré dans de petites ou moyennes exploitations qui font par ailleurs de la vigne, des asperges ou du kiwi. Or, quand vous visitez ces exploitations, notamment dans la vallée du pays des Gaves, près de Peyrehorade, et que vous découvrez que ces exploitations ne sont pas compatibles au titre de la diversité des cultures, vous avez l’impression de marcher sur la tête ! Ce sont tous ces constats qui nous ont amenés à appeler à manifester le 5 décembre prochain à Mont-de-Marsan. A cette date, nous saurons si nous avons été entendus, et dans ce cas nous appuierons la démarche des pouvoirs publics français pour défendre l’inscription du mulching auprès de la Commission. Sinon, la manifestation risque très fort de tourner à la contestation.